Université Louis Lumière-Lyon 2
Institut des sciences et pratiques d’éducation et de formation
Thèse de
sciences de l’éducation
L’inspecteur, le maître et les élèves
Du pacte à l’alliance : pour une construction identitaire et une éthique de l’acte d’inspection
Directeur de thèse : monsieur Philippe Meirieu
Année universitaire 1998/1999

‘“A chaque pas en avant correspond un pas en arrière. Le futur est prévisible, c’est le passé qui ne l’est pas. Ce qui va nous arriver, nous le savons presque. Tandis que ce qui nous est arrivé, nous l’ignorons à peu près complètement. Un esprit rétrograde, c’est celui qui préfère savoir où il va avant de savoir d’où il vient. Moi, je veux savoir d’où je viens avant de m’apercevoir où l’on m’emmène. Sinon, le fil casse”’.
Henri CAZEAUX, l’étoile et autres contes, ROM production, Montpellier, 1989.

Table of contents

Préambule

Si j’ai pu conduire cette recherche sur l’inspection des instituteurs et des professeurs des écoles, c’est que j’en ai observé parfaitement la spécificité, d’abord comme enseignant pendant près de 15 ans, puis en tant qu’inspecteur de l’éducation nationale chargé d’une circonscription du premier degré. Dès ma première affectation dans une circonscription du premier degré, je fus en même temps responsable d’une unité de formation en institut universitaire de formation des maîtres, à la croisée des chemins entre la pratique sur le terrain (j’avais en charge une circonscription de l’adaptation et de l’intégration scolaires) et la formation initiale et continue des enseignants et la recherche.

Quelques paragraphes sur un parcours professionnel pluriel et multiréférentiel aideront à comprendre comment cette thèse s’est construite, au fil des années, et pourquoi elle finit par aboutir, cinq ans après une inscription à l’école doctorale du département des sciences de l’éducation de l’université Lumière-Lyon2.

L’expérience de la Louisiane (U.S.A.)

Ce parcours s’amorça sous le signe de l’activité plurielle et internationale. Un Certificat de Fin d’Ecole Normale ponctuait une formation qui avait duré deux ans.

Ma première affectation me conduisit dans cet état du sud des Etats-Unis où les Cajuns, uniquement lorsqu’ils se retrouvent entre eux, osent encore utiliser "le français de la France" pour communiquer. C'est grâce à la volonté et à la persévérance d'un homme remarquable, James Domangeaux1, que des pays francophones tels que la Belgique, le Canada, la Confédération Helvétique et la France participent encore au développement de la langue française en Louisiane.

J’enseignais le français langue étrangère aux jeunes élèves de deux écoles élémentaires d’une ville moyenne, au milieu des bayous aux eaux peu profondes et parfois stagnantes qui regorgent de poissons et d’écrevisses. Un conseiller pédagogique, détaché au ministère des affaires étrangères, inspectait mon travail en collaboration avec le représentant de l’employeur américain, l’équivalent d’un inspecteur d’académie : le "superviseur" de la paroisse de HOUMA. Rien de très différent entre la visite d'inspection que tous deux firent dans ma classe et celles que j'ai vécues par la suite, dans des écoles françaises. Sauf qu'ici, l'employeur n'étant ni Cajun ni bilingue, il ne comprenait pas la leçon que je proposais aux élèves. En revanche, les relations extra-professionnelles avec ce conseiller-inspecteur et le superviseur étaient plus diverses, variées et amicales ; l'éloignement de notre pays natal et l'attrait de l'étranger, avec ses particularités, en étaient certainement la cause.

Je peux trouver déjà, dans cette courte expérience d’un an, les premières pierres du soubassement de la problématique de ma recherche. Le superviseur et l’inspecteur n'avaient pas le même rôle, ni le même statut. Des liens de subordination existaient entre eux. Le conseiller, fonctionnaire français, se retrouvait, comme moi-même, placé sous le contrôle du superviseur et une partie de son salaire était directement versée par la paroisse de l’état américain.

L’expérience de Tchimbélé (Gabon)

Je rentrai en France passer les épreuves du certificat d’aptitude professionnelle d’instituteur. Mais le goût des voyages, l'attrait des expériences atypiques me conduisirent dans les bureaux des ministères des affaires étrangères et de la coopération dès la fin des épreuves réussies ; nous étions en 1978.

Je me vis proposer alors un poste de chargé d'école sur le chantier d'une entreprise de travaux publics, au coeur de la forêt gabonaise. J'obtenais mon détachement et un contrat après que l'entretien avec le directeur des ressources humaines chargé du recrutement pour cette entreprise eût satisfait ses exigences.

Je notai immédiatement des différences importantes concernant ma nouvelle situation d'instituteur détaché dans un autre ministère que celui de l'éducation nationale et mis à disposition d'une entreprise privée : il me revenait de négocier, directement avec mon employeur, mon salaire et mes conditions de vie sur le chantier (hébergement, attribution d'un véhicule, nombre de billets d'avion annuels, ...).

L'inspection, le contrôle et l'évaluation de mon travail prirent, au cours de cette période qui dura deux ans, un aspect singulier, tout à fait "indigète". Le directeur du chantier avait une grande latitude pour m'accorder ou non ce que je demandais. Très vite, j'obtins beaucoup, avec facilité.

Ayant pris mon service à la fin du mois d'août, j’accueillis les neuf élèves de cette petite école. Ils se répartissaient dans toutes les sections ou classes - nous ne parlions pas encore de cycles - de l'école primaire. Les parents étaient inquiets et particulièrement angoissés à l'idée que la scolarisation de leurs enfants qui leur permettait de vivre en famille, risquait de compromettre les études de leurs enfants à leur retour en France ou en cas de mutation sur un nouveau chantier. Un départ eut lieu deux mois après la rentrée pour les parents de Marcel et Paul, deux frères qui suivaient, l'un la grande section de maternelle et l'autre le C.M.1. Le père des enfants devait se rendre sur un nouveau site, en France. Je fus convoqué, trois semaines après, par le directeur de l'entreprise qui m'employait. Il m'annonça que les deux enfants avaient été inscrits dans une école publique française et qu'au vu des résultats des contrôles de la première partie du trimestre, l'un et l'autre se retrouvaient admis dans la classe supérieure. Il me félicita alors chaleureusement, me proposa une augmentation de salaire ! Il m'offrit, de surcroît, la possibilité de commander tout le matériel que je souhaitais pour l'école et les élèves. Dans l'entreprise, une production de résultats positifs peut entraîner une augmentation de salaire. Les méthodes utilisées pour les obtenir ne passent souvent qu'au second plan. Je dois dire que les miennes, empruntant à Célestin FREINET, Fernand OURY ou bien encore Fernand DELIGNY avaient même plutôt surpris, voire inquiété, au début de l’année scolaire.

Le retour en France dans le secteur de l’adaptation et de l’intégration scolaires

Mon retour en France s'effectua dans un établissement de l'Adaptation et de l'Intégration Scolaires2. Je passais les épreuves du certificat d’aptitude professionnelle réservé aux enseignants désireux de travailler avec des élèves aux besoins éducatifs spécifiques, qu'ils soient ou non handicapés3. Mon parcours professionnel m'entraîna dans différentes classes et établissements accueillant des élèves handicapés, présentant des troubles graves de la personnalité ou bien encore de jeunes adultes incarcérés en maison d'arrêt. Je me présentai ensuite aux épreuves du diplôme de directeur d'établissement spécialisé après avoir suivi la formation proposée par le centre national de formation pour l'enfance inadaptée.

Des expériences d’inspecté particulières

Tout au long de ma carrière d'enseignant, mes expériences d'inspecté furent particulières. Je ne fus inspecté qu'une seule fois par un inspecteur titulaire, c’était à l’occasion d’un examen. Il était accompagné des membres de la commission chargée d'évaluer ma pratique et de valider les épreuves pratiques de mon certificat d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées pour l’adaptation et l’intégration scolaires. Il profita de cette visite pour rédiger un rapport d'inspection. Ma note, après un subtil dosage prenant en compte la qualité de ma prestation, le temps écoulé depuis mon C.A.P. et le barème départemental, fut augmentée d'un point et demi ; nous étions alors en 1983.

Je ne revis ensuite dans ma classe qu'un inspecteur stagiaire. Il préparait l'ultime épreuve qui devait conclure sa formation. Il avait choisi ma classe comme terrain d'expérimentation et me pria d'accepter d’entreprendre moi-même une recherche avec les élèves. Il s'agissait de réfléchir plus avant sur mes pratiques personnelles, lesquelles consistaient à utiliser la photographie pour aider les élèves de la classe de perfectionnement à apprendre à lire. Je fus tenté... et séduit. Ayant saisi l'intérêt et l'enjeu que représentait cet investissement pédagogique pour sa réussite professionnelle, j'imaginais corrélativement un intérêt pour ma propre carrière. Je décidai de me présenter aux épreuves du Certificat d'Aptitude aux Fonctions d'Instituteur Maître Formateur4. Une note pédagogique minimum de quinze était exigée. Les deux examens précédents5 ne m'ayant permis d'atteindre qu'un score de treize et demi, il me fallait absolument être rapidement inspecté et obtenir au minimum un point et demi supplémentaires.

J'utilisai l'expérience acquise au Gabon dans l’entreprise du secteur privé et tentai une négociation avec "notre stagiaire"6. J'obtins un accord de principe.

Afin de rendre l’événement solennel et après avoir obtenu l’autorisation de son inspecteur tuteur, il retint la matinée du 19 février. Elle serait, non pas visite du stagiaire-inspecteur mais celle de l'inspecteur-stagiaire7. Un rapport serait rédigé, une note proposée à l'inspecteur d'académie. Quand je pris connaissance de cet écrit, je lus dans le cadre réservé à cet effet : 15,5/20. Je pouvais constater que dans l'administration aussi, une parole donnée pouvait être tenue. Je me présentais aux épreuves du CAFIMF, option "arts plastiques". Je fus déclaré admis à la session de 1985.

Le moment de réflexion vécu à l’occasion de cette inspection particulière me fit prendre conscience qu’un tel moment était susceptible d’échapper au seul contrôle et à la relation d’autorité assujettissant l’enseignant, lui laissant ainsi la possibilité d’être acteur.

Ma carrière s'est poursuivie ensuite dans plusieurs écoles spécialisées et établissements médico-éducatifs ou sanitaires.

Le concours d’inspecteur de l’éducation nationale et les débuts d’une recherche

Parallèlement à une activité professionnelle, mon retour en France avait aussi été l'occasion d'entamer un cursus universitaire en sciences de l'éducation à l'université Lyon 2.

Ayant obtenu une licence, je tentai les épreuves du nouveau concours de recrutement des inspecteurs de l'éducation nationale chargés d'une circonscription du premier degré ; je les réussis à l’occasion de la première session, celle de Juin 1990.

Le travail de recherche que je propose met donc un terme à un cycle d’études universitaires démarré il y a près de dix ans. C’est sans autre transition que je le présente dans l’introduction qui suit.

Notes
1.

Il était le président du “ Council of development of french in Louisiana ” (CODOFIL) et c’est son action volontariste qui permet, encore aujourd’hui, des détachements d’enseignants français en Louisiane.

2.

Il s'agit d'une Ecole Nationale de Perfectionnement (ENP) ; on l'appelle maintenant Etablissement Régional d'Enseignement Adapté (EREA). Il accueille en internat des adolescents en difficulté d'apprentissage dont la situation nécessite un internat. Ils bénéficient d’un enseignement général et professionnel adaptés.

3.

Le certificat d'aptitude aux actions pédagogiques spécialisées pour l'adaptation et l'intégration scolaires (CAPSAIS).

4.

CAFIMF, devenu CAFIPEMF, depuis la création du corps des professeurs des écoles. Il remplaçait le certificat d'aptitude des écoles d'application (CAEA) exigé des maîtres qui enseignaient dans les écoles annexes des écoles normales et dans les "classes d'application".

5.

Le C.A.P. d’instituteur et le CAPSAIS.

6.

C'est ainsi que l'appelaient les élèves.

7.

La différence fut audible, au moment de l’entretien ; c’est en effet à cette occasion (ce devait bien être la quinzième visite) que l’inspecteur stagiaire me fit remarquer que l’armoire à pharmacie n’était pas fermée à clé.