1.1- François GUIZOT, ministre de l’Instruction publique et père des inspecteurs

François GUIZOT est nommé ministre de l’instruction publique le 11 octobre 1832 dans le cabinet présidé par le Maréchal SOULT26 ; c’est lui qui créera, en 1835, le corps des inspecteurs primaires.

Fixons-nous un instant pour découvrir qui fut ce personnage. Jacques BILLARD écrit de lui qu’il fut ‘"historien et même historien philosophe"’ 27 . GUIZOT fut aussi un homme politique doublé d’un véritable homme d’état. Généralement, on retient de lui la loi scolaire de 183328 qui place l’école sous le contrôle de l’état. L’intention de GUIZOT, toujours selon BILLARD ‘"est de faire en sorte que l’Etat et la religion concourent chacun pour ce qui le concerne, à l’éducation en général. Mais il faut le rappeler, la religion, dans l’éducation, n’a comme but que d’élever l’esprit au-dessus des affaires quotidiennes et non de les vaincre. Il ne s’agit pas de donner à la religion la mission de surveiller les esprits. Tourner les regards vers le vrai et le grand, faire des esprits désintéressés, voilà ce que peut la religion, selon GUIZOT, et que ne peuvent pas faire, à ses yeux, ni l’Etat ni la société. Mais si nécessaire la religion soit-elle, il revient à l’Etat de lui fixer sa place dans le processus de l’éducation"’ 29.

Guizot ne méconnaissait rien des projets d’instruction publique qui ont vu le jour pendant la période révolutionnaire et, concernant son projet, bien que nous nous situions pendant la monarchie de juillet, on peut avancer que c’est d’une instruction laïque qu’il est question. En effet, cet homme peut être considéré comme l’un des penseurs et des constructeurs de la laïcité dès lors que l’on entend par laïcité ‘"la seule séparation constitutionnelle des Eglises de l’Etat dans le but de laisser à l’un et à l’autre la pleine puissance de leur nature dans le respect de leurs domaines respectifs"’ 30 .

Guizot élabore sa théorie éducative à partir de trois principes : ‘"il faut tenir compte des traditions ; il faut respecter les lois du développement de l’esprit ; il faut respecter certaines conditions morales"’ 31.

Son programme se trouve assez bien résumé ainsi : ‘"La liberté dans l’ordre, le progrès dans le repos, le perfectionnement sans combat, voilà ce que la France ne pouvait obtenir du gouvernement qui n’est plus ; voilà ce qu’elle espère du gouvernement qu’elle s’est donné"’ 32.

Si la loi du 26 Juin 1833 sur l’enseignement primaire n’établit pas l’obligation scolaire, il semble que Guizot y fut favorable33. D’ailleurs, il se prononcera sans ambiguïté pour une telle obligation en 1871. Il pense que les réformes prévues dans cette loi doivent être surveillées pour aboutir. C’est un fait sans précédent.

Guizot lance un appel au dévouement des instituteurs dans sa lettre du 4 juillet 1833 et adjoint aux Recteurs des délégués spéciaux chargés de visiter les écoles. Il savait que les maîtres, livrés depuis de longues années au hasard des affectations, à l’influence des notables, maires et hommes d’église, avaient besoin d’un véritable guide pour leur indiquer la voie. Celui-ci, “le manuel général de l’instruction primaire”, est créé et diffusé dès 1832.

La surveillance du système éducatif fut d’abord confiée aux comités locaux et aux comités d’arrondissement, deux pouvoirs électifs. Ce sont le maire et le curé qui délivrent à l'instituteur, qu'il soit "libre" ou communal, le certificat de bonne conduite nécessaire en cas d'installation dans une autre commune. Le recteur donne, quant à lui, l'autorisation d'exercice, après avoir pris l’avis du comité cantonal.

François GUIZOT ne tarde pas à comprendre que l’état doit organiser sa propre surveillance et intervenir à son tour car selon lui, ‘“supprimer cette intervention ce serait rendre l’état absolument étranger à l’instruction primaire, la replacer sous l’empire exclusif du principe local, revenir par une marche rétrograde à l’enfance de l’art, arrêter tout progrès, et en ôtant à la puissance publique ses moyens les plus efficaces, la dégager aussi de sa responsabilité...” ’ 34.

Le ministre essaya d’abord un service d’inspection temporaire de 470 personnes dûment commissionnées qui visitèrent les écoles et ‘“fournirent à l’administration centrale une masse de renseignements et de détails qui la mettaient en état d’agir désormais sur tous les points en connaissance de cause et avec efficacité”’.

Encouragé par un premier succès, le ministre se décida à rendre l’institution permanente. L’ordonnance du 26 février 1835 créa pour chaque département un inspecteur spécial de l’instruction primaire, nommé par le ministre, le Conseil Royal ayant donné son accord.

Le 13 août 1835, au moment où allait commencer la première campagne d’inspection, GUIZOT adressa aux inspecteurs une lettre circulaire pour leur faire connaître la mission qu’il leur confiait et ce qu’il attendait de leurs efforts. Cette lettre faisait nettement apparaître une double mission :

  • contrôler et surveiller, d’une part ;

  • conseiller et diriger d’autre part.

En principe, toutes les écoles du département ont droit à une visite annuelle ; mais cette visite, comme le précise la lettre de GUIZOT, ne doit pas être une pure formalité, une course rapide et vaine. Il est demandé aux inspecteurs de porter un regard attentif sur la tenue et l'état moral des écoles. Chacune de ces missions se devait d’éclairer l’administration supérieure, faisant sentir et accepter partout son action.

GUIZOT venait de créer le premier élément de l'administration départementale indépendante des autorités locales. Il s'avéra qu'un inspecteur par département était insuffisant et, en 1837 soit deux ans après l'institution des inspecteurs départementaux, leur furent adjoint des sous-inspecteurs.

Près de 80 ans plus tard, vers 1914, ‘"M. l'inspecteur est un personnage important et redouté, presque à l'égal de l'inspecteur d'académie"’ 35 . Il le restera jusque vers les années soixante-dix.

Notes
26.

La France vit la monarchie de juillet de 1830 à 1848. C’est le 9 août 1830 que le duc d’Orléans devint “roi des Français”, Louis Philippe Ier. GUIZOT fut d’abord ministre de l’intérieur, Broglie étant à l’instruction publique. C’est dans le ministère SOULT, le 11 octobre 1832 que GUIZOT fut nommé ministre de l’instruction publique. Il fut reconduit dans ses fonctions sous le ministère Molé, le 6 septembre 1835 et fut remplacé, après la chute de Molé, le 8 mars 1839, par Villemain. Il dut attendre le 28 octobre 1840 pour revenir aux affaires avec le portefeuille des affaires étrangères. Il fut contraint de démissionner, sur demande du roi, le 23 février 1848.

27.

Jacques BILLARD, De l’Ecole à la République : GUIZOT et Victor COUSIN, Puf, questions, Paris, 1998, page 10.

28.

Nous aurions pu retenir aussi comme le précise J. BILLARD, (pages 28 et 29) le fait d’avoir signé l’arrêté d’expulsion de Marx ou d’avoir participé à un gouvernement qui réprimait les mouvements ouvriers, ou encore la conquête de l’Algérie.

La loi scolaire de 1833 est généralement portée au crédit de F. GUIZOT, même si on peut trouver à redire au fait, par exemple qu’elle place l’enseignement religieux parmi les matières obligatoires, ou qu’elle ne dise rien de la scolarisation des filles, ou encore qu’elle n’exclue pas les prêtres du personnel enseignant.

29.

Op. Cit. Page 76.

30.

Jacques BILLARD, pages 70 et 71.

31.

ibid. Page 78.

32.

A. MESNIL, Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, sous la direction de Ferdinand BUISSON, édition Hachette, Paris, 1911.

33.

Il déclara en fait ne pas y être favorable, mais en des termes qui, selon BILLARD, “ s’interprètent aisément. En l’occurrence, GUIZOT déclare qu’il n’était pas favorable à l’obligation scolaire parce que, politiquement, la mesure n’était pas recevable ”. Op. Cité, pages 83 et 84.

34.

extrait de "Inspecteurs de l’enseignement primaire" ; historique. Nouveau dictionnaire de pédagogie ; F. BUISSON, édition de 1991 ; librairie Hachette, Paris.

35.

"Histoire de l'enseignement et de l'éducation en France", t. 3, sous la direction de L.-H. PARIAS, la nouvelle librairie de France, 1988, page 555.