Déjà dès la fin du XVIIème siècle, "l'habit noir s'impose" délaissant la surcharge chromatique et décorative imposée par le modèle aristocratique des courtisans. L'avènement d'une nouvelle bourgeoisie capitaliste et industrieuse propose une conception nouvelle du type masculin. Mais cette tendance à l'austérité et à la sobriété n'est pas synonyme d'appauvrissement de la tenue. Elle sera une des premières formulations du costume moderne associant veste-gilet-pantalon taillés dans le même tissu.
On peut évoquer bien sûr l'influence de la Révolution et de la codification de la tenue sous la dictature jacobine (Noblesse, Clergé, Tiers État) sans oublier "l'utopie Davidiennne" (projet égalitariste d'un costume national dessiné par DAVID et adopté uniquement par quelques-uns de ses élèves). Mais le grand rôle fut joué par l'Angleterre, modèle politique et économique qui fascinera l'élite intellectuelle du Siècle des lumières. L'allure vestimentaire du country-gentleman se formalise par l'adoption d'une confection simplifiée aux couleurs sombres (laines tissées) conjuguant confort, liberté de mouvement et élégance et symbolisée par la fameuse redingote (déformation de riding-coat).
Dès le milieu du XXème siècle, l'image d'une appartenance culturelle et sociale se précise, celle du bourgeois qui se respecte. Réfractaire aux fantaisies vestimentaires et aux artifices du séducteur, il concentre toute son énergie à édifier un modèle fondé sur l'ordre, la morale et se dévoue au service de l'état. Ainsi se formalisera pendant près d'un siècle la typologie de l'homme respectable, dont la permanence sera assurée par l'avènement d'un nouveau système de production : la confection. L'adoption du "tout fait", tout en normalisant la tenue élégante, provoquera l'arasement du costume masculin et fossilisera la silhouette austère de l'inspecteur de l'enseignement primaire. Doté d'une telle aura de pouvoir et de tradition, l'uniforme pédagogique, veston noir ou jaquette, pantalon rayé gris, gilet, col dur et blanc (symbole d'aisance sociale et de rigidité morale) et couvre-chef, subira peu de modifications, évitant par-dessus tout l'audace chromatique.
Seuls les détails de coupe témoignent de l'influence sporadique de l'environnement contemporain et seront souvent adoptés avec un certain décalage temporel. Il faut laisser à la nouveauté le temps de faire ses preuves pour qu'elle accède à la permanence. Aussi, pendant les années 20, malgré le renouvellement des canons de la beauté masculine provoqué par l'activité artistique et intellectuelle des avant-gardes, l'inspecteur primaire restera fidèle à ceux de la maturité bourgeoise : barbe, lunettes, embonpoint et costume sombre. En revanche, il adoptera plus aisément les modifications du costume imposées à la mode masculine pendant les années 30 et 40. "Le rappel à l'ordre" moral et esthétique provoquera le retour du réalisme à l'élégance modeste et austère : l'assurance d'un homme garant d'un ordre nouveau et de la morale.
Les années d'après-guerre, avec l'invention révolutionnaire des fibres artificielles, verront éclore une nouvelle silhouette. Ces tissus infroissables et raides obligeront à une coupe rigide et proposeront une image lisse et froide, responsable d'une apparence monolithique affirmée par le pli permanent du pantalon, soit une symbolique claire et efficace adaptée à la fonction et aux attributions professionnelles de notre personnage. La décennie suivante verra l'expansion du style européen qui se dessinera autour des modes italienne et française. Les inspecteurs les plus téméraires et souvent les plus jeunes se délesteront du complet croisé. Le veston sera droit et court, le pantalon plus étroit et les épaules tombantes (mais on est encore loin de la panoplie du "dragueur"). Ce "comportement vestimentaire" se limitera à l'exception puisque révélateur d'un esprit jeune donc contestataire. De plus, un inspecteur primaire ne doit pas s'abaisser à s'occuper de futilités vestimentaires éloignées de ses préoccupations et responsabilités professionnelles. Sous l'impulsion d'une jeunesse de plus en plus présente et active (conséquence du baby-boom), le monde du vêtement masculin découvre un nouveau langage balayant les clivages culturels et sociaux traditionnels. C'est peut-être pendant les années 60 que la notion de MODE trouvera une résonance dans l'habitude de pensée et de comportement vestimentaire de l'inspecteur. Aux éclats révolutionnaires de mai 1968 qui provoqueront l'éclosion de nouveaux langages vestimentaires, signes distinctifs d'appartenance à un groupe idéologique, s'associe la contribution fructueuse d'un nouvel acteur : le couturier.
Sous l'influence des acteurs de la mode comme Pierre CARDIN et Yves SAINT- LAURENT par exemple, l'industrie de la confection s'organisera en système de production, de diffusion et de consommation, proche du prêt-à-porter féminin tout en diversifiant ses “ciblages”. Cette recomposition de la garde-robe masculine rajeunira l'image de l'homme, actualisera la silhouette s'adaptant à chaque morphologie et imprégnera toutes les catégories socioprofessionnelles. De ce fait, la tenue de l'Inspecteur Départemental de l'Éducation Nationale subira des mues lentes mais progressives pour accéder à travers la diversité du langage des modes, à la pluralité des modes de communication.
Ces escapades encore discrètes mais discernables dans l'habillement de l'actuel Inspecteur de l’Education Nationale signent l'émergence d'un désir de communiquer et d'émousser les clivages hiérarchiques. Le savoir-être transparaît sous le paraître, la forme transforme la fonction car ‘"l'habit noir s'impose (.../...) avec une conception de l'allure masculine fondée sur la réserve, l'austérité, le sérieux, le puritanisme de la bourgeoisie capitaliste industrieuse, éthique héritée de l'Europe réformée, envers de la morale, de la magnificence propre à l'aristocratie catholique"’ 42 .
F. CHENOUN, Des modes et des hommes, deux siècles d'élégance masculine, Flammarion, Paris 1993, page 17.