Certes, ‘"l'inspection nous paraît donc légitime d'abord -n'hésitons pas à enfreindre le discours dominant - en cette fonction de contrôle qu'elle assure. Il ne nous paraît pas mauvais que la collectivité, représentée (...) par l'État de droit, délègue à des fonctionnaires réputés compétents le droit de regard qu'elle prétend avoir sur l'institution chargée de l’Education“’ 54 , certes ‘"l’inspection comme évaluation est une clé et l’on ne pourra pas changer l’école sans changer l’évaluation des maîtres et c’est pourquoi la rénovation des pratiques d’évaluation et la marche vers une évaluation formative ne sauraient être des réformes parmi d’autres. Sans en faire l’alpha et l’omega du système pédagogique, l’évaluation traditionnelle est un verrou important qui interdit ou ralentit toutes sortes de changements. Le faire sauter, c’est donc ouvrir la porte à d’autres innovations"’ 55.
Guy AVANZINI, professeur honoraire à l’université LYON 2, nous confiait lors d’un entretien, que ‘“les débats controversés et conflits dont est l’objet l’inspection justifient d’affirmer que son principe est pleinement légitime. Il est non seulement normal en droit, mais indispensable en fait, que l’Etat s’assure de la compétence, de la conscience et de la capacité de ses agents, car elles ne sont pas garanties a priori ; la protection des élèves et de leurs familles contre d’éventuelles insuffisances ou dérives doit être prévue. S’agissant du premier degré, le refus de l’inspection est condamnable et appelle d’être sanctionné”’ . Il poursuivait ainsi : ‘“Encore ne faut-il pas confondre le principe et les modalités. Que celles-ci aient trop longtemps été, et demeurent parfois, sottes, mesquines, vétilleuses, malveillantes, irrespectueuses des personnes, cela est malheureusement indiscutable ; que certains inspecteurs se soient laissés tenter par le despotisme ou aient cédé à des mirages de toute puissance, cela l’est aussi ; que d’aucuns aient manifesté plus d’autoritarisme que de compétence, aient manqué de sens humain ou, en des registres divers, abusé de leurs pouvoirs et adopté des attitudes stressantes ou infantilisantes, cela est également incontestable”’ . Il précise immédiatement qu’il serait ‘“néanmoins erroné de n’apercevoir dans l’inspection que la dimension répressive. Beaucoup de ceux qui l’exercent ont un sens élevé de leurs responsabilités humaines et beaucoup d’instituteurs savent aussi ce qu’ils doivent à un inspecteur compréhensif, qui a su les aider pédagogiquement mais aussi les soutenir en certaines épreuves, face aux cabales de parents agités ou de municipalités malveillantes, ou encore face à des dénonciations mal fondées ou à des calomnies.”’ On le voit, il y a là une fonction de médiateur, voire de défenseur, qu’il ne faut pas omettre de prendre en compte car elle est objectivement loin d’être négligeable.
Etre inspecteur exigerait donc d'avoir ce regard qui permet d'entrer dans la pratique de l'autre, un droit de regard se transformant en un devoir d’aide et d’analyse, en une incitation à l'auto-évaluation pour chacun des enseignants, instituteurs et professeurs d'école.
Aussi, notre parti pris d’"inspecteur étudiant" s’écrit, telle une déclaration d'intentions :
Reconnaître la responsabilité inconditionnelle d'autrui au plan professionnel, c’est-à-dire permettre à autrui d'être reconnu professionnellement, avant même d'être connu. C’est une condition nécessaire pour responsabiliser les partenaires avec lesquels l’inspecteur peut être amené à travailler et donc leur permettre d’accroître leur professionnalité.
Le parti pris d’une rupture d’avec ce sentiment tenace consistant à croire ou à faire croire que l'on pourrait travailler demain comme on le faisait hier encore. Et cela, même si nous savons les résistances au changement et mesurons combien toute idée de rénovation ou de réorganisation professionnelle peut provoquer d'angoisse chez chacun, quel que soit son statut professionnel.
Dès lors, la question qui se trouve posée dans cette thèse exigera une réflexion, à la fois sur la professionnalité issue d’une certaine professionnalisation définie comme étant l’acquisition progressive de l’ensemble des qualités, capacités et compétences, constituant le professionnalisme et aussi sur l'identité professionnelle qui ‘"permet aux membres d'une même profession de se reconnaître eux-mêmes comme tels et de faire reconnaître leur spécificité à l'extérieur"’ 56 . L’une et l’autre absorbent sans doute la fonction, le statut et le rôle de l'Inspecteur de l'Éducation Nationale. Mais, de fait, deux inspecteurs peuvent présenter un professionnalisme identique et cependant ne pas avoir la même professionnalité.
A l'instar de ce qu'écrit Michel DEVELAY concernant la professionnalité et l'identité professionnelle des enseignants, nous devons nous interroger ‘"sur les raisons pour lesquelles on parle de plus en plus de professionnalisation et de professionnalité pour le métier d'inspecteur, professionnalisation désignant le processus qui permet à terme de maîtriser des compétences dont l'état global constitue la professionnalité de la personne"’ 57 . Si, effectivement, comme le présente l’auteur, il existe plusieurs approches de la professionnalité, on peut retenir trois critères qui la caractérisent :
la spécialisation du savoir qui, en précisant le champ d’intervention, impose une détermination précise et autonome des règles de l'activité à conduire,
une formation intellectuelle de niveau supérieur pour faciliter les liens entre théories de référence et pratiques fondatrices. Elle suppose l'existence d'écoles de formation dûment reconnues58, et enfin
un idéal de service, instituant des valeurs reconnues universellement. Il appelle l'établissement d'un code de déontologie et le contrôle par les pairs.
On relève la mise en place de ces éléments significatifs dans tous les cas étudiés dans l’ouvrage dirigé par Raymond MOCH59 qui portent sur des professions libérales telles que les médecins, les avocats, les journalistes ou encore les ingénieurs. Dans la fonction publique, les inspecteurs et commissaires de police disposent, depuis le décret du 18 mars 1986 d’un code de déontologie de la police nationale. En ce qui concerne les inspecteurs de l'Education nationale, nous verrons que le troisième critère est très marginal, encore embryonnaire, soumis au bon vouloir des uns ou des autres et qu'il n'existe pas encore de référentiel de tâches, ni de code de déontologie pour les inspecteurs. Et même si on ne peut vraiment croire qu’il suffise d’établir un inventaire des devoirs à remplir et de fixer la manière d’agir pour garantir que l’exercice de la fonction inspectorale ne donnera lieu à aucune dérive nuisible pour les enseignants et les élèves, on doit s’interroger sur la nécessité d’établir un code de déontologie, tout simplement pour expliciter les enjeux de l’action de l’inspecteur et mieux informer les usagers de l’inspection.
J. VACHER "L'inspecteur et son image" L. GILLIG AMOROS, P.U.F, Paris, 1986, p. 210.
Philippe PERRENOUD, L’évaluation des élèves, de le fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Entre deux logiques Pédagogies en développement, De Boek, Bruxelles, 1998. Page 86.
J. ION, Le travail social à l'épreuve du territoire, Toulouse, Privat, coll. "Pratiques sociales". Page 91.
M. DEVELAY, Peut-on former les enseignants ? ESF, 1994. Pages 144 et suivantes.
L'école nationale supérieure de formation des cadres de l'éducation nationale a ouvert ses portes à Poitiers en 1995.
Ethique et société, les déontologies professionnelles à l’épreuve des techniques, Armand Colin, Paris, 1997.