La première partie s’est attachée à montrer que deux paradigmes, successivement et en complément l’un de l’autre, ont fondé les pratiques des inspecteurs primaires depuis la création du corps, en 1835. Elle a pointé un manque et la nécessité d'une troisième que nous présenterons. Nous découvrons maintenant ce que disent les inspecteurs de ce qu’ils font et ce qu’en rapportent les enseignants titulaires et stagiaires.
Nous présenterons les résultats d’une étude réalisée dans les trois départements de l’Académie de Lyon auprès des inspecteurs de l’éducation nationale chargés d’une circonscription du premier degré, d’instituteurs130 et de professeurs des écoles, ainsi que d’un échantillon de professeurs des écoles stagiaires du centre local de Lyon de l’institut universitaire de formation des maîtres de l’académie de Lyon.
A partir de leur analyse nous tenterons de savoir si le paradigme charismatique suffit encore pour garantir une inspection qui ne soit pas régie par l’arbitraire, le bon et l’agréable et dont la principale dérive serait un fonctionnement induit par le seul désir de l’inspecteur.
Nous essaierons aussi de comprendre l’utilité et les limites du paradigme techniciste. Celui-ci, sous couvert de science et de gestion n’aurait-il pas tendance à considérer les acteurs des systèmes comme des objets d’études à contrôler et à diriger plutôt que des sujets à émanciper en participant à leur développement ?
Trois questionnaires, construits avec une même logique, ont été adressés aux inspecteurs, aux enseignants titulaires et enfin aux professeurs des écoles stagiaires.
Par exemple, une question, pour chacune des personnes interrogées devait les amener à dire en quoi un inspecteur de l’éducation nationale facilitait le travail des enseignants. Cette question se déclinait ainsi, dans chacun des trois questionnaires :
‘"L’inspecteur de l’éducation nationale facilite le travail des enseignants. Il leur permet en particulier de ...
(vous retiendrez trois actions que peuvent conduire les enseignants et qu’ils ne pourraient conduire sans vous)"’.
‘"Votre inspecteur de l’éducation nationale facilite votre travail, il vous permet en particulier de...
(vous retiendrez trois actions que peuvent conduire les enseignants et qu’ils ne pourraient conduire si l’inspecteur n’existait pas)"’.
‘"Vous pensez que votre inspecteur de l’éducation nationale facilitera votre travail. Il vous permet en particulier de ...
(vous retiendrez trois actions que peuvent conduire les enseignants et qu’ils ne pourraient conduire si l’inspecteur n’existait pas)"’.
Une autre, réservée aux inspecteurs et enseignants titulaire, portait sur l’information concernant les critères retenus pour l’évaluation que font les inspecteurs du travail des enseignants, au moment de l’inspection.
‘"Quelles sont les trois principales informations que vous apporterez aux enseignants concernant les critères de l’évaluation que vous allez porter sur leur travail ? (précisez à quel moment ou en quelle occasion)"’
‘"Quelles sont les trois principales informations que vous apporte votre inspecteur concernant les critères de l’évaluation qu’il portera sur votre travail ? (précisez à quel moment ou en quelle occasion)"’.
Ces questionnaires ont donc permis de recueillir les représentations des inspecteurs au moment où ils inspectent le travail des enseignants : que disent-ils qu’ils font ? Pour les instituteurs et les professeurs des écoles, ils devaient permettre de découvrir ce que ces enseignants pensent de l’attitude et de l’action de leurs inspecteurs, au moment de l’inspection de leur travail, dans une classe, et en présence d’élèves : comment ceux-ci perçoivent l’inspecteur et que disent-ils qu’il fait ? Enfin, les stagiaires ont été sollicités pour tenter de découvrir s’il existait une différence significative, dans les représentations qu’ils avaient de l’inspecteur, par rapport à leurs collègues en poste : comment imaginent-ils leur inspecteur et qu'écrivent-ils qu’il fera ?
Nous cherchons à montrer s’il n’existe pas, entre les inspectés et les inspecteurs, comme une espèce de barrière invisible, véritable obstacle au travail en commun des membres des équipes pédagogiques et de circonscription.
Les réponses des uns et des autres, présentées dans les pages suivantes, démontrent que les protagonistes se situent beaucoup plus dans une relation de face à face que de côte à côte.
Cette relation représente-t-elle un obstacle au travail en commun au sein des équipes d’école ? (C’est un travail cependant exigé par les textes officiels). N’est-elle pas aussi un handicap pour conduire un travail en lien avec les équipes de circonscription ?
Enfin, la représentation qu’ont les enseignants de leur inspecteur n’est-elle pas une difficulté supplémentaire pour leurs élèves face à des apprentissages131 parfois difficiles ? Et si cette relation était carencée, au point de ne pas permettre, ni aux uns, ni aux autres, de travailler sereinement, dans un espace devant cependant aider chacun des enseignants à tirer le meilleur parti possible d’un programme d’évaluation et de conseils professionnels ?
L’équipe de l'institut de recherche sur l’éducation (IREDU) a recherché les effets du travail des inspections primaires sur ‘"le fonctionnement des écoles et les acquis des élèves"’ 132 . Elle m’a apporté des éléments de réponse à une question de départ, lorsque je m'interrogeais sur l'efficacité des inspections pour le travail des maîtres et l'apprentissage des élèves. Les chercheurs concluent ‘"qu’une pratique relationnelle plus directive et un activisme intense de l’inspecteur dans les domaines de la formation continue, des animations pédagogiques et des visites d’inspection répétées ne participent pas à l’élaboration d’un climat favorable aux acquisitions des élèves ”’ et encore que ‘“ la qualité relationnelle apparaît comme un élément plus déterminant que la quantité des activités déployées"’ 133
C’est la première fois que nous assisterons à l’extinction d’un corps celui des instituteurs (les dernières négociations entre le ministère et les représentants des personnels la prévoient pour 2007), créé par le plan CONDORCET. Présenté les 20 et 21 avril 1792 à l’assemblée législative, son article deux précise : “les maîtres de ces écoles (primaires) s’appelleront instituteurs”. Il sera remplacé par celui des professeurs d’école créé en 1990. Ils sont recrutés à un niveau universitaire plus élevé et formés en Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
Dans sa lettre aux IEN, Alain BOUCHEZ, Doyen du groupe de l’Enseignement Primaire, relatait cette expression d’un élève : “C’est à l’école qu’on explique mais c’est à la maison que j’apprends” ; elle a quelque chose d’inquiétant.
les inspections primaires : disparité des dotations et des pratiques ; effets sur le fonctionnement des écoles et les acquis des élèves. JAROUSSE, LEROY-AUDIN, MINGAT, université de Dijon, décembre 1994.
in Les Notes de l’irédu : Les inspections primaires de l’Education nationale. n°95/5. Université de Bourgogne, CNRS. Dijon, 1995.