5- Des repères qui mettent en évidence “le face à face”

Nous avons été frappé par le décalage important, voire la fracture entre les réponses aux deux premières questions posées aux enseignants et aux inspecteurs. Nous les rappelons pour mémoire :

Question 1 - IEN
L'Inspecteur de l’Education Nationale facilite le travail des enseignants. Il leur permet en particulier de ... (vous retiendrez trois actions que peuvent conduire des enseignants et qu'ils ne pourraient pas conduire sans vous)
Question 1 - Enseignants
Votre Inspecteur de l’Education Nationale facilite votre travail. Il vous permet en particulier de ... (vous retiendrez trois actions que peuvent conduire des enseignants et qu'ils ne pourraient pas conduire si l'Inspecteur n'existait pas)
Tableau récapitulatif des réponses
IEN Enseignants
1 - Formation : 43 %
2 - Information : 25 %
3 - Médiation : 19 %
4 - Apports culturels : 13 %
1 - Formation : 37 %
2 - Information : 28 %
3 - Financement d'action : 20 %
4 - Médiation : 15%

Si l'on ne tient pas compte, dans un premier temps du fait que près d’un enseignant sur deux affirme ne pas voir son travail facilité par son inspecteur158(ils représentent 48% des réponses traitées), on constate qu'enseignants et inspecteurs semblent en phase pour exprimer des champs communs d'actions que sont la formation, l'information et, à un degré moindre, la médiation. Nous constatons en effet une certaine proximité des scores.

Cela étant, comment pourrions-nous ne pas tenir compte de ce cri vengeur ou de cet appel ? Il est cri vengeur si on considère que les enseignants ayant répondu au questionnaire qui leur a été directement adressé n'ont pas souvent eu, par le passé, l'occasion d'être interrogés pour dire ce qu'ils pensent de leur inspecteur. C'est sans doute l'une des raisons du faible taux de retour des questionnaires. Nous faisons l'hypothèse, confirmée par des sondages d'opinion159, ici et là tentés depuis, que les enseignants relativement satisfaits des comportements professionnels de leur IEN n'ont que faiblement répondu, à la différence de ceux qui avaient, légitimement ou non, une raison de se plaindre de l’action de leur inspecteur160.

Ce serait un appel, si comme nous le pensons, les enseignants interrogés ont le sentiment de ne rencontrer leur inspecteur, au mieux, que deux heures tous les trois ans, pour une visite d'inspection. L'inspecteur apparaît alors plus systématiquement comme un contrôleur, pointant ce qui ne marche pas, ce qui est à améliorer, en le notifiant dans un rapport qui se termine, plus de neuf fois sur dix, par l'augmentation de la note de l'enseignant161. Cela étant, peu d'enseignants interrogés depuis cette étude disent avoir été félicités par leur inspecteur quand, à l'issue d'une année scolaire, les résultats de leurs élèves à une évaluation ou à un examen ont été bons ou excellents. C'est un peu comme si la considération positive inconditionnelle, le regard positif, la congruence, l’authenticité, la réalité et la transparence et encore la compréhension empathique 162 étaient absents des attitudes des inspecteurs. Ce sont pourtant autant d’attitudes qui se complètent pour, dès lors qu'elles existent ensemble, poser les bases d'un climat de sécurité. Un climat qui, de toute évidence est propice à l’avènement des conditions nécessaires et suffisantes au développement des personnes et au-delà, des professionnels. Deux psychologues américains, Aspy et Roebuck163, ont, en 1976 et après une étude qui dura dix années, mis en relation les attitudes de l'enseignant dans sa classe - en reprenant celles décrites par C. Rogers- et les résultats des élèves. En se fondant sur de multiples heures d’enregistrement de séances en classes -à différents niveaux du système scolaire-, et de nombreux outils scientifiques d'évaluation, ils ont abouti aux résultats globaux suivants :

Quand existent chez l'enseignant les qualités humaines d'authenticité, de considération positive, de compréhension empathique :

Un autre résultat de la recherche précise que ces qualités humaines peuvent s'apprendre au cours d'une formation.

Beaucoup d'inspecteurs sont issus du corps des professeurs, d'autres du corps des instituteurs. A l'évidence, de telles sessions de formations n'ont pas été choisies, pour le cas où elles auraient été proposées à divers plans de formation des enseignants devenus inspecteurs. En tous les cas, une telle formation ne figurait pas au projet de formation du centre national de formation des personnels d’inspection en 1991/1992. Elle n'y figurait toujours pas à celui de l’ESPEMEN en 1997.

Quelle que soit la solution que nous retiendrons, "cri vengeur" ou "appel", nous verrons que des pratiques professionnelles fondées sur le paradigme que nous proposons dans la troisième partie peuvent apporter des éléments de réponses et infléchiraient celles d'une éventuelle nouvelle étude.

Pour la deuxième question posée à chacun des partenaires (les actions rendues impossibles à cause de l’existence même de l’inspecteur), on constate là aussi des points de convergence importants. En effet, la première action repérée par les uns et les autres comme rendue impossible du fait même de l'existence de l'inspection est le "non-respect des programmes et instructions officiels". On est certes assez éloigné de la mission "d'inspecteur-formateur" et très proche de celle "d'inspecteur-contrôleur" (scrutateur pour revenir au sens premier du terme164). La deuxième proposition des enseignants et celle des inspecteurs confirment cette analyse puisqu'elles accordent à l'inspection la capacité d'éviter des absences sans motif ou le non-respect des obligations de service.

Revenons maintenant sur les réponses aux questions n°3, n°5 et n°10.

Notes
158.

et dans un premier temps seulement, car comment ne pas tenir compte de ce "cri" lancé par les enseignants aux inspecteurs. De toute évidence ils ne se sentent pas suffisamment aidés par les IEN ; en tous les cas pas assez reconnus et sans doute trop jugés et contrôlés. Il faudra y revenir si l’on veut espérer travailler en partenariat !

159.

est-elle pour autant validée ?

160.

Pour l'exemple, nous évoquons ces faits : un IEN avait rencontré quelques difficultés dans sa circonscription, à cette époque, avec une équipe d'école dont les membres étaient des militants pédagogiques. Une visite d'inspection s'était soldée par un rapport sévère, aux reproches nombreux et une proposition de baisse de note pour l'un des enseignants. Comme il est d'usage en pareille situation, le cas de l'enseignant fut présenté en commission administrative paritaire départementale. A l'issue de celle-ci, il fut décidé qu'une nouvelle visite d'inspection serait effectuée, non pas par l'IEN de la circonscription, mais par l'IEN adjoint à l'inspecteur d'académie. Cette décision fut très mal ressentie et difficilement acceptée par l'IEN et nombre de ses collègues, et au contraire accueillie comme une victoire des praticiens de terrain contre l'administration "vétilleuse, inhumaine et incompétente" représentée par un IEN Les enseignants de cette équipe avaient reçu un questionnaire, ils l’ont tous renvoyé parfaitement renseigné.

161.

Moins de vingt cas de baisse de notes ont été comptabilisés dans le département du Rhône au cours de l'année 1996/1997. Ce département compte près de huit mille instituteurs ou professeurs d'école. Ces vingt cas représentent moins de 3%.

162.

J'emprunte ici à C. ROGERS, liberté pour apprendre ? Dunod, Paris, 1976., pages 115, 118, 125, 224 et 225. Ces attitudes y sont décrites.

163.

ces résultats sont décrits dans le numéro 324 de la revue Cahiers pédagogiques. Mai 1994, Page 26.

164.

Le mot est d'abord employé au sens figuré dans inspecteur du cuer, celui qui "scrute le coeur" en parlant de DIEU. Définition tirée du dictionnaire historique de la langue française, sous la direction de A. REY.