7- D’ultimes réflexions pour convaincre de la nécessité d’un changement et de l’introduction d’une autre dimension

La lecture et l’étude, même rapides, des réponses à ces questionnaires le montrent bien : en l’état et sans interprétation pessimiste, simplement en comparant les réponses données par les enseignants et les inspecteurs, l’image de l’inspection, et très certainement celle de l’inspecteur, sont une entrave à la réalité de ce que ceux-ci disent qu’ils souhaiteraient être et faire. Il semble clairement établi que l’inspecteur, partenaire des instituteurs et des professeurs des écoles, n’existe pas ; ou alors, s’il existe, c’est souvent comme l’un des deux adversaires qui se retrouvent sur un ring pour disputer un match de boxe, ou éventuellement l’un des partenaires d’une rencontre de catch, dont on sait que les résultats sont moins incertains et souvent prévus et que dans ce cas le match est truqué.

En fait, l’inspecteur n’a peut-être pas à être un partenaire. Ce terme, emprunté en 1767 de l’anglais partner et dont le sens spécifique de ‘"personne, qui a des intérêts communs avec d’autres", apparu en 1781 chez BEAUMARCHAIS"’ 173 , est beaucoup utilisé, dans de nombreux domaines tels que ceux de l’industrie et du commerce, par exemple, mais ne correspond pas à la réalité du champ de l’inspection des instituteurs et des professeurs des écoles.

Le travail de l’inspecteur doit cependant être partenaire et articulé à une certaine existence des missions de l’école. Il nous paraît très important que l’inspecteur oeuvre pour, par exemple, préserver ou protéger l’enseignant de la puissance ou des malveillances parfois excessives de certains parents174 ou directeurs175. De même un inspecteur, garant du devoir d’état à instruire et à enseigner, a tout à fait sa place sur l’échiquier du système éducatif. Il resterait cependant à savoir quelles sont les conditions, si elles existent, qui permettraient à cet inspecteur d’être, tout à la fois contrôleur, animateur et formateur.

La question qui est posée, dès lors, est bien celle de l’évolution des représentations des enseignants à l’égard de leurs inspecteurs. Un des éléments de réponse résiderait, selon nous, dans la présence forte et active d’une dimension éthique et déontologique dans l’acte d’inspection car, même si l’inspection ne représente pas la part la plus importante, en temps, pour l’inspecteur176, ce temps-là est parfois traumatisant, souvent difficile, trop rarement un moment positif pour les enseignants et ses buts clairement définis pourraient se résumer ainsi :

Si la question se pose moins dans l’entreprise177, il semble que l’administration de l’éducation nationale ait encore à se convaincre de la nécessité pour une institution de faire savoir à ses collaborateurs ce qu’elle attend d’eux avec le plus de précision possible, mais aussi de les aider à faire efficacement leur travail et de rétribuer leur contribution. Il semble très important également d’identifier ceux qui seraient aptes à assumer d’autres responsabilités, pour les aider à développer leur potentiel et leur proposer, le cas échéant, de nouvelles fonctions. Nous constatons actuellement que les inspecteurs de l’éducation nationale n’ont que peu de possibilités de proposer d’autres choix que devenir formateur, directeur ou tenter le concours de l’inspection, pour les maîtres brillants. Il n’existe pas, et c’est regrettable, de promotion pour un enseignant efficient qui ne souhaite pas quitter sa classe.

Si l’éducation nationale se doit d’informer sur ce qui est attendu des enseignants, ceux-ci ont besoin de savoir comment leur travail sera évalué. Ils devraient aussi savoir quelle évolution professionnelle ils peuvent attendre de leurs capacités et de leurs efforts.

Cette dimension encore balbutiante, pour exister pleinement, devrait s’appuyer sur trois principes fondateurs :

  1. celui qui postule de reconnaître autrui avant même de le connaître,

  2. celui de la préférabilité inconditionnelle d’autrui au plan professionnel, et enfin,

  3. celui de l’éducabilité.

Cette dimension doit se donner les moyens d’exister car l’acte d’inspection s’inscrit dans une relation interpersonnelle et cette relation interdit un certain nombre de pratiques178 dans le même temps qu’elle en autorise d’autres.

Celles-ci contribueront à faire se développer une inspection capable de :

On le voit, cette inspection se définit plus en terme de développement des ressources humaines et des compétences professionnelles des personnels qu’en termes d’administration et de gestion des postes.

Nous préférons utiliser le terme de développement des ressources humaines à celui de gestion le plus souvent entendu comme gestion à masse constante. Il y a dans ce dernier concept une contradiction avec le principe d’éducabilité lui-même héritier du principe de perfectibilité cher à Rousseau. Une des limites de la gestion est d’être une gestion du donné, du déjà là. Ainsi une bonne gestion peut-elle se contenter de déplacer les professionnels, au gré des besoins de l’entreprise, sans avoir le souci de créer une dynamique qui permettrait d’aider les personnes à trouver des places non assignées par avance.

Une inspection qui promeut le développement des ressources humaines peut puiser dans le paradigme charismatique du fait même que l’inspection fait se rencontrer des personnes et que ni le charisme ni la séduction ne sont absents des relations entre les personnes, fussent elles des professionnelles. L’important n’est pas de tenter d’échapper au charisme ou à la séduction d’autrui mais de rester conscient et clairvoyant pour pouvoir, le cas échéant, s’échapper du charisme ou de la séduction, évitant ainsi l’emprise et l’assujettissement.

Une telle inspection se doit aussi, ayant le souci de la rigueur et du professionnalisme, d’emprunter au paradigme techniciste.

Mais pour que la gestion des ressources humaines se transforme en développement des ressources humaines et ne soit pas qu’un management instrumentalisé, elle doit se pratiquer en référence à des valeurs éthiques et faire appel au paradigme déontologique.

La partie suivante définira ce nécessaire paradigme. Elle proposera des outils et des actions prouvant qu’il est déjà présent dans certaines pratiques.

Notes
173.

dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’A. REY.

174.

Nous citerons ici une enquête diffusée par la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, pendant l'hiver 1995, dans les écoles du département du Rhône et dont l'objectif était de recenser les enseignants en difficulté dans les écoles. Il a fallu l'intervention de l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux pour faire cesser cette procédure.

175.

L'exemple que nous retiendrons est celui d'un directeur qui, trouvant qu'un des enseignants, maître formateur de son équipe, était à son goût trop sollicité par l'I.U.F.M. ou le rectorat qui le convoquait à des oraux d'examen, adressa un courrier indigné à son IEN pour qu'il ramène ce professeur d'école, sinon à la raison, du moins sous sa coupe autoritaire. Ce qui nous frappe, c'est que la réaction de l'IEN, sans être objectivement et explicitement hostile à l'enseignant, fut d'emblée de prendre parti, avec toute la subjectivité d'un tel acte, pour le directeur auquel il reconnaissait malgré tout un versant "caractériel".

176.

Un rapide calcul montre que l’inspection d’un enseignant du premier degré ne représente qu’un très faible pourcentage de la vie professionnelle de l’un comme de l’autre. En moyenne, une inspection de deux heures tous les trois ans représente donc moins de 1% du temps de travail de l’enseignant ; pour l’inspecteur, avec une moyenne de 80 inspections par an, cela représente moins de 10%.

177.

Nous avons pu consulter, à titre d’exemple et pour information, des formulaires destinés à l’évaluation des personnels de plusieurs entreprises privées, ils se nomment programmes d’évaluation et de conseils professionnels, suivi individuel de progrès ou encore livret de travail Entretien de Performance. Les buts affichés sont de fournir un cadre autorisant une discussion franche, ouverte et directe concernant la contribution de chaque individu et son évolution, mettre les performances attendues de chaque individu en ligne avec les buts et objectifs de l’entreprise et l’unité opérationnelle, faire en sorte qu’il y ait compréhension des performances attendues et accord quant à celles-ci et enfin, mettre au point un plan d’évolution qui permette l’enrichissement et le développement de chacun.

178.

M. GIRAUD qui fut lui aussi inspecteur primaire me rapporta, racontés comme authentiques par J. CRESSOT, auteur de "le pain au lièvre", paru chez Stock en 1973, ces conseils pour un inspecteur en visite : "Vous descendez du car après l’école, remontez les ruelles discrètement et entrez brusquement sans frapper ! "Heureusement, un autre inspecteur, il s’agit de G. THOMAS, me rappela que les maîtres, pas le premier inspecté de la journée, mais les suivants, étaient prévenus : "les élèves préviennent,, - va porter cette lettre à Madame G.... Chacun comprenait que l’inspecteur était dans l’école". Je me souviens, en C.M.2, avoir rendu ce service.

Enfin, que penser de "ce conseil" prodigué dans les années 50 par un inspecteur : "Madame, vous mettrez du rouge à lèvres la prochaine fois !" ?