1 - Morale, Ethique et Déontologie

1.1- Morale

La morale avec les principes d’obéissance qui la sous-tendent est assez éloignée du paradigme éthique et déontologique qui contribuera à relier les enseignants et les inspecteurs dans un travail à construire pour un intérêt commun, celui qui permettra au plus grand nombre d’apprendre et de comprendre le sens du travail scolaire à l’école.

Le travail commun que devraient conduire les inspecteurs et les enseignants, en dépit d’une différence de statut de ces acteurs, saura s’enrichir de leurs différences en reconnaissant leurs ressemblances. Il fondera sa légitimité et son existence sur un même projet, celui de l’éducation et de la responsabilisation des élèves en reconnaissant un statut à l’élève et en proposant un accès à la connaissance et à la citoyenneté, dans une école pluridimensionnelle182, ouverte à tous, scolarisant chacun.

Car en effet, ‘"Là où l’entreprise de moralisation n’a de cesse de substituer de nombreux liens autrement plus solides au cordon ombilical, le projet éthique lui, n’a d’autre visée que de couper ces liens"’ 183 aussi est-ce parce que nous souhaiterions que se développe un tel projet émancipateur que nous ne pouvons défendre une pratique exclusivement fondée sur la morale. La morale dit le Bien, ce concept normatif qui désigne ce qui est conforme à la norme ou à l'idéal moral, en lutte contre le Mal. On retrouve chez Platon "l'idée du Bien", au sommet de la pyramide de la hiérarchie du domaine intelligible ; elle serait l'objet de la science suprême et de la sagesse la plus haute : ‘"elle est la cause de tout ce qu'il y a de droit et de beau (...) en sorte qu'il faut l'avoir vue pour se conduire avec sagesse, soit dans la vie privée, soit dans la vie publique"’ 184 .

A l'image du devoir, la morale oblige, commande, implique l'idée d'obéissance. c’est un impératif catégorique 185 . Chacun est tenu d’obéir à la loi morale sans y être contraint par un autre motif que de la respecter.

En un sens, la morale serait pragmatique et appliquée :

  • pragmatique car elle prescrit ce qu'il convient de faire : le bien contre le mal ;

  • appliquée, elle est le tuteur de l'agent moral circonscrivant la réflexion au point de lui faire perdre toute attache et privilégiant l'action préalablement déterminée.

La morale serait de l'ordre du : il faut ! La question à laquelle elle tente de répondre pourrait être : que dois-je faire ? Elle se veut absolue et universelle, valable en toute occasion.

Il faut, avec la morale, aimer l’autre, inconditionnellement, au risque de ‘“subalterniser l’amour”’ comme l’écrit V. JANKELEVITCH186, et l’aimer pour soi, de ‘"cet amour qui aime l’hominité de l’homme - et l’aime d’amour, non par raison -, qui aime le genre humain comme on aime quelqu’un qui aime incompréhensiblement la personne en général, qui aime le genre humain incarné dans la personne et la personne élargie aux dimensions de l’humanité,(mais) cet amour est évidemment paradoxal"’ 187. En effet, il est paradoxal d’aimer l’autre, même s’il ne le mérite pas, et peut-être même surtout si l’autre ne le mérite pas ; JANKELEVITCH précise que c’est là tout le contraire de l’amour gratuit.

Ne serions-nous pas en situation aporétique, celle d’un amour pactisé ? Un amour calculé pour sauver, sinon son âme, du moins sa personne ? L’ipse ne se risquerait alors à agir que sous l’influence du caractère d’obligation de la norme, guidé par des moeurs doublement connotées : ce qui est estimé bon et ce qui s’impose comme obligatoire.

Notes
182.

Nous aurions aussi pu écrire “plurinutritionnelle”, pour reprendre une proposition de J. LEVINE qui fait le constat suivant : l’école est “mononutritionnelle”, en ce sens qu’elle ne s’appuie pour évaluer les élèves que sur un seul modèle, celui de l’abstraction. Les élèves qui n’ont pas la chance de fonctionner sur ce modèle, ceux qui ont besoin de construire, d’expérimenter, de manipuler ou de créer sont mis de fait en difficulté. Ceux, issus de familles pour lesquelles la réussite et la reconnaissance passent par la force physique ou la séduction, la réalisation ou la création, n’ont pas d’espace pour se faire reconnaître. Ils courent de fait, le risque d’être relégués et abandonnés. Aussi J. LEVINE milite-t-il pour une école qui prendrait en compte, à parts égales, les “quatre langages” suivant :

- le langage de l’abstraction et de la conceptualisation qui domine actuellement, celui de la réalisation et de la construction, celui de l’inventivité, de la création et des talents et enfin celui de la relation et de la coopération. Nous retrouverons ces principes développés dans la quatrième partie intitulée "l'inspecteur et la gestion de l'hétérogénéité".

183.

La question de l’éthique dans le champ éducatif , F. IMBERT, Pi Matrice, 1987, page 16.

184.

La République , Platon, 517.

185.

Kant, pour qui "le devoir est une nécessité d'accomplir une action par respect pour la loi". L'impératif catégorique se formule ainsi : "Agis toujours d'après une maxime telle que tu puisses vouloir qu'elle devienne en même temps loi universelle". Fondements de la métaphysique des moeurs, éditions V. Delbos. Delagrave. A cet impératif, Hans JONAS, dans le principe de responsabilité, Cerf, 1990, en substitue un nouveau : "Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre. Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie. Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l'humanité sur terre. Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de l'homme comme objet secondaire de ton vouloir".

186.

le paradoxe de la morale, édition Le SEUIL, collection Points, page 43

187.

V. JANKELEVITCH, op. cité, page 45.