1.2- Ethique

Puisque ‘"Réagir par l’éthique rappelle à nous les valeurs universellement reconnues. L’Homme n’est pas un produit, ni un producteur, il est avant tout une personne"’ 188, alors n’avons-nous d’autre alternative que la voie de l’éthique (et de la déontologie) chaque fois que nous nous posons la question : Que faire pour ne pas nuire à autrui tout en lui offrant sa part de responsabilité ?

Nous compléterons la définition de l'éthique, prenant appui sur les écrits de philosophes tels Emmanuel LEVINAS189 ou Jurgen HABERMAS190, par un principe de conduites, personnelles et publiques, privées et professionnelles, qui veillent et visent à ne pas nuire à autrui et à lui être favorable 191.

Il s'agit donc ici, de la pensée de ceux que l'on pourrait nommer les philosophes de la modernité qui ont cherché à fonder une éthique universelle laquelle serait dépourvue de références à la transcendance divine192.

Mais l’éthique est aussi très liée à une conception du développement d'autrui à long terme, pour ce qui lui est favorable et contre ce qui lui serait défavorable. Elle implique d'avoir cette préoccupation de l'histoire de l'Autre et de son devenir, pour tenter de transmettre une conception de l'avenir qui soit ouverte, sans être béatement optimiste, pour tenter de transmettre à autrui une conception de la gestion de sa vie qui puisse lui être utile.

Car l’éthique inscrit indubitablement nos actions dans cette obligation que l’on s’impose, à soi-même, cette responsabilité que l’on prend pour garantir sa liberté en regard de celle des autres.

De plus en plus, chacun, ici et là, à travers la constitution de comités, de groupes de réflexion et quel que soit le champ professionnel traversé, fait appel à l’éthique. Michel Cusin, professeur des universités, s’interrogeant sur ce phénomène, avançait une hypothèse que nous reprenons ici pour la soumettre au lecteur. ‘"L’éthique et le besoin que chacun éprouve à s’y référer n’existeraient que parce qu’il n’y a pas d'ethos, de manière d’être habituelle, dans la civilisation humaine"’ 193.

Les êtres humains ne sont pas réglés par l’instinct et se différencient de la panthère ou du lion qui ne se posent pas de question quant à la fin à réserver à la gazelle dès lors que la faim est là. L’Homme se questionne et raisonne, l’être humain questionne pour tenter de se raisonner.

Paul RICOEUR194 s’interroge et nous interroge sur la distinction à opérer entre éthique et morale. Il précise qu’il n’y a rien dans l’étymologie ou dans l’histoire de l’emploi des termes qui ne l’impose. L’un vient du grec, l’autre du latin195 ; les deux renvoient à l’idée intuitive de moeurs.

C’est donc par convention que RICOEUR souhaite réserver le terme d’éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de morale pour l’articulation de cette visée dans les normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte196. Nous nous rangeons à cette convention.

Notes
188.

in “Parler à l'école”, F. LUCIANO-BRET, op. cit., page 80.

189.

Avec E. LEVINAS, le sacré nourrit parfois notre modernité. Pour lui, le message biblique pose les fondements de la pensée éthique. Il souligne cette plénitude en écrivant : "La Bible est le Livre des Livres où se disent les choses premières, celles qui devaient être dites pour que la vie humaine ait un sens". éthique et infini, entretiens avec Ph. Némo, Fayard 1982. Il présente l'éthique comme une expérience irréductible se donnant dans le face à face des humains. Dans Entre nous, Grasset, 1991, il écrit : "Je ne dis pas qu'autrui est Dieu, mais que dans son visage j'entends la parole de Dieu".

190.

HABERMAS considère que c'est vers la communication et l'interprétation des signes que le penseur doit se diriger. Pour lui, la discussion authentique s'appuie sur la force dépourvue de violence du discours argumentatif. Toute communication présuppose que l'autre est une personne : la communication signifie le règne éthique ou moral. "Je te reconnais avant même de te connaître". Les postulats de la reconnaissance et de la responsabilité d'autrui sont posés. Un principe d'universalisation est inhérent aux formes mêmes du débat, lequel manifeste ce qui est valable pour tous. Il écrit dans Morale et communication, “Seul est impartial le point de vue à partir duquel sont universalisables les normes mêmes qui, parce qu'elles incarnent manifestement un intérêt commun à toutes les personnes concernées, peuvent escompter une adhésion générale et gagner, dans cette mesure, une reconnaissance intersubjective. (...) Le principe d'universalisation doit donc imposer l'échange universel des rôles que G.H. Mead a défini comme "adoption idéale de rôle" ou comme "discours universel argumenté". Toute norme valable doit donc satisfaire la condition selon laquelle les conséquences et les effets secondaires qui (de manière prévisible) proviennent du fait que la norme a été universellement observée dans l'intention de satisfaire les intérêts de tout un chacun peuvent être acceptés par toutes les personnes concernées".

191.

E. Kant, dans Fondements de la Métaphysique des moeurs, LGF. 1993. Il précise qu’"Etre bienfaisant, lorsqu'on le peut est un devoir et, de plus il y a certaines âmes, si naturellement sympathiques, que sans aucun motif de vanité ni d'intérêt, elles trouvent une satisfaction intérieure à répandre la joie autour d'elles, et elles jouissent du bonheur d'autrui en tant qu'il est leur ouvrage. Mais je soutiens que dans ce cas, l'action, si conforme au devoir, si aimable qu'elle soit, n'a pourtant aucune vraie valeur morale, et qu'elle va de pair avec les autres inclinations, par exemple avec l'ambition, qui, lorsque, par bonheur, elle a pour objet une chose d'intérêt public, conforme au devoir, et, par conséquent, honorable, mérite des éloges et des encouragements, mais non pas notre respect ; car la maxime manque alors du caractère moral, qui veut qu'on agisse par devoir et non par inclination".

192.

En ce sens, ils s'opposent à la grande tradition philosophique pour laquelle la quête morale s'apparente à la recherche d'une norme qui permette aux hommes de vivre ensemble. Cette quête s'identifie au devoir. Dans cette optique, on peut classer la morale traditionaliste confucéenne (respect des anciens et des règles vertueuses) et les morales issues des grandes religions (judaïsme, christianisme, islam) qui consistent en des préceptes de solidarité à l'égard d'autrui et une série d'interdits. (D'après Jacques LECOMTE, "les valeurs morales aujourd'hui", revue Sciences humaines n°46, 1995).

193.

M. CUSIN, éthique et relation de parole, conférence donnée à l’IUFM de l’Académie de LYON, novembre 1995.

194.

P. RICOEUR, Ethique et morale, Soi-même comme un autre, Le Seuil, Paris, 1990, pages 200-201.

195.

Ethique vient du grec êthicon neutre substantivé de êthicos "qui concerne les moeurs". Le terme grec est un dérivé de êthos "manière d’être habituelle". Morale vient du latin moralis "relatif aux moeurs", spécialisé en scolastique, de mores pluriel de mos. In dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain REY, dictionnaires LE ROBERT, PARIS, 1994.

196.

Paul RICOEUR, dans son ouvrage Ethique et morale, se propose d’établir :

"1) la primauté de l’éthique sur la morale ;

2)la nécessité pour la visée éthique de passer par le crible de la norme ;

3) la légitimité d’un recours de la norme à la visée, lorsque la norme conduit à des impasses pratiques".