Quatrième partie
De la "contagion" éthique

‘"Le verbe apprendre devrait décrire un entretien symétrique. Nul, en effet, n'en sait plus que quelque autre, au moins toujours et en toutes choses ; cela n'arrive que parfois et sur certains points.
Alors, il a le devoir de partager sa science et de l'échanger avec celui qui l'ignore, contre celle qu'il ignore. Dis-moi comment pétrir le pain et je te ferai voir la physique nucléaire : nous voilà soudain, enseignants et enseignés, mêmement ; nous apprenons l'un de l'autre, égaux en droit. Equivalent, l'échange suppose qu'autant que les hommes, tous les savoirs, pratiques ou théoriques, se valent, y compris ceux que l'arrogance ne veut pas reconnaître, en raison de leur condition humble et basse.
Tous les savoirs sont libres et égaux en droits"
’Michel SERRES, contre l'illettrisme : l'égalité et le partage des savoirs, Enseignant magazine n° 2, Août-Septembre 1997, page 34.

Cette ultime partie insistera sur le rôle que doit tenir un inspecteur qui décide de participer activement et sans tricherie au développement des ressources humaines des enseignants de sa circonscription.

Selon Jacques LEVINE, docteur en psychologie et psychanalyste, avec lequel nous nous sommes entretenus, trois possibilités s’offrent à l’inspecteur, lorsqu’il est en visite d’inspection dans une classe, en présence d’un enseignant et d’élèves.

Une seule autorise et favorise l’émergence et la reconnaissance de la liberté et de l’égalité d’accès à tous les savoirs pour chacun des élèves. Une seule fait référence à la position éthique qui doit lester l’action de l’inspecteur. Il s’agit de la capacité et de la volonté pour l’IEN de s’obliger à se confronter aux problèmes de l’enseignant dont il est chargé d’inspecter le travail238. Il s’agit enfin, pour l’inspecteur, de montrer sa capacité à s’identifier, un instant, après avoir repéré tel élève en difficulté, de s’interroger pour oser dire : "Et si j’étais confronté à ce problème, qu’est-ce que je ferais ?". Jacques LEVINE poursuit : ‘"un inspecteur qui ne s’oblige pas à s’identifier, un inspecteur qui reste en dehors de la classe est un inspecteur qui triche"’ .

Nous décrirons dans cette quatrième partie des actions pédagogiques qui, assurément, ne sont pas des tricheries. Elles sont conduites par des enseignants qui accueillent, dans leurs classes au public hétérogène, des enfants ayant tous un statut d’élève reconnu et qui n’ont pas été sélectionnés, en amont du système scolaire par leur lieu de naissance.

Mais avant, nous rappellerons que jusque dans les années 20, seul un faible pourcentage des élèves poursuivaient des études dans les lycées239. Très rapidement, les enfants peu motivés ou dont le profil social ne correspondait pas suffisamment à celui du bon élève, étaient considérés comme des cancres et orientés vers la vie active. L'école élémentaire, école des apprentissages encore dits de base, ne préparait pas systématiquement aux études longues. Seuls, comme l'écrit F. DUBET240, en référence à Beaudelot et Establet, "les héritiers", d'origine bourgeoise, étaient socialement "programmés" pour des études longues et l'apprentissage des humanités. Quelques boursiers d'origines plus modestes se joignaient à eux ; l'école représentait alors pour ces excellents élèves la garantie d'une promotion sociale.

Le long processus de massification depuis les années 60 n'a cessé de modifier le problème du sens de l'école pour les élèves, les parents mais aussi pour les enseignants. Ces derniers voient arriver dans leurs classes des élèves qui brisent les connivences du passé entre maîtres, élèves et familles ; ils font entrer dans les classes une diversité des cultures et des comportements jusqu’à ce jour méconnue et pour laquelle aucune anticipation n'a été faite qui aurait permis une adaptation des attitudes professionnelles.

La massification et la démocratisation du système scolaire ont pour corollaires la diversification et l'hétérogénéité des publics. On parle bien sûr des élèves, tous différents, mais la création des IUFM et le recrutement des professeurs des écoles stagiaires au niveau de la licence modifient aussi la population des nouveaux maîtres d’école. Beaucoup ont eu, avant de tenter et de réussir le concours de l’IUFM, un parcours universitaire et professionnel riche et varié, souvent de haut niveau.

Notes
238.

Au cours du même entretien, Jacques LEVINE précisa les deux autres possibilités. L’inspecteur peut regarder, observer ce qui se passe, à travers le filtre de grilles ou de guides d’observation bâtis en fonction de normes académiques et administratives puis prescrire : "Vous devez... !". Il peut aussi pratiquer un début d’identification, accepter de rentrer plus avant dans la classe et observer les élèves, y compris ceux qui n’apprennent pas et tenter de conseiller : "Vous devriez faire...". Il ne retient aucune de ces deux possibilités comme dignes et nous nous rangeons à son avis. Elles sont, pour lui, toutes les deux des tricheries de l’inspecteur.

239.

"L'enseignement primaire était clos par le certificat d'études primaires que passaient 80% des élèves ; 14% poursuivaient dans le primaire supérieur et 6% dans l'enseignement secondaire" D'après M. FOURNIER, Sciences humaines numéro 76, page 25.

240.

F. DUBET, Pourquoi va-t-on à l'école ?, Sciences humaines numéro 76, octobre 1997.