2 - Une école de l'apprentissage et de la compréhension

Or, nous constatons actuellement encore que les pratiques pédagogiques sont essentiellement centrées sur le développement de compétences cognitives qui n'aident pas suffisamment les élèves suivistes. Elles laissent trop peu de place à la manipulation, à la réalisation ainsi qu'au développement des passions ou tout au moins des centres d'intérêt des élèves.

L'étude des rapports d’inspection montre que la majorité d'entre eux porte sur ces disciplines dites fondamentales258 et que les séquences décrites sont dans une tout aussi forte majorité des leçons ou des exercices dits d'application. Nous le voyons, le cognitif conçu autrement est difficile à mettre en pratique et l'une de ces difficultés rencontrées par les maîtres est bien de réussir un enseignement et des apprentissages pluri-directionnels pour les élèves qui ne présentent pas a priori un "bon profil" ou qui ne vivent pas dans un environnement qui leur permet de jongler avec les symboles et les concepts. Des enseignants se heurtent à l'obstacle qui, une fois franchi, transformerait l'insupportable en supportable. Il s'agit de dédramatiser chaque fois que c'est possible, mais en tentant de localiser avec l'enfant les difficultés pour élaborer de concert avec lui, des stratégies de redressement. Il s'agit aussi d'opposer à l'impatience la nécessité de prendre du temps, nécessaire à la réparation et la maturation. En fait, il devrait s'agir pour l'enseignant de transmettre à l'enfant quelque chose de tout à fait essentiel : lui apprendre à se comporter face à l'imprévu, face "à l'autrement que prévu". Cette transmission sera d'autant plus précieuse pour l'enfant qu'il ne cessera, tout au long de sa vie, de rencontrer "l'autrement que prévu" et des situations difficiles à vivre qu'il conviendra d'aménager pour les rendre plus tolérables.

CHARLOT, BAUTIER et ROCHEX ont montré combien une pédagogie du simple et de l'utilitarisme, non seulement n'aide pas les élèves en difficultés à résoudre ces dernières mais au contraire, accroît les inégalités et creuse les écarts259. Selon ces auteurs, les processus qui produisent "l'échec" ou conduisent à la "réussite" scolaires dépendraient davantage du sens que les élèves peuvent donner à leur scolarité qu'à une différence initiale de leur capital culturel ou de leurs compétences cognitives260.

Ce sont donc des pratiques pédagogiques diversifiées qui doivent se développer majoritairement dans les écoles. Les élèves y effectueront des travaux de recherche pour exprimer d'autres compétences, d'autres talents aussi utiles à la compréhension de concepts nouveaux. Deux exemples de pratiques pédagogiques qui vont dans le sens défini et décrit précédemment viennent illustrer maintenant notre propos ; ils sont présentés sous forme d’entretiens : il s'agit de "la classe Titou" et de "la classe village" 261 .

Le premier relate une expérience conduite par une institutrice du cycle 1, dans une classe maternelle de grande section. "Titou" est une grande poupée de chiffon au visage expressif ; c’est un véritable accompagnateur qui aide les élèves à affronter, moins seuls, tout ce qu’il y a de nouveau et d’inconnu dans le monde scolaire - par exemple en matière d’écrit -. C’est aussi "un double" que chaque enfant peut adjoindre à son imaginaire (tantôt il les aime, les console, tantôt il prend l’attitude de quelqu’un qui leur fait la leçon). La présentation complète de cette expérience est proposée pages suivantes.

L’autre exemple présente "la classe village". C’est une classe de cycle deux (un cours préparatoire) dans laquelle le visiteur, dès son entrée ne retrouve pas les repères habituels. Les élèves y circulent sans demander la moindre permission mais sans gêner les autres ; ils changent la disposition des tables selon le travail en cours. Sur chaque table règne un empilement de documents allant de magazines à des dictionnaires en passant par un carnet au titre évocateur : "mes idées" ou bien encore un journal de bord dans lequel chacun inscrit, en face d’une liste de tâches, ses résultats et ses impressions. Le visiteur apprend que cette classe tire son nom du fait qu’elle est composée de cinq familles comprenant chacune cinq membres organisés en véritable "communauté de chercheurs". La présentation de cette seconde expérience se situe immédiatement à la suite de celle de "la classe Titou".

Notes
258.

“ Si la variété est la règle à l’école maternelle, à l’école élémentaire, l’observation porte d’abord sur l’enseignement du français (58%) quelle qu’en soit la nature et sur les mathématiques (25%). (...) Leur poids, 83% au total, dépasse largement les horaires qui leur sont dévolus. Les autres disciplines sont réduites à la portion congrue : à peine 10% pour l’histoire et la géographie, moins de 4% pour les sciences et la technologie, 6% pour les disciplines artistiques, 1% pour l’éducation physique et sportive. Ces pratiques accréditent l’idée que les maîtres des écoles primaires sont des spécialistes des disciplines instrumentales (le fameux "lire, écrire, compter") au détriment de leur mission éducative au sens large ”. Rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, rapporteur J. FERRIER, 1995, page 11.

259.

B. CHARLOT, E. BAUTIER, J.Y. ROCHEX, Ecole et savoirs dans les banlieues...et ailleurs, A. Colin, Paris, 1992.

260.

Ces malentendus qui font la différence, La scolarisation de la France. Critique de l'état des lieux, Jean-Pierre TERRAIL (dir), la dispute, Paris, 1997. Pages 103-120.

261.

La classe Titou est conduite par A. PAUTARD, La Classe Village par G. MILLET. On peut retrouver ces présentations dans le numéro 5 de Je est un autre, AGSAS, Paris, 1996.