“La classe-village”

Sans s’inscrire dans des projets aussi globaux, d’autres pratiques peuvent exister, par exemple, pour redonner le goût d’apprendre à lire à des élèves en difficulté. Il peut s’agir de travaux qui mettront en jeu l'argumentation, ou bien permettront une réalisation. Ce sont autant d'activités qui participent à la formation d'un esprit capable de s'intéresser à autrui, d'exprimer des sentiments, de construire des règles pour entretenir des relations et combiner le monde de la lecture à la lecture du monde. Je pense à des échanges entre des élèves de cinquième d’une Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté avec ceux d'une classe d'école maternelle. Ils ont motivé des adolescents en difficulté ; ils ont repris goût à la lecture et à l'écriture, mobilisés par un projet valorisant qui les a conduits à créer puis rédiger des histoires pour ensuite les lire aux "petits de la maternelle".

De tels travaux s'inscrivent dans une dynamique de recherche-action proposée à une classe pensée comme une communauté de chercheurs. Les règles de vie en commun, co-élaborées et énoncées clairement créent un fort lien social et permettent la formation d'un appareil groupal où l'identité collective et l'identité individuelle ne s'opposent pas mais se stimulent ; les travaux de calcul et ceux qui portent sur le langage écrit y sont objets de recherche collective.

La classe peut débuter par le travail sur la lecture et le calcul qu'on a fait à la maison, de sa propre initiative, seul ou avec les parents. Le texte sur lequel on travaille et qui contient les grandes préoccupations des enfants sur la vie est d'abord joué, puis livré à l'imaginaire. La déconstruction et la reconstruction du langage écrit s'effectuent par des moyens concrets (découpages de mots, collages). Enfin, un temps est offert pour l'expression de ce que chacun ressent et a découvert tant dans la classe que dans la vie quotidienne (ce qu'on aime, ce qui fait peur, ...)262.

Chacun se voit alors offrir une place (un espace et du temps) pour exprimer ses envies, ses difficultés mais aussi ses succès comme autant de points d'appui pour développer encore davantage "l'intelligence des situations".

Ce sont de tels travaux et activités qui permettront le passage entre l'apprentissage et la compréhension. Compréhension de la complexité des disciplines plutôt qu'apprentissage fonctionnel et utilitariste d'une discipline.

En effet, ce n'est qu'en acceptant d'entrer dans la complexité des disciplines, en refusant le leurre d'un apprentissage systématique et mécanique comme le décrit B. Charlot que l’on aide les élèves à se (re)mobiliser. Un apprentissage, par exemple, qui réduit l'enseignement du français à celui de l'orthographe et celui de l'orthographe à l'apprentissage de la règle d'accord du participe passé employé avec l'auxiliaire avoir interdit, trop souvent cette mobilisation. De telles pratiques ne facilitent pas la compréhension, tout au plus permettent-elles d'appliquer, dans certaines situations bien particulières, des règles. L'élève retrouve alors un rôle d'exécutant, il est en quelque sorte un bon sujet pour la classe et les résultats des évaluations de tous ordres. En réalité il n'est que l'objet de l'école de la transmission.

Certes, une proportion non négligeable263 d'élèves a acquis cette compétence et développe une attitude qui permet de comprendre et de dépasser enfin le seul apprentissage. Mais pour les autres, tout doit être tenté pour leur transmettre le désir de comprendre, c'est-à-dire de développer une intelligence de la compréhension des situations les plus imprévues pour que chacun ne soit plus angoissé par le non-attendu mais au contraire stimulé pour tout mettre en oeuvre afin de chercher des éléments de réponses appropriées. Je pense que comprendre est plus puissant qu'apprendre ; en tous les cas, c'est l'une des clés pour ouvrir la porte de la réussite scolaire et personnelle à la forte proportion des élèves suivistes.

Aussi les maîtres doivent-ils être encouragés et préparés à saisir ce moment authentique, celui au cours duquel, "un je ne sais quoi et un presque rien" font que l'élève franchit le pas qui le conduira de l'apprentissage à la compréhension.

Reprenant l'exemple de la lecture, nous serions tenté d'écrire alors que des conditions préalables, des conditions facilitatrices doivent être mises en place pour aider les élèves. Il s'agira de tous les travaux qui développeront l'imaginaire, par des dialogues dans la classe, animés et régulés par l'adulte ; ils seront autant de moments permettant aux élèves d'exprimer leurs préoccupations, de les jouer avant de les livrer à leur imaginaire. Il pourra s'agir également d'exprimer ce que chacun ressent, de se représenter par rapport à autrui, de faire part de ses découvertes, provoquant et recherchant l'échange.

Pour réussir cette part importante de sa fonction d’accompagnement des enseignants, l'inspecteur devra, au nom du principe qui fait que l'évaluation pilote l'action, connaître ces actions pédagogiques pour les reconnaître, en rendre compte et les promouvoir.

Ce sont des conditions nécessaires pour faire de l'inspecteur un accompagnateur d'équipes et un formateur d'adultes qui impliquent un engagement réciproque et une contractualisation. En effet, un adulte peut continuer d'apprendre, mais c'est lui qui décide de ce qu'il doit apprendre ; Hanna ARENDT allant même jusqu’à écrire que l’“on n’a pas le droit d’éduquer un adulte”. L’enfant au contraire doit être guidé et conduit. Nous avons mis en place, dans l'unité des formations dont nous fumes responsable264, des plans de formation et guides pour les stagiaires. Ils sont complétés par des engagements que chacun des stagiaires doit signer265. Ces documents ont pu être réalisés en utilisant le référentiel des tâches et compétences des enseignants spécialisés après que nous ayons proposé une aide au positionnement des stagiaires à partir d’entretiens individuels. Ce positionnement permet la contractualisation de la formation et la contractualisation est rendue possible grâce aux entretiens. De fait, nous passons d'un référentiel de compétences à acquérir pour les stagiaires à un véritable projet de formation personnalisé. Celui-ci contient un journal de bord renseigné par le stagiaire qui lui sert en quelque sorte de boussole pendant toute sa formation.

Notes
262.

On retrouve la classe comme "communauté de chercheurs" dans la description de la classe village.

263.

"On peut considérer que 25% à 30% des enfants ont aujourd'hui des attitudes de codirigeants sur le plan des apprentissages. 10% à 15% d'enfants ont des conduites de marginalisation scolaire. Le suivisme, sous diverses formes, concerne près de 40 % de la population scolaire" : ce sont là les résultats des études conduites par J. Lévine et publiées dans Plaidoyer pour les 40% du milieu de la classe, Op. Cité, page 8.

264.

Il s'agit de l'unité des formations pour l'adaptation et l'intégration scolaires de l'IUFM de l'académie de Lyon. Nous formons les instituteurs et professeurs d'école désireux de travailler avec les élèves aux besoins éducatifs spécifiques, qu'ils soient ou non handicapés. Les stagiaires se spécialisent pour travailler avec des élèves , enfants ou adolescents en difficulté d'apprentissages. Ce sont les maîtres des classes ou regroupements d'adaptation ou des Sections d'enseignement général et professionnel adapté intégrées dans les collèges, ou bien encore les enseignants qui travailleront avec des élèves handicapés auditifs, handicapés moteurs, malades ou présentant des troubles de la personnalité ou enfin les rééducateurs. Chacun, à l'issue de sa formation passe les épreuves du certificat d'aptitude aux actions pédagogiques spécialisées pour l'A.I.S. (le CAPSAIS).

265.

l'ensemble de ces documents se trouve en annexe.