La première impression, quand on pénètre au milieu de l'année, dans le C.P. de Georges Millet est celle d'un immense désordre.
“Foutoir”, diraient certains, si bien que les repères habituels qu'on utilise pour évaluer l'état de santé d'une classe paraissent inutilisables.
Dans un coin, deux groupes de 5 enfants se sont réunis et font du calcul, allongés à même le sol.
Sans demander la moindre permission, mais sans gêner les autres, des enfants circulent pour prendre des affaires dans de mystérieux placards ou pour demander un renseignement.
Ils changent la disposition des tables, les mettent tête-bêche ou les isolent, selon le travail en cours.
Sur chaque table règne un empilement sauvage qu'aucun maître traditionnel ne tolérerait : des magazines venus de la maison (I'Express, Gala, Match...) ; des “carnets de bord” où chacun, en face d'une longue liste de tâches à remplir, figure ses résultats par des formes et des couleurs ; des carnets intitulés “mes idées”... “les idées des autres” ... “ ma famille” ; on trouve aussi des dictionnaires “auto produits”, de A à Z, sur les animaux, les objets, le cirque, la classe...; chacun a son “ album de trésors” où il colle ce qu'il considère comme des chefs d'oeuvre, notamment de la peinture ; et surtout, plusieurs livrets appelés “ coller-lire” ou “collalire” qui archivent les travaux sur la lecture... Sans compter des livrets sur “ Pinokio” qui est le drapeau unificateur de la classe (qui n'est pas sans rapport avec le Titou de la classe d'Agnès Pautard) et dont l'orthographe signifie que ce Pinocchio là leur appartient en propre.
Le premier moment passé, lorsque l'observateur se remet de sa déstabilisation, il apprend que cette classe tire son nom “classe-village” du fait qu'elle est composée de cinq familles comprenant chacune cinq enfants, que chaque famille a son responsable, que le village est dirigé lui-même, non seulement par le maître, mais par un maire et une mairesse, qu'on peut "être candidat à être maître de peinture, de lecture, de donneur d'idées"... que les métiers de la classe sont parfaitement distribués, que la composition des familles n'a été faite qu'après un temps d'observation des affinités et des antagonismes, que chacun sait très bien la raison d'être des livrets qui s'entassent sur les bureaux et qu'il y aura rangement le moment venu... bref, l'observateur s'aperçoit que rien, au contraire, n'est plus ordonné que ce désordre. C'est le désordre du chantier. Et comme il s'agit d'un chantier organisé, “Communauté de chercheurs” est probablement le terme qui caractérise le mieux cette classe.
Reste à comprendre l'essentiel de ce qui fait l'objet de notre visite : les bases sur lesquelles cette communauté fonctionne ; ce qui différencie le C.P. de Georges Millet d'un C.P. traditionnel ; ce qui peut nous laisser espérer que les enfants portés à désinvestir les apprentissages ou à les investir trop superficiellement vont pouvoir éviter, grâce à cette organisation, de s'installer dans le “suivisme”.
Avant de répondre, continuons d'entrer dans la classe. Suivons-la pendant une journée.
Contrairement à ce que peut laisser croire le spontanéisme régnant, les activités de la journée sont rigoureusement minutées.
Le premier temps relie la maison à l'école :
“William (de la famille des Ecureuils), que rapportes-tu de la maison comme travail ou réflexion ?”
“J'ai enregistré une poésie sur mon magnétophone... J'ai trié des coquillages... J'ai cherché dans le journal des mots avec un Q... J'ai trouvé “mosaïque” et “authentique””;
“Rémy (de la même famille) : “J'ai dessiné un avion en feu...l'ambulance... le camion qui ramassait les morceaux...”
“Tu peux montrer à toute la classe ?”
Il déplie son dessin et le maître demande :
“D'où t'est venue cette idée ?
“ - De la télé ”.
“ ...- J'ai trouvé 4 mots avec la lettre Q : Pâques, qualité, Nesquick, banquier... J'ai travaillé sur le nombre 40 : 39 + 1, 38 + 2, etc.
“ - Il t'est venu des réflexions ?”
“ - Oui, sur les enfants qui ont peur des accidents d'avion ...”
Deux contrôleurs, l'un de la même famille, l'autre d'une autre, évaluent ce travail - comme tout autre qui sera présenté - en fonction de critères portés sur une échelle horizontale de 3 mètres de long sur le mur de la classe : “bleu” = je sais lire ; “rouge” = je sais compter ; “blanc” = je sais écrire ; “vert” = je sais dessiner ; “marron” = je sais coller ; “noir” = je sais travailler avec les autres ; “jaune” = je sais mettre en place mon idée ; “orange” = je sais réaliser l'idée d'un autre ou celle du maître....Peu de reproches lorsqu'il y a échec, mais des conseils aussi précis que possible sur la façon de faire mieux, avec telle ou telle aide.
Le deuxième temps de la matinée est non moins intangible : le maître écrit quelques phrases du livre de Pinocchio au tableau. Il les lit. Une famille prend possession du “castelet” et, par l'intermédiaire de marionnettes, met en scène le texte lu. Après quoi, une autre famille donne son avis sur la justesse de l'interprétation et, au besoin, donne la sienne, mimes et mouvements à l'appui.
Le troisième temps est celui de la chasse aux mots. Le maître, toujours à partir du texte précédent sur Pinocchio, indique qu'on va travailler sur la diphtongue “bl”. Il s'agit de trouver dans les magazines stockés dans la classe les mots qui la contiennent : blanc, ébloui, capable. Chaque famille indique le nombre de mots qu'elle a découpés et collés.
Un enfant propose alors une idée à lui : aller à la chasse de diphtongues voisines, fl, gl, cl ; de nouveau repérage dans les magazines, découpage et collage.
Après la récréation, c'est le temps des maths. Le travail se fait avec une machine à additionner (table d'addition de Pythagore) construite par toute la classe, dont chacun a un exemplaire. Ce jour-là, chaque famille a 8 calculs à réaliser. Tous doivent trouver la même chose. Ils peuvent et doivent même s'entraider, mais il faut ensuite qu'ils puissent expliquer comment ils s'y sont pris.
L'après-midi, atelier, sport, musique et des moments d'échanges différents du “quoi de neuf ?”, intitulés “je pense à ce qui se passe” (dans la classe, à la télé, dans le monde ..)
Pour caractériser ce climat de classe, trois petits faits divers auxquels nous avons assisté : Une famille, à la suite de l'exercice sur “bl”, vient au tableau, s'assoit en rond autour du maître et indique combien de mots elle a trouvés. Or voici qu'un enfant pète... Contrairement à notre attente, aucun chahut... On le regarde en riant et le travail continue.
- Quelques minutes plus tard, une petite fille veut prendre un feutre chez son voisin derrière elle... Le garçon, furieux, est sur le point de saisir les cheveux de la fille... mais s'arrête net... A la récréation, nous lui demandons pourquoi il n'a pas riposté. Il répond “On n'est pas là pour se battre. Mais je vais en parler au chef des Ours, (ma famille) et il en parlera au chef des Papillons (sa famille).
- La famille des Lapins a très mal réussi le calcul. Celui qui se sent le plus fautif de l'échec pleure... Le chef d'une autre famille propose alors l'aide de quelqu'un de son groupe.
Ce qui ressort de ces remarques, même si à première vue elles semblent aller dans des directions très diverses, c'est la force de l'adhésion de ces enfants au projet commun qui leur est proposé. Ils forment manifestement un groupe très structuré, et il est évident qu'ils aiment cette structure, y compris ceux qui, comme Maroussia ou Julien, sont à la traîne dans leur famille. Et s'il faut dès maintenant émettre une première hypothèse sur la nature des outils qui jouent dans le sens de l'anti-suivisme, nous la formulerons de la façon suivante : ces enfants trouvent, dans cette classe, quelque chose de “supplémentaire” par rapport au plaisir qu'on trouve habituellement à être ensemble. Ils éprouvent une qualité d'appartenance (et de ressemblance fondatrice) qui leur donne un surplus de plaisir à faire ce qu'ils font.
En quoi la structure “classe-village” y contribue-t-elle ? Le mot “village” n'est peut-être pas le plus approprié s'il renvoie à l'idée d'un lieu trop tranquille, trop immobile, trop plein de nombrilisme. En revanche, si on privilégie l'idée que tout village, à condition que les relations n'y soient pas trop détériorées, est traversé par des réseaux actifs et structurants de voisinage et d'alliances, alors on peut déjà mieux comprendre le genre de rapport qui se tisse entre le “nous” de la classe-village et le “je” de chacun.
Dans une classe traditionnelle, le “nous” de la classe et le “je” de chacun s'accouplent souvent mal. Il y a fusion pour les élèves du milieu de la classe, qui ont tendance à adopter un “je” mimétique insuffisamment personnel par rapport à un “nous” censé servir de modèle exclusif. Il y a rejet pour ceux qui, en queue de classe, vivent leur “je” violemment exclu du “nous”. Il en est de même, précise J. LEVINE, en matière de clivage "nous-je" dans les familles qui dysfonctionnent.
Il poursuit et précise que c’est la famille “suffisamment bonne” qui est probablement la meilleure référence pour caractériser le climat relationnel de la classe-village. C'est une situation qui permet au rapport "nous-je" d’être source d'enrichissement mutuel. Chacun s'y positionne dans un statut “d'apportant volontaire” aux projets communs de l'appareil groupal et chacun a confiance dans la capacité de cet appareil à lui apporter ce dont il a besoin.
Il faut ajouter que, dans la famille “suffisamment bonne”, comme dans la classe-village suffisamment bonne, ce sont moins les règlements qui donnent du sens à la co-habitation que le désir très délibéré de maintenir cette qualité de vie. Il ne s'agit donc pas d'un embrigadement au nom de l'intérêt supérieur du groupe, ni de la peur du maître, ni des effets de la séduction qu'opère son charisme, même si ces écueils ne sont pas totalement évités. Si le “nous” fait loi, c'est parce dans l'inconscient de chacun, il y a comme un écho du plaisir très archaïque ressenti au début de la vie, ou dans des moments heureux de la vie familiale : celui de pouvoir se ressourcer dans une matrice commune vivifiante par laquelle chaque occupant se sent reconnu, dans laquelle il se sent vitalisé et peut devenir lui-même vitalisant pour les autres. Illusion groupale ? Peut-être, mais illusion indispensable.
Plus concrètement, cela signifie que la classe village est parcourue par un réseau d'alliances entrecroisées : alliance de chacune des cinq familles avec le maître, alliance des cinq familles entre elles, entre les coéquipiers d'une même famille, entre chacun, pris individuellement, et le maître, alliance enfin entre chaque élève, le savoir et l’école.
Comme on peut le deviner, c'est du maître, qu'en dernier ressort dépend le bon dosage “nous-je”, entre une identité collective et une identité individuelle. C'est pourquoi G. Millet accorde une très grande importance à l'accueil personnalisé de chacun et au suivi constant de son évolution. Il sait que, si l'on n'y prend garde, le fait d'être inséré dans une famille peut provoquer, certes, des effets de co-responsabilisation qui stimulent le “je”, mais aussi des attitudes de fausse coopération, c'est-à-dire de passivité suiviste.
Ce qui précède : l'obligation de cohabiter dans la classe-village selon les règlements qui en régissent le fonctionnement, donc le rapport à la loi, ne prend sens que par le type de rapport au savoir qui y est proposé.
Et, sur ce point, l’hypothèse que nous émettons, est que l'évitement du suivisme vient “ d'un quelque chose de supplémentaire ” par rapport au plaisir qu'on trouve habituellement à apprendre. Si la classe-village est efficace, c'est parce qu'elle développe une qualité de l'apprendre qui donne un surplus de plaisir à apprendre.
Apprendre quoi ? G. Millet dit volontiers qu'il n'apprend pas à lire, mais qu'il fait faire des travaux sur la lecture. L'objectif est, bien sûr, d'apprendre à lire, mais G. Millet part de l'idée qu'on n'apprend à lire intelligemment que si on apprend à penser et à produire intelligemment. Pour apprendre à lire intelligemment, ce n'est pas le gavage par le “plus de lecture” qui peut aider à y parvenir : il faut apprendre à dialoguer avec le savoir quel qu'il soit et enfin apprendre à négocier avec les obstacles, quels qu'ils soient, apprendre à s'assembler avec d'autres pour produire des savoirs quels qu'ils soient, enfin apprendre à avoir confiance dans son inventivité et pas seulement à propos de la lecture.
La lecture, en tant qu'accès à l'abstraction et acceptation de l'autorité intellectuelle d’un texte, est une activité spécifique, mais il est probablement antipédagogique de trop lui donner un statut à part. C'est un acte d'intelligence qui est du même modèle que ceux que requiert toute situation problématique.
Dans cette optique, “communauté de chercheurs” signifie “alliance cognitive” pour faire naître et développer le désir de comprendre comment les choses sont faites, la lecture étant un travail parmi d'autres de déconstruction et de reconstruction.
Tout en se défendant d'être théoricien, G. Millet se réclame de l'idée “d'école des quatre langages”.
le cognitif autrement conçu, sous-tendu par l'art du questionnement des situations et le sens de la relation émetteur-récepteur ;
le cognitif construit au cours de réalisations. D'où l'importance des travaux de repérage et découpage dans les magazines, de collage et coloriage dans les carnets “coller-lire”, de leur mise en rapport avec des mots rencontrés dans des textes - Pinocchio - qui touchent au plus profond des problèmes intérieurs des enfants ;
le cognitif accompagné d'un minimum de verbalisation sur les émotions, résonances et représentations qu'il suscite ;
le cognitif qui s'élabore dans un va et vient entre le cognitif “naturel”, syncrétique, pas encore totalement rationnel et le cognitif rigoureusement rationnel, ce qui implique que les curiosités personnelles soient suffisamment fortes pour alimenter autant le cognitif naturel que le cognitif rationnel.
Ce qui est donc primordial c'est que l'enfant puisse se découvrir “cognitivement capable”, ce n'est pas qu'il obtienne les mêmes résultats que les autres. La famille “éléphant” sait que Martin ne lit pas aussi bien que Khalid, il s'en faut, mais l'important est que Martin, au contact de Khalid, Séverine et José, s'imprègne de leurs façons de produire de la lecture et qu'il ait envie d'incorporer, mais à sa façon, cette dynamique de production. C'est la condition pour qu'il ressente l'émotion rare qui est à la base de tout apprentissage non factice : le plaisir et sans doute la jubilation de se découvrir brusquement comprenant, explorant, pensant, capable d'apporter ses solutions. Il est quelqu'un qui ne travaille pas sur le mode du réceptacle mais en tant qu'être actif et transformateur qui sait faire marcher sa propre usine à penser.
Un premier pari de la classe village est que les travaux manuels sur les matériaux de la lecture, avec leur cortège d'opérations sensorielles, prioritairement tactiles, favorisent le travail d'intégration mentale. C’est comme si les transformations qui doivent s'effectuer à l'intérieur du champ cortical devaient d'abord trouver leur modèle dans des opérations externes : celles qui s'opèrent dans les découpages de magazines, puis les collages-dessins des carnets “coller-lire”.
Un deuxième pari est que, grâce à la classe “communauté de chercheurs” où on se serre les coudes, le langage écrit fait moins peur que dans une classe traditionnelle, est accueilli de façon moins contractée. Le langage écrit est en effet une rencontre décisive avec la société. Au niveau fantasmatique, c'est la rencontre avec le père du savoir qui détient, entre autres, les secrets du langage écrit et devant qui on va comparaître pour vérifier qu'on entre comme il faut dans son monde. Ce père de l'ordre social n'est ni le père de famille de chacun, ni le maître, mais un personnage relativement mythique dont le maître est un porte-parole.
Pour illustrer ce type de rapport au savoir, Jacques LEVINE utilise la métaphore des trois cercles du savoir : trois cercles qui s'inscrivent dans la verticalité. L'enfant est le cercle du bas. Le cercle du haut correspond au monde “mythique” où est censée être l’origine, où est déposé le savoir. L'espace de la classe est au milieu. Il représente un lieu de réception du savoir d'en haut, en même temps qu'un “espace d'équivalence”, l'endroit où l'on montre à ceux d'en haut qu'on est capable d'élaborer des “équivalents”, des savoirs qui épousent la même forme et ont le même contenu que ceux d'en haut.
Apprendre, dans le mythe de la caverne de Platon, c'est imaginer ce que sont les savoirs du monde d'en haut, mais sans jamais pouvoir y accéder autrement que par le monde du milieu. Ici on part du postulat qu'on peut y accéder depuis le cercle du milieu. Car, par l'alliance cognitive qui y règne, les conditions sont mieux réunies dans la classe “communauté de chercheurs” pour que la quête de sens soit plus confiante et plus sécurisante que dans la classe traditionnelle".
Sans s’inscrire dans des projets aussi globaux, d’autres pratiques peuvent exister, par exemple, pour redonner le goût d’apprendre à lire à des élèves en difficulté. Il peut s’agir de travaux qui mettront en jeu l'argumentation, ou bien permettront une réalisation. Ce sont autant d'activités qui participent à la formation d'un esprit capable de s'intéresser à autrui, d'exprimer des sentiments, de construire des règles pour entretenir des relations et combiner le monde de la lecture à la lecture du monde. Je pense à des échanges entre des élèves de cinquième d’une Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté avec ceux d'une classe d'école maternelle. Ils ont motivé des adolescents en difficulté ; ils ont repris goût à la lecture et à l'écriture, mobilisés par un projet valorisant qui les a conduits à créer puis rédiger des histoires pour ensuite les lire aux "petits de la maternelle".
De tels travaux s'inscrivent dans une dynamique de recherche-action proposée à une classe pensée comme une communauté de chercheurs. Les règles de vie en commun, co-élaborées et énoncées clairement créent un fort lien social et permettent la formation d'un appareil groupal où l'identité collective et l'identité individuelle ne s'opposent pas mais se stimulent ; les travaux de calcul et ceux qui portent sur le langage écrit y sont objets de recherche collective.
La classe peut débuter par le travail sur la lecture et le calcul qu'on a fait à la maison, de sa propre initiative, seul ou avec les parents. Le texte sur lequel on travaille et qui contient les grandes préoccupations des enfants sur la vie est d'abord joué, puis livré à l'imaginaire. La déconstruction et la reconstruction du langage écrit s'effectuent par des moyens concrets (découpages de mots, collages). Enfin, un temps est offert pour l'expression de ce que chacun ressent et a découvert tant dans la classe que dans la vie quotidienne (ce qu'on aime, ce qui fait peur, ...)262.
Chacun se voit alors offrir une place (un espace et du temps) pour exprimer ses envies, ses difficultés mais aussi ses succès comme autant de points d'appui pour développer encore davantage "l'intelligence des situations".
Ce sont de tels travaux et activités qui permettront le passage entre l'apprentissage et la compréhension. Compréhension de la complexité des disciplines plutôt qu'apprentissage fonctionnel et utilitariste d'une discipline.
En effet, ce n'est qu'en acceptant d'entrer dans la complexité des disciplines, en refusant le leurre d'un apprentissage systématique et mécanique comme le décrit B. Charlot que l’on aide les élèves à se (re)mobiliser. Un apprentissage, par exemple, qui réduit l'enseignement du français à celui de l'orthographe et celui de l'orthographe à l'apprentissage de la règle d'accord du participe passé employé avec l'auxiliaire avoir interdit, trop souvent cette mobilisation. De telles pratiques ne facilitent pas la compréhension, tout au plus permettent-elles d'appliquer, dans certaines situations bien particulières, des règles. L'élève retrouve alors un rôle d'exécutant, il est en quelque sorte un bon sujet pour la classe et les résultats des évaluations de tous ordres. En réalité il n'est que l'objet de l'école de la transmission.
Certes, une proportion non négligeable263 d'élèves a acquis cette compétence et développe une attitude qui permet de comprendre et de dépasser enfin le seul apprentissage. Mais pour les autres, tout doit être tenté pour leur transmettre le désir de comprendre, c'est-à-dire de développer une intelligence de la compréhension des situations les plus imprévues pour que chacun ne soit plus angoissé par le non-attendu mais au contraire stimulé pour tout mettre en oeuvre afin de chercher des éléments de réponses appropriées. Je pense que comprendre est plus puissant qu'apprendre ; en tous les cas, c'est l'une des clés pour ouvrir la porte de la réussite scolaire et personnelle à la forte proportion des élèves suivistes.
Aussi les maîtres doivent-ils être encouragés et préparés à saisir ce moment authentique, celui au cours duquel, "un je ne sais quoi et un presque rien" font que l'élève franchit le pas qui le conduira de l'apprentissage à la compréhension.
Reprenant l'exemple de la lecture, nous serions tenté d'écrire alors que des conditions préalables, des conditions facilitatrices doivent être mises en place pour aider les élèves. Il s'agira de tous les travaux qui développeront l'imaginaire, par des dialogues dans la classe, animés et régulés par l'adulte ; ils seront autant de moments permettant aux élèves d'exprimer leurs préoccupations, de les jouer avant de les livrer à leur imaginaire. Il pourra s'agir également d'exprimer ce que chacun ressent, de se représenter par rapport à autrui, de faire part de ses découvertes, provoquant et recherchant l'échange.
Pour réussir cette part importante de sa fonction d’accompagnement des enseignants, l'inspecteur devra, au nom du principe qui fait que l'évaluation pilote l'action, connaître ces actions pédagogiques pour les reconnaître, en rendre compte et les promouvoir.
Ce sont des conditions nécessaires pour faire de l'inspecteur un accompagnateur d'équipes et un formateur d'adultes qui impliquent un engagement réciproque et une contractualisation. En effet, un adulte peut continuer d'apprendre, mais c'est lui qui décide de ce qu'il doit apprendre ; Hanna ARENDT allant même jusqu’à écrire que l’“on n’a pas le droit d’éduquer un adulte”. L’enfant au contraire doit être guidé et conduit. Nous avons mis en place, dans l'unité des formations dont nous fumes responsable264, des plans de formation et guides pour les stagiaires. Ils sont complétés par des engagements que chacun des stagiaires doit signer265. Ces documents ont pu être réalisés en utilisant le référentiel des tâches et compétences des enseignants spécialisés après que nous ayons proposé une aide au positionnement des stagiaires à partir d’entretiens individuels. Ce positionnement permet la contractualisation de la formation et la contractualisation est rendue possible grâce aux entretiens. De fait, nous passons d'un référentiel de compétences à acquérir pour les stagiaires à un véritable projet de formation personnalisé. Celui-ci contient un journal de bord renseigné par le stagiaire qui lui sert en quelque sorte de boussole pendant toute sa formation.
On retrouve la classe comme "communauté de chercheurs" dans la description de la classe village.
"On peut considérer que 25% à 30% des enfants ont aujourd'hui des attitudes de codirigeants sur le plan des apprentissages. 10% à 15% d'enfants ont des conduites de marginalisation scolaire. Le suivisme, sous diverses formes, concerne près de 40 % de la population scolaire" : ce sont là les résultats des études conduites par J. Lévine et publiées dans Plaidoyer pour les 40% du milieu de la classe, Op. Cité, page 8.
Il s'agit de l'unité des formations pour l'adaptation et l'intégration scolaires de l'IUFM de l'académie de Lyon. Nous formons les instituteurs et professeurs d'école désireux de travailler avec les élèves aux besoins éducatifs spécifiques, qu'ils soient ou non handicapés. Les stagiaires se spécialisent pour travailler avec des élèves , enfants ou adolescents en difficulté d'apprentissages. Ce sont les maîtres des classes ou regroupements d'adaptation ou des Sections d'enseignement général et professionnel adapté intégrées dans les collèges, ou bien encore les enseignants qui travailleront avec des élèves handicapés auditifs, handicapés moteurs, malades ou présentant des troubles de la personnalité ou enfin les rééducateurs. Chacun, à l'issue de sa formation passe les épreuves du certificat d'aptitude aux actions pédagogiques spécialisées pour l'A.I.S. (le CAPSAIS).
l'ensemble de ces documents se trouve en annexe.