3.1- L'humain et l'inhumain à l'école : comment les définir ?

Certes, nous pouvons écrire que tout est humain dès lors que cela provient de l'homme, et donc en arriverions-nous à dire que l'inhumain est inscrit dans l'humain.

Cela étant, nous savons aussi, qu'une même parole, un même acte peuvent apparaître parfaitement humains et tolérables pour tel enfant et complètement inhumains et insupportables pour tel autre, en fonction du moment ou de la prédisposition à recevoir le message.

L'acte d'apprendre est typiquement un acte humain ; en effet, il n'y a pas de capitalisation de savoir chez les animaux mais l'animalité n'est pas synonyme de barbarie. Apprendre est aussi un acte violent. Comment faire alors pour que cette violence ne se transforme pas en acte inhumain ?

Apprendre est un acte d'une extrême violence, d'autant plus grande qu'il ne s’accompagne pas d'une relation contenante ; il peut alors devenir acte inhumain. Quoiqu'il en soit, il nous semble qu'une école inhumaine serait une école dans laquelle on ne proposerait pas d'apprentissages, une école où l'on n'apprendrait pas, où, enfin, on ne comprendrait pas. Les travaux de Bernard CHARLOT266 l'ont montré : les élèves qui réussissent sont ceux qui ont ressenti et vécu la présence d'enseignants capables de les motiver et de les aider à mobiliser des enjeux intellectuels. Des enseignants qui postulent le principe d'éducabilité, des enseignants qui s'éloignent des apprentissages utilitaristes et fonctionnalistes et se rapprochent de pratiques génératrices de pensée, de réalisations, de relations en prenant appui sur les talents et les réussites de chacun des élèves267.

Certes, ces enseignants sont confrontés à la violence d'une école qui cherche à imposer un savoir, trop souvent unique, unidirectionnel ; nous savons la contradiction forte qui existe alors entre le désir d'autonomisation et de responsabilisation pour les élèves et, en même temps, l'action de l'enseignant, voire l’obligation d’action, qui peut le pousser à contraindre sans convaincre, avec une telle subtilité ou un tel naturel que ni le maître, ni l’élève ne réalisent immédiatement la manipulation. Grâce à Daniel HAMELINE, nous pouvons penser alors à cette mission difficile qui consiste à affranchir sans domestiquer268. Nous pensons aussi à une posture à tenir, une posture qui impose sans s'imposer, une posture professionnelle enfin, qui postule l'inconditionnelle capacité d'autrui à réussir.

Une telle école de "l'humanitude", pour reprendre le magnifique mot d'Albert JACQUARD, ne nous épargnera pas une réflexion sur l'acceptable et le supportable, l'inacceptable et l'insupportable.

Cette réflexion nous conduira inévitablement à parler de la Loi et des règles. Quelles sont les règles, en effet, que l'on peut ne pas suivre et enfreindre ? Quelles sont les infractions qui demeurent acceptables et n'empêchent pas le fonctionnement d'un groupe et la vie collective ? Quelles sont celles, au contraire, qui apparaissent complètement inacceptables et qui insupportent au point d'affecter la personne ?

En d'autres termes, à quel moment et comment ce qui n'est encore qu'un point de tension entre deux sujets, entre un sujet et le groupe, un point de tension au demeurant riche et générateur de pensée, bascule-t-il dans un acte violent, inhumain pour l'un des protagonistes, devenu objet de l'inhumanité de l'autre ?

Cela serait-il aussi simple au point d'écrire que si la règle s'applique, chacun se l'étant appropriée, l'humain peut fonctionner ? Existe-t-il une dichotomie entre le supportable ou l'insupportable, résolument du côté de la Personne, de l’Etre, et l'acceptable ou l'inacceptable qui se situerait du côté de la règle et de la profession ?

Et si l'humain dans l'apprentissage, c'était de faire confiance, d'avoir confiance dans les capacités de chacun des élèves, en opposition à l'inhumain, de l'ordre du désespoir qui nous ferait courir le risque, parfois, d'abandonner les élèves les plus démunis, sans se soucier des personnes ?

Cela nécessite une grande cohérence entre les pratiques et les déclarations, entre les actes réels et les mots utilisés pour décrire des actions. C'est cette cohérence-là qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre, par des gestes et attitudes pédagogiques, y compris dans les silences, dans tous les "inter-dits".

Nous pouvons nous interroger enfin, sur cette étonnante équation et nous questionner sur le fait que sa solution soit aussi difficile à entrevoir que celle posée par le problème de la quadrature du cercle.

  • 1- Un enseignant qui enseigne, c'est humain.

  • 2- Un enfant qui a envie d'apprendre, c'est humain.

  • Mais, en l’absence d’une relation pédagogique construite, un enseignant désireux d’enseigner face à un élève qui a envie d'apprendre, c'est parfois inhumain et ça peut provoquer des actes de violence.

Notes
266.

B. CHARLOT et al., Ecole et savoir, dans les banlieues... et ailleurs, Armand Colin, Paris, 1993.

267.

On retrouve là les principes fondateurs d'une école des quatre langages, définis par Jacques LEVINE.

268.

Daniel HAMELINE, Le domestique et l'affranchi, Editions ouvrières, Paris, 1977.