Commentaires de M. Develay et J. Lévine, à la suite de leur visite.

Ce que nous venons de voir montre que Freinet est plus que jamais d'actualité. La classe "messagerie télématique" balaie le reproche que la pédagogie Freinet ne serait valable que dans le cadre d'une société rurale à technologies anciennes. Elle s'inscrit, au contraire, dans le cadre large des répliques les plus nouvelles à la crise de l'école traditionnelle et qui, toutes, prônent la "communauté de chercheurs", "l’école des quatre langages", la confrontation aux vrais problèmes de la vie, de toujours et de maintenant. Nous y reviendrons.

Pour l'instant, quelques impressions du moment dont le style léger ne doit pas masquer les réflexions de fond qui s'imposent.

La fin de l'année était proche et les avions en papier qui traversaient la cour de l'école rurale toute neuve annonçaient l'envol de chacun vers un prochain lieu de vacances. Les séparations pourraient se faire, symboliquement elles étaient entamées.

A voir les enfants à l'entrée de la classe se déchausser pour passer des pantoufles, on faisait l’hypothèse que le lieu avait davantage à voir avec la maison qu'avec l'usine, et on se disait que derrière la porte, une odeur d'appartement pouvait s'exhaler, rappelant la tiédeur et la douceur d'une maison. Traîtrise de ces projections.

Certes, on démarrait la journée en se mettant à l'aise, aucun éclat de voix ne venait troubler la sérénité d'habitudes intégrées, mais l'école ne vivait pas au rythme d'un salon d'appartement. On y travaillait. Il y était même question de métiers puisque la journée débutait par l'expression des enfants sur les métiers qu'ils assumaient. Les bibliothécaires, le dépanneur (responsable du matériel) ce jour-là étaient sur la sellette. Les premiers pouvaient-ils, pour pouvoir ranger les ouvrages, les étaler sur plus que la table qui leur était réservée, quitte à empiéter sur des territoires voisins ? On en discuta. Le pour, le contre, le possible, le souhaitable furent avancés. On trancha en dernier ressort, jusqu'à une fois prochaine, où cette responsabilité, assumée par deux élèves pour tout le groupe, ferait problème. L'an prochain, pour les C.E. 1 qui auraient la chance de se retrouver dans les mêmes lieux en C.E.2., la communauté des chercheurs s'était donné un mode d'organisation susceptible de faciliter l'activité de chacun. Une organisation discutable et discutée collectivement, des structures souples et précises fondaient les articles de loi de la classe en matière d'activité de chacun au bénéfice de tous.

Une classe cocon. Nenni. Une classe ouverte aux vents du large, grâce à la télématique et aux messages qui provenaient ce matin-là, par serveur interposé, de plus de quinze autres écoles. Il y était question d'affects singuliers, de questionnements précis sur des sujets sérieux, de projets à faire partager, de poésies même à travers ce message venant de l'autre bout du département qui, sur un registre non narratif, jouait avec les mots. On découvrait : on se découvrait aussi en choisissant de répondre ou non, qui à une question anodine, qui à une remarque plus personnalisée. On était à l'écoute de soi à travers l'écoute des autres. Roger, le maître, donnait la parole, éclairait un mot nouveau, valorisait la lecture, faisait reprendre un déchiffrage laborieux. Dans le fond, il y avait ce garçon qui de manière compulsive, jouait avec une grenouille en carton. D'abord, il s'agissait de la faire sauter haut, puis loin, puis au-dessus d'une règle, repère d'exploits toujours renouvelés. Le petit y associait son voisin. J'aurais peut-être, à la place du maître, rappelé à l'ordre, recentré sur l'activité. D'autres encore auraient foncé avec plus ou moins de force (un coup de gueule, aurait-on dit). Il aurait pu arriver que l'on punisse, que l'on exclue, que l'on désigne à la vindicte groupale l'empêcheur de travailler en rond. Point de tout cela. Roger connaissait son monde. Il pouvait être patient. Il savait que cette agitation du corps permettait aussi à l'esprit de raisonner. La preuve nous fut apportée lorsque l'enfant intervint. Il résonnait à la vie de la classe dans l'agitation de son corps.

Plus tard, ce fut le calcul, activité cette fois individuelle, avec un maître qui savait adopter une attitude de côte à côte avec certains élèves en difficulté, circulant entre les deux niveaux de classe, personnalisant ses accompagnements, et se défiant de tout surplomb a priori. On se surprit, nous qui, dans le fond de la classe assistions à cette matinée avec un ravissement d'ethnologue, à envisager des prolongements à la soustraction de nombres décimaux, pour transformer la technique de calcul en une intelligence anthropologique de la situation au niveau mathématique. On se dit qu'il aurait été peut-être possible de faire réfléchir les enfants à ce que permettaient les chiffres arabes par rapport aux chiffres romains, à la signification du zéro employé. La communauté de chercheurs en activité dans la classe nous avait influencés. Nous souhaitions comprendre, nous avions à nous comprendre."