Des inspecteurs craints et reconnus jugeaient les personnes

Les inspecteurs remplissaient leur mission, rendaient compte à l’administration centrale du (bon) fonctionnement des écoles et des résultats obtenus par les enseignants. Le paradigme charismatique, à lui seul, fondait les pratiques des inspecteurs dont les visites étaient parfois difficiles à vivre pour le maître d’école. Il se sentait, souvent à juste titre, humilié par ce supérieur hiérarchique peu contesté :

‘"... - Monsieur l’Instituteur, fit-il sèchement, vous êtes en dehors du programme. Vous exposez là les doctrines des ennemis de l’ordre social. Vous pouvez garder ces idées saugrenues pour vous-même. Vous devez enseigner que toutes les richesses sont légitimes et justifiées !
- Ce serait un enseignement hypocrite et digne des siècles passés, monsieur l’Inspecteur.
- Assez ! ordonna Morsecq. (...) Maintenant je vais interroger vos élèves. Vous, venez ici ! Plus vite que ça ! hurla Morsecq. (...) Qu’est-ce qu’un rapport ?
Georges bondit :
- Mais monsieur l’Inspecteur, hasarda-t-il, cet élève n’a que neuf ans !
- Ça m’est égal !... Allez-vous m’apprendre comment je dois procéder dans mon inspection ?... (...) Eh bien ? ... demanda Morsecq, parle !
- Un rapport, m’sieur, c’est c’qu’on doit pas faire au maît’d’école.
- Asseyez-vous, dit l’Inspecteur, vous êtes un âne ! ... Je suis fixé en ce qui concerne l’arithmétique. Voyons l’histoire !"300.’

Cette inspection n’est certes qu’un exemple. Elle se termina par cette conclusion lapidaire et destructrice de l’inspecteur : ‘"C’est bien, je suis fixé. Monsieur l’Instituteur, votre classe n’est pas en bon état. Vos élèves sont arriérés, je signalerai le fait dans mon rapport"’ 301.

Certes nous avons vu comment Jules Ferry, dès 1880, avait souhaité que les inspecteurs tiennent un rôle nouveau, plus proche des enseignants. C’est sous son ministère que ceux-ci font leur entrée dans la formation des maîtres par le biais des conférences pédagogiques. Le souhait de FERRY d’en faire des amis vigilants restera cependant vain et encore, en 1948, ALAIN voyait en l’inspecteur ‘"un gendarme qui vient s'assurer que l'instituteur a préparé sa leçon. Le métier de surveiller rend stupide et ignorant précisait-il. Cela est sans exception. Je sais que beaucoup d'inspecteurs courent les chemins par tous les temps, et font voir un zèle admirable ; très bien ; mais cela ne leur donne point d'esprit. Je regrette de le dire, et d'attrister ces braves gendarmes ; mais il faut le dire"’ 302. Les plus pertinents des maîtres d’école de cette époque pensaient d’ailleurs que ‘"vouloir trouver les beautés morales dans une Ad-mi-nis-tra-tion, c’est chercher le merle blanc dans la forêt de Bondy!... C’est se vouer à la recherche de l’insaisissable..."’ 303.

Notes
300.

Gilles NORMAND, Les barbacoles, pages 202 et suivantes

301.

op cité, page 204.

302.

in "Propos sur l'éducation", ALAIN, P.U.F, Paris, 1948. page 48.

303.

Les barbacoles, page 341.