Des habits neufs pour monsieur l’inspecteur305 : un nouveau métier

Ne nous méprenons pas ! Il ne s’agit pas de changer d’habits comme on change d’emballage, pour flatter un produit usagé. Il s’agirait plutôt d’un changement de peau, à l’image des pèlerins parvenus à Saint Jacques de Compostelle, au bout du chemin, celui du savoir gérer en les développant, des ressources humaines, celui du savoir évaluer de façon formatrice.

L’acte d’inspection est un acte d’évaluation : ‘"L’évaluation individuelle ou collective est l’essence même du métier d’inspecteur. C’est un acte important pour le maître inspecté comme pour l’équipe d’enseignants dont on apprécie le travail. (...) C’est par ailleurs un acte délicat qui suppose capacités d’expertise, qualités de synthèse, aptitude à dire et à écrire les choses"’ 306 ; mais l’acte d’inspection doit aussi être un acte évalué. Les inspecteurs ne sauraient en effet se contenter d’être soumis à des contrôles ponctuels émanant de l’inspection générale de l’éducation nationale, comme le relate celui-ci : ‘"Je dois à la vérité de dire que je n’ai pas subi un nombre excessif de telles visites : trois au total, en trente années de fonction.(...) La première, comme c’est normal suivit de peu mes débuts dans le métier. Elle fut l’oeuvre de M. L’Inspecteur Général Ch., dont l’avis de passage quelques jours auparavant m’avait glacé d’effroi. Il m’avait demandé de prévoir six inspections pour ce jour là(...). Programme tout à fait contre nature, aberrant.(...) Ma deuxième inspection générale, quinze ans plus tard, commença mal. Je devais accueillir mon hôte en gare de LILLE, mais comme nous ne nous connaissions pas, je devais l’identifier grâce au journal qu’il tiendrait à la main. Dans la foule des voyageurs, ce détail m’échappa et M. L. était sorti de la gare que je le cherchais encore sur les quais ! Je le trouvai un peu plus tard sur le trottoir et il me sembla que le journal, qu’il tenait encore, était passablement chiffonné. Enfin, ma troisième et dernière inspection n’a marqué ma mémoire que par sa phase terminale (...) Ces quelques expériences, heureusement limitées en nombre, m’ont fait apparaître une vérité élémentaire : mieux vaut, décidément, être l’inspecteur que l’inspecté..."’ 307.

Nous pouvons légitimement associer à l’idée que l’école est un lieu privilégié pour les apprentissages, celle du devoir imprescriptible de nous interroger sur les effets de l’enseignement. Dans cette optique, il convient alors d’observer, pour les analyser et les enrichir, les moyens mis en oeuvre par les enseignants dans tous les domaines pour offrir à chacun des élèves la possibilité d’accroître et de vivifier son désir de comprendre et d’apprendre. Les élèves apprennent encore trop souvent, dans les classes, des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas, répondent pour réussir un contrôle et le passage au niveau supérieur. Pas assez souvent, les maîtres ne leur donnent la possibilité de fabriquer de la pensée, de développer leur capacité à négocier ou à anticiper leurs actions. Nous restons persuadé qu’‘"il faut sans doute accepter de faire partie d’un problème pour espérer trouver la solution à celui-ci"’ 308  ; aussi la responsabilité des inspecteurs est-elle partiellement engagée. Elle l’est, dès que leur attitude conduit les maîtres à se sentir seulement comptables des résultats de leurs élèves alors qu’il devraient se tenir et agir avant tout comme les responsables des procédures et des moyens à mettre en oeuvre pour faciliter l’accès de leurs élèves aux savoirs. Ce sont ces procédures et toutes ces pratiques innovantes, facilitatrices d’apprentissage, qui doivent être repérées, encouragées et évaluées par les inspecteurs. Ils tenteront ensuite de les diffuser plus largement, pour que d’autres équipes d’enseignants se les approprient, les modifient et les rendent opérationnelles pour leurs élèves.

Alors, l’inspection qui consiste à contrôler la conformité des locaux, s’assurer du respect des programmes nationaux ou encore de celui des horaires comme l’inspection qui se contenterait de vérifier les résultats des élèves doivent être dissociées des actions qui impliquent un nécessaire accompagnement des équipes pédagogiques. Ce travail est à faire et oblige à un nouveau positionnement de l’inspecteur sur l’échiquier du système éducatif. Pourra-t-il toujours s’appeler ainsi ? La situation d’évaluation incluse dans l’acte d’inspection est aporétique, sauf à rester sommative. Elle nuit gravement à une appréciation objective de la qualité du travail des enseignants. S’il s’agissait de vouloir le mariage du corps des enseignants et de celui des inspecteurs, nous serions face à un empêchement dirimant.

‘"Les enseignants de cette école n’ont pas à être de bons pédagogues et n’ont pas de mérite à faire réussir leurs élèves ; en revanche, ceux des écoles publiques doivent développer des trésors d’ingéniosité pour obtenir quelques résultats de la part de leurs élèves même s’ils n’en obtiennent aucune reconnaissance"’  ; cette opinion de bon sens d’un père d’élève scolarisant sa fille dans une école privée aux excellents résultats est assez éclairante. Mais on fait fausse route en persistant à confondre les seuls résultats des élèves et le mérite ou la compétence des enseignants. On les a d’ailleurs trop longtemps confondus.

La reconnaissance de la qualité du travail d’un enseignant exige que soit prise en compte sa capacité à inventer des situations pédagogiques et des dispositifs susceptibles de faciliter l’entrée dans les apprentissages et l’accès à la culture de chacun de ses élèves. L’institution ne peut pas se contenter d’enregistrer les bons résultats prévisibles de certains des élèves pour en tirer des conclusions sur la qualité de l’enseignement et des pratiques des enseignants. Elle doit être convaincue que la réflexion et l’action des élèves, en classe, doivent être observées pour être mises à l’actif des enseignants qui les encouragent et les facilitent. Ces pratiques doivent être complémentaires des résultats des élèves, quelle que soit la qualité de ceux-ci.

Notes
305.

J’emprunte ce titre à Charles HADJI, L’évaluateur en révolution, INRP 1989. Actes du colloque ADMEE EUROPE des 27/29 septembre 1989.

306.

Evaluation et notation des personnels enseignants du premier degré, rapport de l’inspection générale de l’Education nationale, op. cité. Page 31.

307.

André PICQUE, in Monsieur l’Inspecteur, les dessous du métier. Anny MESSIANT éditeur, MORBECQUE, 1994, page 31 et suivantes.

308.

Quand la réalité résiste à la lutte contre l’échec scolaire, cahier numéro 36, Service de la recherche sociologique, département de l'instruction publique, Genève, 1993.