III. LE ROMANTIQUE SANS DIEU NI DOGME

Les cours de religion dispensés à l'Ecole normale veulent réconcilier le christianisme avec la science, l'évolution et la pensée moderne; ainsi l'exégèse enseignée est-elle vraisemblablement éclairée par la recherche historico-critique allemande (alors bien en avance sur la réflexion théologique protestante et catholique française ou romande) qui vise à rendre la lecture de la bible compatible avec les exigences de la modernité : le livre soumis aux méthodes scientifiques perd non seulement son statut de texte sacré mais, de plus, il passe au crible de la critique quant à l'historicité des faits rapportés.

Leyvraz apprend ainsi que le Pentateuque n'est pas l'oeuvre d'un rédacteur unique, Moïse, mais qu'il est formé de diverses sources rédactionnelles - yahwiste, éloïste, deutéronomique et sacerdotale; on lui enseigne que les plaies d'Egypte et la sortie miraculeuse de ce pays sont scientifiquement explicables148; l'étudiant note dans son cahier que l'eau du Nil n'est pas changée en sang149 : la coloration rouge ‘"peut être attribuée à une multitude d'infusoires dont la décomposition fait périr les poissons et rend l'eau imbuvable150"’; quant au bétail décimé151, le drame se comprend aisément : ‘"L'Egypte est encore exposée à de fréquentes épizooties telles que celle de 1876, qui extermina presque tout le bétail, et la peste bovine de 1842152."’

Le cours de religion traite aussi du Nouveau Testament : Le récit des miracles du Christ ? Il s'agit d'un relent de cette mentalité qui, autrefois, tendait à voir ‘"partout dans l'humanité et dans la nature l'action des puissances supérieures ...153"’. Mais aujourd'hui, ‘"grâce aux progrès de la Science qui a fait éclater de façon si magistrale la régularité des lois de la nature, grâce à la Science dont les résultats acquis, les méthodes et l'esprit se sont répandus jusque dans les classes populaires, la mentalité générale s'est transformée154"’. Parfois, le professeur tempère son propos pour en revenir à une position plus orthodoxe; il reconnaît que ‘"la science actuelle n'affirme plus aussi catégoriquement que jadis l'absolue fixité des lois de la nature [et que] personnalité extraordinaire, Jésus a bien pu posséder un pouvoir surnaturel"’. Et de poursuivre : ‘"Le grand miracle, à nos yeux, c'est l'existence, dans ce monde de péché, d'un homme saint. Ce miracle admis, nous ne voyons pas pourquoi nous ne pourrions pas accepter de cet homme exceptionnel des actes exceptionnels155"’. Puis il conclut son cours par une sorte de confession de foi, alliant humanité et divinité du Christ : ‘"Matthieu et Marc sont d'ailleurs d'accord sur les deux points essentiels : la naissance à Bethléem et la naissance surnaturelle156."’

Notes
148.

Dans Les Chemins de la Montagne, Leyvraz critique violemment le fait qu'on occulte, par une telle lecture du "récit sacré" (op. cit., p. 39), la part du surnaturel et "le caractère exceptionnel et divin de ce châtiment" (p. 38).

149.

Cf. Exode 7, 14-21.

150.

Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 39.

151.

Cf. Ex. 9,1-7.

152.

Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 39.

153.

Ibid.

154.

ibid., p. 40.

155.

Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 40-41.

156.

Ibid., p. 41.