a) Les bourgeois

Il y a toujours en Leyvraz ce côté moqueur, narquois, déjà perceptible lorsque, ado-lescent, il mettait en scène certains commerçants de son village. Maintenant, ce sont les bourgeois qu'il tient sous sa plume, dressant en quelques traits une caricature à la Daumier : ces bourgeois ‘"qui ont une gentille faiblesse d'amoureux [pour l'idéal socialiste], qui adorent se gargariser gratuitement avec les mots de fraternité, d'amour, de justice [tout en précisant cependant,] bedonnants et cocasses : Pas de violence, ah! non, pas de grève, pas d'insurrection : Modérez-vous, du calme ! .... du calme ! ... 315".’

Poursuivant son analyse, opposant prostituées poussées par la misère à vendre leur corps et gens du monde, Leyvraz écrit: : ‘"Vertueuse Madame ! rigide porte-bedaine à breloques d'or, vous prenez des airs pincés ? - Sépulcres blanchis ! Scribes et pharisiens hypocrites316 !"’ Il fustige la société bourgeoise sur laquelle les idéalismes, mysticismes et dilettantismes - poussant ‘"comme des champignons rutilants sur un tronc pourri"’ - permettent ‘"l'oubli volontaire et systématique des réalités désagréables317".’ Lancés ‘"dans une dévotion démente où ils espèrent au milieu des mortifications et des jeûnes, faire leur salut, sauver leur âme318"’, les "gens du meilleur monde" démontrent ainsi leur impuissance et leur répugnance ‘"à apporter à l'éternelle misère humaine le seul véritable et radical remède : la Justice, qui rendra possible la fraternité et l'amour sur la terre319".’

Notes
315.

"Du calme !.... Modérez-vous ! ...", 1er novembre 1917, op. cit., p. 4.

316.

"Chair crucifiée", 1er février 1918, op. cit., p. 5.

317.

Ibid.

318.

Ibid.

319.

Ibid.