d) La femme

Les liens familiaux que Leyvraz tisse avec tous les souffrants englobent aussi la femme. A Lausanne, le jeune normalien en quête de dieux avait porté un culte à la Nature, à la Poésie et à l'Humanité; durant son séjour à Leysin il vit avec ferveur son premier amour. Depuis lors, une divinité nouvelle - la Femme - se dresse sur le chemin du jeune homme. Nul doute que cet amour tout neuf suscite en Leyvraz une émotion particulière : toutes celles qui souffrent sont ses soeurs, et la prostituée - parce qu'elle est le produit d'une répartition inéquitable des richesses - éveille en lui un sentiment profond et particulier de compassion - réminiscence probable de son protestantisme d'origine - qui tient une grande place dans ses écrits :

‘"A côté de nous, séparée de nous par la largeur de la rue ou par une simple paroi, une pauvre mère s'affale peut-être en sanglotant, n'ayant plus de pain pour ses enfants affamés, et va les entraîner là-bas, vers le lac, pour trouver l'oubli et l'éternel repos dans les eaux frigides .... A côté de nous, nous frôlant peut-être et victime de notre dégoût, une pauvre enfant de la misère, trop belle pour mourir, passée par les mains crochues de la Faim à la hideuse Prostitution, promène son désespoir morne ou son horrible gaieté. Une de ces pauvres filles

Qui sans pleurs et sans cris, d'ombre et de terreur ivre,
Rêvait et s'en allait, les pieds dans le ruisseau ... 328."’

La fraternité de Leyvraz n'est pas théorique : elle fait naître en lui une sorte de vocation :

‘ ‘"Mes pauvres soeurs martyrisées ! ... Au pied du pilori d'infamie où la Foule vous cloue, je songe à genoux. (...) Quoi que puissent gouailler les ténèbres, quoi que puissent baver les dogues chassieux qui vivent de vous, je veux être un rayon de soleil dans votre sombre nuit, je veux aller à vous d'un coeur ému et pitoyable329."’ ’
Notes
328.

"Du calme ! ... Modérez-vous !...", 1er novembre 1917, op. cit., p. 6.

329.

"Chair crucifiée", 1er février 1918, op. cit., p. 5.