En juillet 1919, Leyvraz écrit deux articles sur ce sujet446. Depuis quelque temps, le problème est à l'ordre du jour : la Suisse qui avait été épargnée par la tuerie de la guerre n'est pas pour autant coupée de la propagande nataliste qui, dans les pays voisins, appelle au repeuplement et dénonce avortement et malthusianisme. En Helvétie, la dénatalité croissante - dans les villes industrielles particulièrement447 - inquiète les élites du pays : qui donc, dans le futur, assurera la défense et la prospérité nationales ? La famille nombreuse est prônée et glorifiée par ceux qui la considèrent comme un signe de santé et de moralité. C'est pourquoi l'Union des femmes répond par un véritable tollé lorsque le Grand Conseil bâlois accepte d'entrer en matière448 sur une motion socialiste demandant d'autoriser l'avortement sous certaines conditions. Cette motion n'emporte pourtant pas l'adhésion de tous les socialistes suisses; parmi eux, les avis divergent; certains se battent contre la limitation des naissances : ne faut-il pas engendrer des révolutionnaires pour demain ? Naine, pour sa part, ne partage pas cet avis : à quoi bon augmenter le nombre des exploités qui représentent une charge écrasante pour de nombreux ménages ? Leyvraz, lui, place le problème sur un plan large et élevé : il ne se prononce pas pour ou contre la contraception; il plaide pour la famille et accuse la bourgeoisie d'avoir sali et vilipendé l'idéal du mariage; celui-ci, dans les classes riches, ne devient-il pas de plus en plus ‘"une opération commerciale, une association d'intérêts manigancés par les parents ou leurs instruments [?] L'amour noble, pur, désintéressé, les aspirations les plus sacrées du coeur humain sont froissées, ignorées, méprisées (...). Ce n'est pas seulement le mariage que la classe riche pourrit chez elle-même, c'est toute l'institution de la famille449".’
"Pour la famille". Droit du Peuple, 7 et 26 juillet 1919.
Le taux moyen de natalité est descendu de 24,2 %° en 1911, à 23,1 en 1913 et à 19,5 en 1915.
Au terme du débat qui se tiendra le 3 juillet, et après une mobilisation importante de plusieurs associations qui trouvent le projet scandaleux, le Grand Conseil rejettera tous les amendements relatifs à des indications eugéniques, médicales ou sociales, et se prononcera pour l'interdiction pure et simple d'avorter.
"Pour la famille", 7 juillet 1919.