a) Le théosophisme

Sa quête de Dieu et de la beauté entraîne d'abord le jeune chercheur vers le théosophisme, doctrine qui veut déchiffrer Dieu dans la nature. En optant pour cette voie, Leyvraz est certainement influencé par l'un de ses voisins, Alfred Millioud (*), avec lequel il a de passionnantes discussions. Ce singulier personnage n'est pas seulement un paysan amoureux de la nature; ‘"archiviste et orientaliste, il se plonge tour à tour dans les grimoires du passé de Bex554 et dans la pensée des sages de l'Inde. Chasseur, homme des bois, doué d'une prescience étonnante, il sort de la civilisation pour vivre dans sa "chaumière" à la lisière de la forêt555"’. Leyvraz aime s'entretenir avec cet homme qui scrute l'histoire pour y découvrir comment les habitants de la région vivaient dans les siècles passés. Lui qui refuse l'idée de la mort est certainement séduit, dans un premier temps, par "l'humanitarisme transposé" de son voisin, par son "évolutionnisme piétiste naturalisé hindou556" qui, sous l'impulsion d'une Annie Besant (*), s'est encore enrichi de l'idée de la réincarnation. Mais, très vite, le jeune homme se rend compte que les synthèses de cette femme sont à l'opposé de ce qu'il recherche.

Parfois, la conversation avec Millioud tourne autour de saint Thomas d'Aquin dont le bonhomme lui parle avec enthousiasme; Leyvraz a aussi entendu parler du Doctor Angelicus par les étudiants "catholicisants" - attirés par le thomisme - qui fréquentent la Maison du Peuple. Pourtant il ne se sent guère équipé pour aborder la pensée, qu'il juge abrupte et inaccessible, du philosophe dominicain. Et malgré la sympathie qu'il éprouve pour Bloy, le catholicisme ne l'attire guère. Avec peine, il a tenté de lire Corona benignitatis anni Dei de Paul Claudel (*); et dans l'oeuvre de Francis Jammes (*) le converti, il ne veut "voir que fraîche poésie557".

Notes
554.

Petite ville vaudoise qui se situe à une dizaine de kilomètres d'Aigle, à la frontière entre les cantons de Vaud et du Valais.

555.

Alfred BERCHTOLD. La Suisse romande au cap du XXe siècle, portrait littéraire et moral, op. cit., p. 436. La chaumière de Millioud se situe au chemin de la Grangette (actuellement ch. des Boveresses).

556.

Les Chemins de la Montagne, op.cit., p. 118.

557.

Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 118.