III. LES FRUITS SPIRITUELS D'UN EXIL

1. LA FILIATION CHRÉTIENNE

Parfois, ses pas amènent Leyvraz vers des lieux de silence. Il découvre Sainte-Sophie mais éprouve, ‘"comme une sorte de malaise physique, l'injure faite au nom chrétien"’, dans cette église "violée et maquillée en mosquée640". A nouveau la confusion; ici, celle des religions : la grande coupole byzantine flanquée de quatre minarets émergeant de la brume, les murs et les plafonds tapissés de mosaïques à fond d'or et, là-haut, sous le dôme principal, les chérubins qui déploient leurs ailes. Stamboul révèle au jeune exilé combien il est attaché à sa lointaine patrie, combien l'internationalisme, le cosmopolitisme lui sont insupportables.

Parallèlement, par contre-coup, cette ville lui rend le sens de la chrétienté, parce que l'Orient musulman suscite en lui une réaction obscure et presque instinctive : ne ressentant aucune sympathie pour le Croissant et l'islam, il se rattache à la Croix, à l'Occident chrétien qui plonge ses racines jusque dans la romanité, dans la catholicité. Quelquefois, Leyvraz entre dans la petite église grecque de Bébek, plantée au milieu de bicoques, au pied de la colline. Voûtes basses, dorures, verroteries, peintures représentant le Christ, la Vierge, les saints; rien de cela ne dépayse le jeune homme, pourtant protestant de naissance : les orthodoxes, ces frères chrétiens qui viennent prier là, le relient à la Croix. Même le spectacle des vieilles femmes allumant des cierges, s'arrêtant devant les icônes pour prier la Mère de Dieu, puis saint Joseph, puis Cyrille et Méthode ne lui paraît pas étranger. Tout cela trouve bientôt une place dans son coeur. ‘"Climat chrétien. L'odeur de l'encens flotte dans l'air. Les Mystères vivent autour de [lui]641"’. Et le jeune homme se surprend à prier.

Notes
640.

Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 147.

641.

Ibid., p. 148.