2. LA PLONGÉE DANS LA SPIRITUALITÉ CATHOLIQUE

Malgré la crise qu'il traverse, Leyvraz garde encore une passion : la lecture. Dès son arrivée dans la ville ottomane, il s'est mis à la recherche des oeuvres de Léon Bloy; il a acheté son Journal et, en peu de temps, en a presque lu la totalité, soit huit volumes publiés tous les deux ans par l'auteur, sous des titres divers : Le Mendiant Ingrat, Mon Journal, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, L'Invendable, Le Vieux de la Montagne, Le Pèlerin de l'Absolu, Au Seuil de l'Apocalypse, La Porte des Humbles. Le pamphlétaire parfois outrancier est toujours à même de toucher le jeune homme épris d'absolu et hanté par le "surnaturel" : Chez Bloy, pas d'eau bourbeuse ou stagnante comme celle de la Corne d'Or, pas de fange ... Mais une source dont l'onde âpre "sent le roc et le glacier642", un torrent violent - de ‘"violences d'amour - [qui] gronde dans une gorge abrupte et sauvage643"’, une eau qui parle à l'exilé parce qu'il la connaît, parce que c'est celle des chemins de la montagne. Une eau qu'il recueille comme un viatique, qui désaltère son âme et qui laisse en lui des traces que rien ne pourra recouvrir. Leyvraz reçoit de Bloy une force inexplicable qui le place - non pas de manière doctrinale mais presque instinctive - ‘"sur le plan surnaturel, où l'âme comprend les Mystères, les Sacrements, les rites mêmes qui lui sont les plus étrangers, dans une lumière telle que les raisonnements les plus habiles ne la peuvent produire644"’, parce que, dans tout événement et dans tout être humain, l'écrivain cherche un sens, une signification; à chaque fois, il porte ‘"son regard au-delà de l'objet [pour en] déchiffrer les signes645"’. Certaines paroles de Bloy éclairent Leyvraz et le bouleversent. Ainsi, dans la Femme pauvre : ‘"- Vous devez être bien malheureuse, ma pauvre femme, lui disait un prêtre qui l'avait vue tout en larmes devant le Saint-Sacrement exposé et qui, par chance, était un vrai prêtre. - Je suis parfaitement heureuse, répondit-elle. On n'entre pas dans le Paradis demain, ni après-demain, ni dans dix ans, on y entre aujourd'hui quand on est pauvre et crucifié. - HODIE MECUM IN PARADISO, murmura le prêtre qui s'en alla, bouleversé d'amour646."’

Notes
642.

Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 159.

643.

Ibid.

644.

Ibid., p. 160.

645.

Article sur Léon Bloy sur CD-Rom, Encyclopaedia universalis, France S.A. : 1996, op. cit.

646.

Cité par René LEYVRAZ. Les Chemins de la Montagne, op. cit., pp. 160-161.