L'Imitation amène le jeune homme à se distancer des doctrines qui, jusque-là, avaient jalonné son parcours : ‘"Celui à qui parle le Verbe éternel est délivré de la multitude des opinions683."’ Cette délivrance - que la lecture de Foerster avait déjà amorcée - , voici qu'elle prend sa pleine dimension pour Leyvraz que chaque abandon de conviction avait laissé déchiré : la foi dans le système rationaliste et scientifique du docteur Forel, la justice attendue du marxisme révolutionnaire, la certitude de trouver dans le socialisme une réponse aux questions existentielles ... Le voici délivré d'un poids trop lourd à porter : celui d'avoir cru jusqu'ici que l'insatisfaction de l'homme, due à ses défaillances, à ses incertitudes, à ses angoisses, pouvait être comblée humainement. L'Imitation lui ouvre le chemin du surnaturel : L'homme est ‘"une énigme indéchiffrable s'il n'est pas fils de Dieu et cohéritier du Ciel684". ’L'homme n'est-il pas, ‘"dans tous les temps et dans toutes les demeures [cet être] anxieux de sa destinée éternelle, soit qu'il s'applique à répondre aux desseins de Dieu, soit qu'il veuille s'y dérober, rendant témoignage à son insu jusque dans ses négations les plus acharnées685" ?’
Jusqu'ici, l'idée d'un bonheur supra-terrestre avait révolté le jeune socialiste : le paradis ne constituait-il pas une excuse pour repousser, à des temps meilleurs, l'édification d'une société terrestre bâtie sur la justice ? Et voici tout à coup que la construction d'une Cité terrestre parfaite lui paraît illusoire; ‘"pour trouver, autant qu'il se peut, la paix et le bonheur sur cette terre, [il ne faut pas être courbé vers les choses sensibles mais] sans cesse regarder vers Dieu. (...) la Cité elle-même la moins imparfaite sera celle que les hommes bâtiront en priant. La tristesse dont le monde est saisi maintenant et qui se trahit jusque dans ses divertissements, c'est le tribut de son aveugle attachement à la terre - cette terre d'exil à laquelle en vain il demande la paix et la joie686"’, qu'il croit souvent obtenir en se plongeant dans l'action.
Ibid., p. 24, développé par LEYVRAZ dans Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 180.
Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 184.
Ibid.
Les Chemins de la Montagne, op. cit., p. 184.