4. LE CATHOLICISME AUX PRISES AVEC LE "KULTURKAMPF"

Mais l'activité déployée par Mgr Mermillod pour structurer le catholicisme et conduire les fidèles à s'engager dans l'apostolat ‘"était empreinte d'un triomphalisme, selon un terme à la mode, qui alimentait les griefs des conservateurs et l'anticléricalisme de certains radicaux783".’ Dès 1869, intolérance et sectarisme s'intensifiaient. Pour mieux s'opposer à cette situation qui touchait particulièrement le catholicisme, le Courrier de Genève devenait tri-hebdomadaire.

Un tribun radical, Antoine Carteret, allait renverser Fazy en 1870. Son programme politique s'inscrivait dans la droite ligne du Kulturkampf, alimenté des éléments locaux suivants : le souvenir des innombrables tracasseries provoquées jadis par Vuarin, l'ancien curé de Genève, l'étroite relation entretenue par celui-ci avec les papes et ses retombées sur la vie politico-religieuse genevoise, la peur de l'ultramontanisme et d'une mainmise romaine en cas d'établissement d'un diocèse autonome à Genève, voeu exprimé ouvertement à plusieurs reprises par Mgr Mermillod. Anticléricaliste virulent qui attirait dans son camp tous les mécontents, Carteret allait se déchaîner contre une Eglise catholique qu'il rêvait de dépouiller : ‘"Ce qu'il nous faut, c'est que l'Eglise s'en aille avec rien, avec le bâton et la besace784."’ Dès son arrivée au pouvoir, le politicien multipliait les mesures vexatoires : suppression de plusieurs fêtes religieuses, sécularisation des cimetières, interdiction de toute cérémonie religieuse sur la voie publique lorsque l'ordre était menacé. En 1871, le gouvernement décidait d'organiser l'Eglise sur un mode prétendument démocratique : dorénavant, les citoyens catholiques administreraient eux-mêmes leur culte; les corporations religieuses, d'abord contraintes de demander une autorisation d'établissement, furent bientôt dissoutes, leurs biens confisqués en faveur de l'Etat et cent trente-cinq religieux et religieuses étaient expulsés.

En 1872, le Conseil d'Etat refusait à Mgr Mermillod le droit de procéder à tout acte réservé à l'évêque du diocèse, et le sommait de renoncer à ses fonctions de vicaire général; le prélat refusant de se soumettre, les autorités cessèrent de le reconnaître comme curé de Genève et supprimèrent son traitement. En signe de protestation, Mgr Marilley, évêque de Lausanne et Genève, déclarait ‘"renoncer entièrement et définitivement [à l'administration spirituelle du canton de Genève], ainsi qu'au titre purement honorifique d'évêque de Genève."’ En janvier 1873, répliquant au gouvernement genevois, le pape nommait Mermillod vicaire apostolique et conférait ainsi à Genève une autonomie canonique. Suite à une protestation et sur proposition du Conseil d'Etat, le Conseil fédéral faisait arrêter Mgr Mermillod le 17 février et le chassait du territoire suisse. Comme pour marquer un décès, le Courrier de Genève encadrait sa "Une" d'un large trait noir; durant les dix ans d'exil du prélat, le journal rappela cet événement en cartouche, lors de chaque parution. Entre mars et août 1873, une loi réglementant le culte catholique était adoptée : chaque paroisse serait administrée par un conseil; une surveillance générale serait assurée par le Conseil supérieur; curés et vicaires, élus par les citoyens de la paroisse, allaient devoir prêter ce serment : ‘"Je jure devant Dieu de me conformer strictement aux dispositions constitutionnelles et législatives sur l'organisation du culte catholique de la République et d'observer toutes les prescriptions des Constitutions et lois cantonales et fédérales. Je jure encore de ne rien faire contre la sûreté et la tranquillité de l'Etat, de prêcher à mes paroissiens la soumission aux lois, le respect envers les magistrats et l'union avec tous leurs concitoyens."’

Notes
783.

Edmond GANTER. Courrier, Cent ans d'histoire, op. cit., p. 83.

784.

Cité par Edmond GANTER. L'Eglise catholique de Genève, op. cit., p. 439.