Les prêtres ayant refusé de se plier à ce signe d'obédience, leurs postes furent déclarés vacants et leurs traitements supprimés; le port de l'habit ecclésiastique dans la rue fut prohibé; les objets sacrés, les revenus paroissiaux, les registres étaient confisqués, la grande majorité des églises saisies et crochetées pour être affectées au culte national. Ainsi, par exemple, l'église Notre-Dame fut saisie très brutalement par la police du gouvernement Carteret, lequel lui reprochait d'avoir ‘"été élevée comme une forteresse de l'ultramontanisme contre le protestantisme785"’. Elle ne put être rachetée aux catholiques nationaux par l'Eglise romaine qu'en 1912, après de longues tractations, pour une somme de 200.000 fr.
Plusieurs maires catholiques furent destitués entre 1875 et 1878, pour avoir refusé de remettre les clefs des églises pour les cultes "schismatiques". En mesure de protestation, le Courrier de Genève publiait, le 11 janvier 1879, le ‘"Tableau d'honneur des quarante-trois maires et adjoints destitués pour la défense de leur église paroissiale et de l'indépendance municipale786"’. Mais le Kulturkampf, en tyrannisant l'Eglise, allait éveiller l'émergence d'un catholicisme politique. Ecartelé entre radicalisme et conservatisme, un peuple se constituait et s'engageait dans une résistance qui le cimenterait787; il créait l'Oeuvre du clergé destinée à rétribuer les prêtres, s'organisait pour rendre la vie dure aux curés nationaux, aménageait des granges, des salles de spectacles ou élevait des "chapelles de la persécution" pour la célébration des messes788.
Edmond GANTER. L'Eglise catholique de Genève, op. cit., p. 463.
Lorsque Edmond GANTER raconte ce fait, en 1968, dans Courrier, Cent ans d'histoire, op. cit., p. 91, il signale que certaines familles catholiques de la campagne conservent encore "ce tableau qui marque l'acte de résistance d'un aïeul aux prétentions gouvernementales".
Une minorité de catholiques qui refusaient les dogmes de l'Immaculée Conception et de l'in-faillibilité pontificale qui venaient d'être proclamés, créèrent une branche dissidente; ces "catholiques nationaux", appelés également "vieux-catholiques" "catholiques libéraux" ou "catholiques-chrétiens" s'organisèrent et firent venir de l'étranger des prêtres dissidents.
A Compesières, en janvier 1875, les paysans catholiques s'opposèrent au baptême d'un enfant dans le nouveau culte catholique national; pour briser cette résistance, le gouvernement mobilisa 3 compagnies d'infanterie, un peloton de cavalerie et 80 gendarmes pour accompagner la famille du bébé ... En signe de protestation, tous les habitants fermèrent les volets des maisons. Arrivés à l'église, la troupe trouva une porte barricadée, un drapeau noir en signe de deuil et un écriteau rappelant l'inviolabilité de la propriété. La porte n'ayant pu être enfoncée par le troupe, une brèche fut faite dans un mur latéral. Cet épisode est connu sous le nom du Baptême à la Baïonnette. (Sur cet épisode, cf. Abbé Paul BLANC et Jacques DELÉTRAZ. Le Baptême à la Baïonnette de Compesières, Un épisode du Kulturkampf. Genève : Imprimerie E. et C. Braillard, 1975).