c) L'essor réjouissant du christianisme social

A part l'Union des Travailleuses catholiques, créée en 1907829, le christianisme social peinait à s'implanter. En mars 1920, une Union sociale des patrons catholiques de Genève, regroupant soixante personnes, ouvrait la voie à l'organisation corporative, de manière assez restreinte et paternaliste; elle voulait "créer un mouvement en faveur de l'étude des doctrines sociales catholiques [pour former une élite, et] passer aux solutions pratiques en se plaçant sur le terrain de la collaboration des classes et non pas dans leurs luttes (...), en esprit de justice et de charité chrétiennes830". Le même mois, l'abbé Marius Bianchi (*), Mlle Maria Giovanna (*), MM. Dessinge et Constantin fondaient le Cartel genevois de l'Union romande des Travailleurs catholiques et des organisations professionnelles chrétiennes-sociales831, qui devait regrouper tous les mouvements catholiques préoccupés des problèmes sociaux. Par cette création, les Genevois se ralliaient donc à une structure romande. De caractère indépendant, les membres du Cartel affichaient leur volonté d'être dirigés par des laïcs, d'engager leur groupement non vers des décisions politiques mais dans une formation spirituelle des ouvriers; ils sollicitaient la collaboration du clergé pour que les organisations paroissiales, dispensant à leurs membres une éducation religieuse et sociale inspirée de Rerum Novarum, servent de cadre au développement du Cartel. Très vite, grâce à de nombreuses manifestations, cette nouvelle structure rencontra du succès832. Et lors de la Fête du Travail de mai 1921, Mgr Besson, nouvel évêque du diocèse, marquait, par sa présence, l'appui officiel de l'Eglise au mouvement chrétien-social qui allait se développer de manière réjouissante833.

Toutefois, certains syndicalistes catholiques ne trouvaient par leur compte dans cette organisation; ils estimaient, en effet, qu'à la réflexion spirituelle, il fallait joindre l'action. En juillet 1922, ils ouvraient l'Office chrétien-social genevois pour développer le christianisme social, promouvoir la défense des intérêts matériels et moraux du monde ouvrier, coordonner et étendre le mouvement syndical.

En octobre, la première Semaine sociale permit à l'Office et au Cartel de trouver une bonne piste de collaboration. Les organisateurs firent preuve d'originalité; il ne s'agissait pas ici de former une élite, mais de provoquer un rassemblement populaire regroupant non seulement des chrétiens-sociaux, mais tous les catholiques désireux de se former et de s'informer sur un thème d'actualité qui serait étudié à la lumière de l'Evangile et des enseignements de l'Eglise834.

Tel est le paysage politico-religieux dans lequel René Leyvraz allait arriver.

Notes
829.

En 1918, cette Union qui connaissait un essor réjouissant, ouvrit 2 sections (employées de commerce et de bureaux, ouvrières de l'aiguille); axant son effort sur la propagande; elle tirait, en 1919, à 1.500 exemplaires son bulletin Le Travail féminin, et créait en outre une Caisse de secours mutuels, et un groupe d'études sociales.

830.

Françoise EMMENEGGER. Le Mouvement chrétien-social à Genève de 1919 à 1936. Mémoire de licence. Fribourg : Faculté des lettres, Université de Fribourg, 1969, p. 33. Cette Union spécifiait, contrairement aux autres groupemements chrétiens, que les patrons devaient être catholiques.

831.

Ce regroupement succédait au Cartel des Sociétés catholiques ouvrières de Genève.

832.

Le 15 mai 1920, anniversaire de Rerum Novarum et jour fixé pour la Fête du Travail, 600 personnes assistèrent aux exposés de l'abbé Savoy sur l'organisation professionnelle, et de l'abbé Bianchi sur les rapports entre l'Union romande des Travailleurs catholiques et le Cartel genevois.

833.

Activités de propagande, invitation à des conférenciers venus de France pour former une élite afin d'encadrer la base, organisation de cours sociaux de 4 jours, création d'un groupe mixte d'études sociales, collaboration avec le clergé, adhésion de Cercles paroissiaux au Cartel (à mesure que se développera un regroupement par corporations, ces Cercles s'orienteront vers les loisirs), adhésion de l'Action catholique ouvrière par le biais des sections paroissiales, création de Caisses d'assurance-maladie paroissiales et application des principes de l'auto-assistance.

834.

Un auditoire comptant jusqu'à 1.000 personnes applaudit, lors de ces Journées, les exposés de l'abbé Savoy, d'Emile Romanet, directeur des usines Joya à Grenoble et promoteur des allocations familiales, et de Maurice Guérin, secrétaire chrétien-social de Lyon.