Les critiques adressées à Hitler et à Maurras peuvent faire penser que Leyvraz défend tous les Juifs avec ardeur. Pourtant, en dénonçant durement - sans relâche et sur tous les fronts - le règne de la violence et de l'argent, le rédacteur place la question juive au confluent de ces désordres et de l'éthique chrétienne. D'une part, si certains de ses propos reflètent l'atmosphère antisémite qui règne massivement dans l'entre-deux-guerres, le journaliste - comme il le fait souvent - établit cependant une distinction : ce ne sont pas les Juifs en tant que tels qu'il accuse vertement, mais ceux qui sont révolutionnaires et ploutocrates. D'autre part, sa conversion au catholicisme l'amène à situer cette question dans un ensemble plus vaste, à rejeter l'antisémitisme positiviste, et à appeler à la prière et à la charité.
L'ancien exilé qui porte au plus profond de son coeur l'amour de son pays, ne comprend pas ces Juifs qui, ‘"sans patrie depuis dix-neuf siècles, gardent avec une vigilance jalouse le sentiment de leur race, mais (...) ignorent l'amour réel de la terre des pères, et, l'ignorant, (...) sont portés à la railler comme une ridicule chimère907"’. Souvent, Leyvraz pointe son doigt contre des personnages spécifiques. Il dénonce les ‘"folies subversives nées dans le cerveau du Juif Karl Marx908"’. Il s'en prend aussi au "Juif Blum" qui a écrit un livre inique sur le mariage, aux co-fondateurs du journal L'Humanité, au ‘"maître occulte de la politique française (...), un financier, le juif hongrois Horace Finaly909"’. Et, aussi, au ‘"sociologue juif Durkheim, tout puissant en Sorbonne910"’ qui a élevé l'idole de l'humanitarisme. Et encore à Dreyfus dont le procès a abouti ‘"à l'apothéose inconsidérée d'une race, qui en profite pour accroître sans mesure son pouvoir sur une nation complètement fourvoyée par la "grande presse"911"’; et encore, au ‘"Juif autrichien Frédéric Adler, assassin en personne du comte Sturgkh912"’. Et, enfin, à Porto-Riche, auteur de romans pornographiques, dans lequel Leyvraz voit le "Racine juif de la littérature". En outre, il accuse les Juifs qui ont joué un rôle décisif dans la révolution d'Octobre, dans ‘"le bolchévisme russe et l'expansion mondiale de ses funestes doctrines, (...) [d'être] les principaux artisans du mouvement révolutionnaire et spartakiste qui faillit livrer l'Allemagne au bolchévisme913".’
Mais ses critiques les plus dures s'élèvent contre les ploutocrates. La situation européenne lui fait dénoncer l'offensive conjointe du communisme et de la ploutocratie ‘"qui part de New York et veut, au mépris des frontières nationales, partager l'Europe en zones d'influence entre les potentats de la finance internationale (...), cimentée de cet internationalisme juif qui partout étend ses prises sur la banque et sur le commerce [et qui] jouent dans les deux camps. (...) il est des Juifs ploutocrates dans l'âme, et d'autres révolutionnaires à tous crins"’. Leyvraz désigne alors leur agent de liaison, ‘"la franc-maçonnerie, qui tient à la fois de l'humanitarisme et de la ploutocratie914"’, dénonçant ainsi ce qu'on appellera le péril judéo-maçonnique. Oui, qui veut défendre l'Europe doit s'élever contre ces forces économiques et financières qui dédaignent ‘"l'intérêt national [et utilisent], pour briser les légitimes résistances du patriotisme alarmé, [des idéologies hostiles à l'Eglise]. Toute arme est bonne aux banquiers d'Israël qui n'ont pas de patrie, et qui tiennent sous le joug une cohorte de bourgeois apeurés, esclaves de leurs coffres-forts915"’. Retrouvant les accents de jadis, Leyvraz s'en prend à ces ‘"quelques douzaines de magnats [américains] avides de s'assurer l'empire du monde; ces magnats pour la plupart enjuivés s'ils ne sont juifs et pénétrés de cette passion quasi-messianique de nivellement universel, qui, tantôt sous le signe de Plutus et tantôt sous celui de la Sociale, nous mène au culte du Ventre ou du Veau d'Or, et fait foin des valeurs spirituelles les plus éprouvées, les plus antiques et les plus vénérables916"’. L'éditorialiste en arrive bientôt à ce qui lui paraît essentiel : ‘"Quelque chose que les Américains sont peu préparés à comprendre et dont les Juifs se moquent : nos traditions, le patrimoine spirituel, le trésor des franchises que nous ont légués nos ancêtres. Ce n'est pas une valeur de Bourse. Cela ne se chiffre pas en dollars. Mais cela fait obstacle au règne de l'or. Cela est dans le sang, et c'est le sang qui en est garant et gardien. Un jour ou l'autre, les doigts crochus l'apprendront à leurs dépens. (....) Nous ne sommes point anticapitalistes, mais antiploutocrates917."’
C'est ‘"le rôle que jouent aujourd'hui les Juifs dans la conjuration des forces anti-chrétiennes918"’ que Leyvraz entend dénoncer. Mais, parallèlement, il apporte une sorte de correction. Se basant sur un article du P. Charles dans Terre wallonne, le rédacteur rapporte qu'il faut aimer les Juifs : ‘"C'est par l'amour seul que nous vaincrons. Tout ce qu'on peut édifier sur la haine est précaire et voué à une prompte mort. Comment pourrions-nous conquérir les Juifs s'ils sentent en nous ne fût-ce qu'une trace de ce sentiment hideux919 ?"’ Neuf mois plus tard, le journaliste aborde le problème juif, sous son aspect messianique, en l'introduisant par une citation de la Tour du Pin : ‘"Les Juifs sont une nation. Cette nation est persuadée que l'empire du monde lui appartient. Elle n'a de moyen de le réaliser que par la corruption des esprits qui amène la décomposition sociale920."’ Si Leyvraz cite cette phrase, c'est parce qu'elle situe ‘"le problème juif de manière exacte, sur le plan social, et à vues humaines. Nous ne croyons pas à un complot qui engloberait tous les Juifs contre la chrétienté"’. Mais ce qu'ils ont en commun, ‘"c'est un messianisme dévoyé, une impulsion profonde et impérieuse qui les pousse à s'attaquer à tout ordre établi quel qu'il soit, parce que leur loi à eux est l'éternel changement, l'éternelle inquiétude. (...) ils se croient nantis d'une mission dont dépend le bonheur de l'humanité. Ils sont en quête d'un paradis terrestre. Leur force est telle, à la vérité, qu'elle est humainement inexplicable. Aucune glose sociologique n'en a pu rendre raison. Hors de l'Eglise, sans le secours de la doctrine chrétienne, le destin de la Race aînée est incompréhensible. On a omis l'essentiel, si l'on se borne à lutter contre les Juifs. Il faut prier pour eux ainsi que fait l'Eglise921".’
En appui de ses propos, Leyvraz cite quelques versets de l'Epître aux Romains où Paul médite sur le mystère de la grâce et de la justice divines qui englobe le mystère d'Israël922; l'incrédulité de ce peuple n'étant que partielle et temporaire, ordonnée à la conversion des Gentils, les promesses de Dieu s'accompliront un jour : ‘"Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux : c'est qu'une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement jusqu'à ce que la masse des Gentils soit entrée. Et ainsi tout Israël sera sauvé (...)."’ C'est dans cette perspective paulinienne, "toute surnaturelle", que la question juive doit sans cesse être replacée, estime Leyvraz qui, à son tour, entame une méditation : ‘"Le destin de cette race est grand. (...) Sans faiblir un instant dans notre lutte contre le judaïsme délétère, sachons prêter l'oreille et ne nous entêtons pas dans notre propre et courte sagesse. (...) nous invitons ceux qui nous lisent à aller au-delà d'un antisémitisme épidermique. Notre fermeté même - et parfois notre violence - doivent être aimantées par la charité seule. Il manque quelque chose à la foi de celui qui est incapable de ployer les genoux et d'adresser à Dieu une fervente prière pour le salut d'Israël. La charité n'est pas épanouie de celui qui s'affirme chrétien et qui réserve un coin de son âme pour que les serpents de la haine y puissent siffler. (...) n'allons pas nous flatter de cette basse illusion : que tout ce qu'il y a de mauvais dans notre société vient des Juifs. Retournons un peu l'aiguillon contre nous-mêmes. Réformons nos moeurs. (...) Il n'est pas nécessaire pour autant de faiblir dans la lutte contre la corruption juive. Mais l'antisémitisme seul est négatif. Ceux qui se figurent qu'il suffit d'être antisémite pour défendre efficacement l'ordre chrétien tombent dans une funeste erreur. (...) L'impérialisme juif met à profit notre propre et autochtone corruption. (...) Luttons contre le cosmopolitisme juif. Mais d'abord gardons-nous de notre propre confusion intellectuelle et morale. Encourager (...) l'indiscipline des moeurs (...), c'est se faire complice de la corruption juive quand bien même on professerait un antisémitisme farouche923."’
Lors du séisme qui secoue l'Action française, Leyvraz rappelle qu'il a écrit, à ‘"maintes reprises, en quoi et pourquoi nos sentiments à l'égard des Juifs et du péril juif différent (sic) si profondément de ceux des antésimistes (sic) positivistes. On nous en fait grief dans certains milieux. Mais notre ligne de conduite est rigoureusement conforme aux enseignements de l'Eglise924"’. Le journaliste précède quelque peu une prise de position de l'Eglise à ce sujet puisque c'est en 1928 seulement que le Vatican déclarera réprouver ‘"toutes les haines et toutes les animosités entre les peuples. (...) Le Siège apostolique condamne souverainement la haine contre le peuple autrefois choisi par Dieu, cette haine qu'aujourd'hui l'on a coutume de désigner communément sous le nom d'antisémitisme925".’
En 1929, Leyvraz écrit : La question juive existe et il ‘"n'est pas possible de l'éluder. Le destin d'Israël est infiniment mystérieux (...) indéchiffrable s'il n'était, pour nous chrétiens, éclairé par l'Ecriture Sainte qui nous fait un devoir de croire au retour de la Race aînée à la Vérité. Sommes-nous antisémites ? - Non point, en tout cas au sens où un certain positivisme l'entend. Avons-nous de la haine contre les Juifs ? Non ! Encore que nous ne puissions nous dérober au devoir de dénoncer leur influence en ce qu'elle a d'évidemment nocif et dangereux, nous ne les haïssons point. Et nous ne saurions le marquer ici avec trop d'énergie. L'ardeur de la polémique peut parfois donner l'impression d'une animosité qui n'est pas en nous. Nous mettons nos lecteurs en garde contre les déviations d'une juste défense, qui pourrait entretenir en eux un état d'esprit absolument incompatible avec la charité chrétienne. La cause que nous défendons et le problème juif lui-même sont bien au-dessus de pareils sentiments926."’
"La sauvegarde des énergies traditionnelles". Courrier de Genève, 16 décembre 1924.
"Une Alliance universelle de l'ordre ?". Courrier de Genève, 23 décembre 1924.
"Christianisme des banquiers". Courrier de Genève, 27 mars 1925.
"La voix des sirènes". Courrier de Genève, 17 mars 1925.
"Antisémitisme". Courrier de Genève, 30 juin 1925.
"L'apologie de la spoliation par un assassin". Courrier de Genève, 4 octobre 1927.
"Les Juifs et le bolchévisme". Courrier de Genève, 11 décembre 1928.
"Une politique européenne". Courrier de Genève, 21 octobre 1926.
"Défense de l'Europe". Courrier de Genève, 14 octobre 1926.
"L'Europe et la haute banque". Courrier de Genève, 26 octobre 1926.
Ibid.
"Rôle et destin d'une race". Courrier de Genève, 11 janvier 1929.
"Antisémitisme". Courrier de Genève, 30 juin 1925.
LA TOUR DU PIN, cité par René Leyvraz in "Antisémitisme". Courrier de Genève, 11 mars 1926.
"Antisémitisme", 11 mars 1926, op. cit.
Rm 11,11-12,25-27. Après avoir montré que les anciennes conceptions de la justice et de la loi juives sont dépassées dans le Salut apporté par Jésus-Christ, Paul s'interroge sur le sort d'Israël et sur les promesses faites à Abraham, en mettant en parallèle la situation des Juifs et celle des Gentils.
"Antisémitisme", 11 mars 1926, op. cit.
"La lettre de S.S. Pie XI au cardinal Andrieu", rubrique "Bulletin". Courrier de Genève, 10 septembre 1926.
Texte du 25 mars 1928 émanant du Saint Office.
"Rôle et destin d'une race", 11 janvier 1929, op. cit.