e) Le progrès, objet de méfiance

Leyvraz rejette bien entendu la mystique du progrès telle qu'elle est cultivée dans le radicalisme, le laïcisme et le matérialisme marxiste; il lui oppose le christianisme social et son effort intellectuel qui offrent une solution à dimension humaine, englobant la quête du bonheur et de Dieu. Mais l'éditorialiste tient à spécifier que s'attacher à une doctrine immuable et se dire traditionaliste ne signifie nullement opter pour l'indolence; ‘"(...) un peuple dépourvu d'énergie et d'initiative se voue au dépérissement et à la mort. Le tout est de pas confondre le véritable progrès, spirituel et matériel, avec certaines théories progressistes modernes927"’. Toujours soucieux d'éviter les excès et de donner au progrès sa dimension réelle, Leyvraz invite à viser un idéal et un ‘"juste équilibre qui ne seront atteints que sous le signe des vérités éternelles. Elles seules, tout en assurant notre salut dans l'au-delà, peuvent ici-bas nous donner le bonheur qui nous est accessible, humble et précaire, mais non point sans douceur. En dépit de tous nos progrès, nous ne sommes rien que de pauvres enfants perdus qui aspirent, sans toujours en être conscients, au règne d'une surnaturelle paternité que rien d'humain, jamais, ne saurait remplacer. Dans la fournaise de nos villes, des îlots de silence s'élèvent çà et là, où règne une divine Présence. Rien n'y a progressé depuis deux mille ans. Le lieu sacré est immobile dans sa majestueuse simplicité. C'est là qu'il faut chercher le réconfort et le sens des seules félicités qui ne laissent aucune amertume928"’. Si Leyvraz se méfie du progrès, c'est parce qu'il estime que celui-ci a piétiné des valeurs religieuses et morales qu'il convient de rétablir, et que ce n'est pas cette idéologie qui crée la rénovation nécessaire; le renouveau qu'il appelle de ses voeux, Leyvraz le voit dans ‘"l'extrême droite, qui pousse des rameaux d'une étonnante vigueur929"’. Pourtant, il met en garde ses lecteurs : il ne faut pas en conclure qu'il faille suivre cette nouvelle tendance parce qu'elle bouge; ce qu'il faut regarder, c'est la direction choisie. ‘"Si c'est la bonne, suivons-là; sinon, n'hésitons pas à rebrousser chemin930."’ Il ne faut pas plus engager ses pas sur la base d'une classification des courants de pensée, qui sont, en réalité, sujets à diverses interprétations : Certains voient à ‘"droite, l'Ordre, puis, en allant vers la gauche, l'altération croissante de cet ordre, jusqu'au désordre représenté par le socialisme. Ou bien : à gauche le Progrès, la Lumière, puis, à mesure qu'on s'avance vers la droite, un obscurcissement graduel jusqu'aux ténèbres opaques de la Réaction931".’

Notes
927.

"Le christianisme révolutionnaire". Courrier de Genève, 25 janvier 1927.

928.

"Le progrès inhumain". Courrier de Genève, 13 octobre 1925.

929.

"Il faut une doctrine". Courrier de Genève, 8 juin 1926.

930.

Ibid.

931.

"Où est le désordre ?". Courrier de Genève, 15 novembre 1927.