2.LE MARIAGE DU "COURRIER DE GENÈVE" ET DU PARTI INDÉPENDANT

Très préoccupé par la situation précaire du Courrier de Genève, Mgr Petite consacre une grande part de son énergie à rechercher des ressources financières, attitude que certains catholiques lui reprochent sans ménagement : ‘"le vicaire général est un homme d'argent ... il ne parle que pour demander de l'argent953"’ ! En novembre 1923, il se rend à Rome pour solliciter Pie XI qui lui remet 120.000 fr. français. Dès son retour, au lendemain des élections du Grand Conseil, il écrit954 à Adrien Déthiollaz955, président de la Commission exécutive du parti indépendant, dans l'idée de faire d'une pierre deux coups. Reprenant la ligne qui avait été préconisée par la Société du Courrier en 1917, Mgr Petite juge indispensable d'amalgamer le sort du Parti à celui du Courrier de Genève, pour redresser la situation et assurer leurs succès respectifs956. Il crée en quelque sorte un "mariage", sous la forme d'une double alliance dans laquelle il s'insère. D'abord l'alliance du Parti et du journal : ‘"A mon retour de Rome, je tiens à vous féliciter du zèle que vous avez déployé pendant la période électorale, zèle qui a été récompensé par le résultat; nos pertes ont été réduites à un minimum. (...) Ce n'est pas trois semaines avant les élections que doit commencer la préparation du scrutin mais immédiatement après le vote. (...) Nous n'avons pas le choix des moyens : il n'y en a qu'un seul, la Presse. Il faut que votre commission exécutive qui a déjà fait de si bon travail, prenne dès maintenant en mains l'organisation systématique du recrutement des abonnés au Courrier, surtout en ville et dans la banlieue où le déficit est énorme. Si cette campagne n'est pas menée, il ne faut pas se bercer d'illusions, nous perdrons encore des députés; si, au contraire cette campagne est conduite avec méthode et persévérance, avant deux ans le Courrier aura les six milles abonnés qu'il doit avoir au minimum et alors le parti retrouvera sa députation d'autrefois : quinze à dix-sept députés."’ Mgr Petite lie encore la cause du parti et du journal à la sienne, et à celle du catholicisme genevois. ‘"Vous connaissez la situation financière du Courrier, je veux bien lutter deux ans encore pour couvrir le déficit formidable annuel, mais si dans deux ans le Courrier n'a pas le chiffre d'abonnés requis pour assurer sa vie, je suis décidé à ne pas aller plus loin et alors ce sera la ruine de la cause catholique soit au point de vue religieux soit au point de vue politique."’ La lettre du vicaire général à Déthiollaz a quasi le ton d'un mandement : ‘"Je demande donc aux catholiques de Genève une chose raisonnable et réalisable : nous avons plus de 20.000 familles catholiques, je demande que le tiers à peine de ces familles soit abonné au Courrier et je donne pour réaliser cette oeuvre un délai raisonnable aussi : deux ans. Il est de toute évidence que ni moi, ni personne ne pourra tenir au-delà de ce délai une situation semblable à l'actuelle. Il faut donc que la Commission Exécutive mette à profit, sans aucune perte de temps, ce délai de deux ans et se mette en campagne immédiatement."’ Après le ton du mandement, celui de la stratégie : ‘"Ce n'est pas une campagne brillante et passagère qu'il faut entreprendre mais une action lente, méthodique, il faut faire le siège de chaque famille, ne pas se laisser rebuter par un premier refus, revenir sans cesse à la charge, et cette action ne devra pas cesser tant qu'il y aura une famille non abonnée. Une action menée ainsi aboutira certainement au succès. Pour me résumer en une phrase : Le 31 décembre 1925, ou bien l'avenir du Courrier sera assuré par ses six mille abonnés, ou il paraîtra ce jour-là pour la dernière fois957."’

Notes
953.

Cité par Mgr Eugène PETITE dans le "53e compte-rendu (sic) de l'Oeuvre pour le traitement du clergé catholique du canton de Genève, année 1927". Genève : Imprimerie du Courrier de Genève, 1928, p. 11. Il est vrai que dans tous les rapports, la question financière occupe un très grand nombre de pages; mais il ne faut pas oublier que la situation de l'Eglise est difficile puisqu'elle ne vit que de la générosité des fidèles et de quelques bénéfices curiaux pour faire face à toutes ses obligations (traitement du clergé, existence du Courrier de Genève, Oeuvres diverses, petit Séminaire, entretien des bâtiments, etc.).

954.

Lettre de Mgr Eugène PETITE à Adrien Déthiollaz, 28 novembre 1923. Archives du Vicariat général, Genève, cote Courrier III Bn.

955.

Le vicaire général devait être d'un caractère quelque peu "dissipé". Fréquemment, lorsqu'il écrit à des personnes qu'il connaît pourtant fort bien, il orthographie mal leurs noms. Il écrit par exemple Déthiolaz, Leyvrat ... En outre, ses lettres dactylographiées comporte tant de fautes de frappe et de ponctuation, que nous renonçons à les mentionner dans cette thèse.

956.

Au début du siècle, en tension avec le Courrier de Genève qui maintenait sa ligne conservatrice, le Parti avait créé son propre organe, L'Indépendant. Après le décès de Mgr Jeantet, les relations entre le Parti et le quotidien s'amélioraient. En 1921, Adrien Déthiollaz déclarait au sujet du journal : "C'est le défenseur de notre idéal et il est notre porte-voix devant l'opinion publique." "Rapport annuel du Parti de 1921". cité par David HILER et Geneviève PERRET BARI in Le Parti Démocrate Chrétien à Genève, Un siècle d'histoire, op. cit., p. 87).

957.

Lettre de Mgr Eugène PETITE à Adrien Déthiollaz, 28 novembre 1923, op. cit.