3. L'UNION DU "COURRIER DE GENÈVE" ET DU CHRISTIANISME-SOCIAL

Le reste de l'Europe n'est pas seul à devoir faire face à des idéologies pernicieuses; Leyvraz estime, qu'à Genève aussi, il convient d'instaurer un ordre par le biais du parti indépendant, des syndicats et du mouvement chrétien-social; il préconise de diffuser et d'appliquer la doctrine sociale de l'Eglise de manière plus efficace, en privilégiant deux axes : l'ouverture et la propagande. D'abord il intercède pour une large répercussion de la pensée de Rerum Novarum qui ne se concrétisera que si les structures catholiques existantes acceptent d'élargir leur regard; ‘"il faut que tous soient touchés, ouvriers, paysans, artisans, employés, mais aussi les chefs d'entreprises et toutes les catégories de "bourgeois" (...)958."’ Puis il estime que même si ‘"le clergé veille à ce que, de temps à autre, les grandes vérités [que l'encyclique] renferme soient rappelées aux fidèles959"’, cela est insuffisant car Rerum Novarum n'est pas "populaire". Et même si la presse peut jouer un rôle, il faut, pour atteindre le peuple, prendre en compte l'élément pédagogique; le journaliste suggère alors de vulgariser le programme social catholique sous forme de tracts ou de brochures, comme l'ont fait certains socialistes, "avec virtuosité". L'ancien militant appuie ses dires par un exemple qu'il connaît bien, celui du succès remporté alors par l'opuscule d'Humbert-Droz, "Guerre à la guerre, à bas l'armée" dans la diffusion de l'antimilitarisme en Suisse et dans l'agitation qui rendit si dangereuse la grève générale de 1918960".

Dans le premier édito de l'année 1925, Leyvraz reconnaît que les catholiques militants ‘"peuvent avec joie considérer les obstacles surmontés (...)"; mais pour les mobiliser encore plus, il reprend les images de jadis : Un sommet les appelle, d'où ils découvriront d'autres sommets encore, car, ils le savent, leur mission est d'entraîner l'humanité vers ces cimes éternelles des âmes (...)961"’. Dénonçant ‘"cette confortable illusion d'un bon petit salut personnel, bien tempéré, sans excès de zèle et de piété"’, l'éditorialiste ajoute une dimension spirituelle, en insistant sur l'existence de ces ‘"âmes [qui,] par milliers crient à l'aide, tandis que les désordres sociaux réclament (...) l'unique remède capable de les apaiser : le christianisme dans la plénitude de sa signification sociale962"’. Ce voeu de propager la pensée sociale est exaucé; dès le 8 janvier 1925, des liens se nouent entre le Courrier de Genève et le Mouvement chrétien-social, auquel le journal va accorder une page hebdomadaire, réservée aux nouvelles et à l'étude du Mouvement. Les buts de cette union sont précis : combattre les erreurs de l'économie libérale et les utopies néfastes des chefs révolutionnaires, dissiper les malentendus et les préjugés à l'endroit des catholiques sociaux, faire échec aux socialistes, et aussi à ces ‘"catholiques ultra-conservateurs et attardés, qui ne comprennent rien au mouvement contemporain (...), s'immobilisent dans les vieilles méthodes d'action (ou d'inaction)963"’ sous prétexte que le syndicalisme est le premier pas vers le bolchevisme. La cause catholique y gagnera, et aussi celle ‘"de l'ordre social tout entier et, par conséquent, le bien-être général du pays. Le catholicisme social sera, à Genève comme partout ailleurs, un puissant élément d'ordre, de pacification, de prospérité économique et de sécurité sociale964".’

Notes
958.

"Questions de tactique". Courrier de Genève, 11 mars 1924.

959.

Ibid.

960.

Ibid.

961.

"Regard vers l'avenir". Courrier de Genève, 1er janvier 1925.

962.

Ibid.

963.

F.C. [vraisemblablement François Carry]."Le Courrier et le mouvement catholique social". Courrier de Genève, 14 janvier 1925.

964.

Ibid.