Dès 1925, le Courrier de Genève participe largement à l'essor965 de la première corporation genevoise, celle des Travailleurs de la Terre, créée l'année précédente, en mettant tous les lundis à sa disposition une page agricole, entièrement rédigée par les "corporateurs" et placée sous le contrôle du rédacteur en chef.
Chaque fois que son sujet lui en donne l'occasion, Leyvraz - qui est pleinement acquis au Mouvement chrétien-social - rappelle la nécessité d' ‘"adapter aux réalités sociales d'aujourd'hui les vérités éternelles de la doctrine catholique966"’. Toutefois, le clergé de Genève n'est peut-être pas encore totalement acquis à cette idée; est-ce pour l'y engager que l'éditorialiste cite ces propos de Benoît XV967 : ‘"Tout en jugeant indispensable pour l'autorité ecclésiastique de se maintenir dans les sphères élevées de la doctrine, nous reconnaissons qu'il est opportun que certains descendent dans les sphères inférieures et, en conformité parfaite avec cette doctrine, facilitent au peuple la solution concrète des problèmes qui s'offrent à lui, afin qu'il puisse connaître la conduite pratique qu'il doit tenir dans les circonstances particulières de la vie968." ’? En outre, l'éditorialiste rassure les lecteurs hésitants qui pourraient craindre une sorte d'embrigadement aveugle; le mouvement chrétien-social n'implique pas une pensée uniforme; des avis divergents peuvent s'y exprimer; par exemple lors de rencontres éclairées par l'apport normatif d'économistes et de sociologues catholiques qui permettent une confrontation loyale et amicale. Refusant d'abandonner ‘"plus longtemps l'oeuvre de rénovation sociale aux utopistes et aux révolutionnaires969"’ et rappelant combien les Corporations ont constitué, du Moyen Age à la Révolution, une force vive de coordination dans les domaines spirituel et social, Leyvraz s'interroge : ‘"Cette force serait-elle donc désormais sans emploi ? Qui oserait le soutenir en face du grand essor que prend maintenant le syndicalisme chrétien dans tous les pays ?"’ Avec une perspective large, il veut mobiliser son lectorat pour regrouper, autour d'un programme commun, les élites morales, scientifiques, ouvrières et paysannes en un ‘"solide faisceau, [afin de] coordonner leur action et d'armer la presse qui leur sert d'organe et de moyen d'expansion970"’. Et de lancer une idée qui, bientôt, se répandra : ‘"Et pourquoi ne verrions-nous pas renaître un régime corporatif chrétien approprié aux besoins de notre temps971 ?"’
La Semaine Sociale qui, en 1925, réunit des ‘"hommes d'action, assurés déjà d'une solide base doctrinale972"’, constitue un moment fort pour la communauté catholique genevoise. Le thème choisi, Le libéralisme, source d'anarchie, amène Leyvraz, toujours soucieux d'une large ouverture, à relever un point commun entre libéralisme et christianisme social : leur côté conservateur ‘"lorsqu'il s'agit de sauvegarder l'action de la civilisation, la religion, la patrie, la famille, la propriété contre les assauts de l'idéologie révolutionnaire973"’. Le journaliste prend soin cependant de stipuler que le christianisme social est fermement résolu à dépasser la solidarité libérale, basée sur la philanthropie et la bienfaisance, pour la remplacer par l'ordre et la justice. En effet, estime Leyvraz, les libéraux, ‘"qui tirent privilège de l'anarchie économique engendrée par leur funeste doctrine, représentent le désordre profond, initial 974"’. L'ancien militant socialiste retrouve son ton amer pour vomir cette société capitaliste ‘"issue de l'individualisme de 89, [qui] a accumulé à elle seule plus d'iniquités et de cruautés que tous les régimes que le monde a connus975"’. Apparaît alors une affirmation catégorique qui reviendra fréquemment sous sa plume : C'est le capitalisme qui a forgé "les armes des anarchistes et des communistes". Le ressentiment de l'éditorialiste reste entier face à ce système créateur de misère : ‘"Les tortures que le régime de la concurrence effrénée, du laisser-faire, laisser-passer, a infligées au prolétariat industriel sont à faire reculer d'horreur976."’
Pour remédier à cet état de fait et permettre la mise en place d'une "structure sociale, saine, rationnelle et conforme aux principes chrétiens", Leyvraz appelle ses lecteurs ‘à "réagir avec énergie contre l'individualisme qui pourrit la vie économique977"’. Entre l' "Eglise catholique et l'Eglise marxiste [qui] se disputent les âmes", il faut choisir. Maniant toujours, d'une certaine façon, la thèse puis l'antithèse, il tient à rassurer les chefs d'entreprises après ses propos sévères : ‘"(...) le christianisme social (...) vise à reconstruire la corporation chrétienne en la fondant sur le principe évangélique de la collaboration des classes. Bien loin de vouloir détruire le patronat, il veut lui rendre la plénitude de ses attributions sociales bienfaisantes. Il admet la propriété privée comme un ressort capital de la prospérité nationale. Mais il la discipline (...) [sur la base] des commissions mixtes, des comités de conciliation et d'arbitrage, des conseils professionnels où patrons et ouvriers défendent et ajustent leurs intérêts, en vue du bien commun978".’
En 1925, l'organisation d'un syndicat des horticulteurs et jardiniers marque une étape impor-tante; elle constitue la première assise d'une organisation paysanne qui regroupe propriétaires agricoles, domestiques de campagne, horticulteurs et maraîchers. Au fil des mois, la Corporation des Travailleurs de la terre crée des Caisses de crédit mutuel agricole et d'épargne régionale, organise des rencontres en vue d'étudier la condition des ouvriers agricoles, ouvre des Cercles paroissiaux et des Associations sportives.
"Catholicisme et question sociale, un pas en avant". Courrier de Genève, 27 janvier 1925.
Il s'agit d'un discours du pape tenu le 18 mars 1919 devant la Société ouvrière de saint Joachim au sujet de Rerum Novarum.
"Catholicisme et question sociale, un pas en avant", 27 janvier 1925, op. cit.
Ibid.
"Le rôle des élites". Courrier de Genève, 10 février 1925.
"Catholicisme et question sociale, un pas en avant", 27 janvier 1925, op. cit.
"La Semaine Sociale". Courrier de Genève, 26 février 1925.
Ibid.
"Catholicisme et question sociale, un pas en avant", 27 janvier 1925, op. cit.
"La Semaine Sociale", 26 février 1925, op. cit.
Ibid.
Ibid.
Ibid.