1. L'ÉLOIGNEMENT DU SOCIALISME

Sa désillusion face au socialisme et sa conversion au catholicisme obligent Leyvraz à se situer face à ses anciens camarades. Contrairement à ce qu'il semblait encore espérer lorsqu'il était en Turquie, il estime maintenant qu' ‘"aucune conciliation n'est possible entre le christianisme et le socialisme. (...) en devenant socialiste, on cesse rapidement d'être chrétien, ou, réciproquement, (...) en revenant au christianisme intégral, on rompt ipso facto avec le socialisme (..)¹⁰¹⁸"’. Il dit sa joie lorsque d'anciens collègues du Droit du Peuple se convertissent au catholicisme ou s'éloignent du socialisme¹⁰¹⁹ et critique ceux qui gardent foi dans le bolchevisme. Tout en déclarant admirer le dévouement de son ancien camarade, le facteur Scherrer de Leysin, qui vient d'être révoqué à cause de ses engagements à gauche, Leyvraz apprécie que la Confédération se débarrasse de fonctionnaires rêvant d'installer en Suisse ce régime ‘"de potences et de guillotines soviétiques¹⁰²⁰" ’qui sévit à Moscou. Et lorsque Naine est contraint de démissionner du parti socialiste, suite à la cabale menée par ses "amis" politiques¹⁰²¹, les critiques de Leyvraz contre ses anciens camarades du Droit du Peuple sont acerbes : Golay est un ‘"révolutionnaire romantique (...) qui manque absolument de l'envergure et du sens des responsabilités qui font les véritables chefs"’. Jeanneret-Minkine est ‘un "chambardeur à pied, dont le principal ressort est une ambition sans frein"’. Quant à Léon Nicole, c'est ‘"l'opportunisme incarné, (...) un habile démagogue (...) assez souple pour prendre le pli nouveau à point nommé¹⁰²²"’. Après le décès de Naine survenu en 1926, Leyvraz, amer, citera souvent la phrase de son maître et ami : ‘"ils m'ont tué"¹⁰²³ ’. L'objecteur Humbert-Droz, maintenant enrôlé par Moscou, est qualifié par son ex-admirateur de ‘"paladin de la fraternité, de la moralité, (...) gardien de la vie spirituelle, qui passe au service du plus menaçant des militarismes¹⁰²⁴"’. Enfin, Leyvraz tourne aussi le dos aux révolutionnaires qui l'avaient enthousiasmé et ancré dans le socialisme : ‘Tolstoï est désormais un anarchiste "chrétien" [dont la] vigueur et la sincérité de ton (...) peuvent longtemps faire illusion sur sa portée réelle. De grandes vérités chrétiennes y voisinent avec des blasphèmes et des aphorismes nettement anarchistes. Et c'est précisément ce qui rend cette doctrine dangereuse entre toutes¹⁰²⁵"’; Fourier, Considérant, Leroux et Saint-Simon sont de "pauvres maîtres, des charlatans¹⁰²⁶"; quant à Haeckel, qui prône ‘"la sélection de la race humaine par la destruction des a-normaux (sic), des faibles et des mal conformés¹⁰²⁷"’, ses théories immorales doivent être rejetées.