CHAPITRE II
PRISONNIER DE TIRS CROISÉS
OU LE TEMPS DES TENSIONS
(1930-1935)

I. L'ÉVÊQUE PRÊCHE LA MODÉRATION

Malgré les tensions focalisées autour du Courrier de Genève, le quotidien des catholiques se porte bien. La souscription annuelle lancée au début de l'année 1930 atteint, au 30 mars, un total de 27.530 fr. grâce à des dons allant principalement de 50 centimes à 20 fr.1190. En outre, plusieurs bulletins de versement sont accompagnés d'encouragements1191 ‘: "Paroisse de Ste-Croix, en l'honneur de M. Leyvraz et de M. Schubiger"’ - ‘"Couler à pic ... Bravo Leyvraz ... Un convaincu de la nécessité de la bonne presse"’ - ‘"Si les catholiques comprenaient la puissance de la presse pour la défense de leurs droits"’ - "J'aime le Courrier" - "Hourra Leyvraz" - "Bravo Leyvraz !" - "En l'honneur de la Direction" - "Pour le développement de la bonne presse" - "De la part de quelqu'un qui aime le Courrier". Le jour de Pâques 1930, une nouvelle rotative entre en fonction; puis le graphisme du titre du journal est modifié. Dès 1932, des photos sont insérées à la Une. Grâce à de multiples efforts (propagande, numéros spéciaux, distributions gratuites à tous les ménages, actions menées par le parti indépendant et chrétien-social), le quotidien gagne de nouveaux abonnés et tire à huit mille exemplaires1192. Modernisé, il commence à attirer l'attention de catholiques dans les cantons de Vaud, du Valais et de Neuchâtel. Avec l'apport des chrétiens-sociaux dans la page hebdomadaire qui leur est réservée, le Courrier de Genève élargit son audience et ses articles ont un ton conquérant.

Mais le milieu catholique genevois est multiple et complexe; il y a ‘"des riches et des pauvres, des capitalistes et des prolétaires, des patrons et des salariés, des citadins et des paysans, une "droite" et une "gauche" ... Unis sur le plan de la foi et de la morale, ils [sont] divisés sur le plan des intérêts1193"’. Leur union spirituelle a été démontrée lors de la Mission générale, tenue durant le Carême de l'hiver 1930, événement qui a constitué un de ces grands moments d'affirmation du catholicisme cantonal; le jour des Rameaux, une "phalange de vingt-trois missionnaires" a distribué neuf mille images souvenirs aux femmes et aux jeunes filles. En outre, au ‘"cours de la Semaine Sainte six mille cinq cents crucifix furent remis aux chefs de familles et aux grands jeunes gens1194."’ On reprenait en quelque sorte une action menée en 1826 par le Curé Vuarin qui racontait : ‘"J'ai laissé dans chaque maison, j'ai donné aux individus isolés, un crucifix en gravure ou en sculpture; j'ai ainsi crucifié Genève, très paisiblement et très chrétiennement1195."’

Notes
1190.

Les dons de Mgr Besson, des vicaires généraux Eugène Petite puis Henri Petit, ou de certaines associations sont supérieurs à ces sommes et atteignent jusqu'à 500 fr.

1191.

Les quelques phrases qui suivent ont été relevées dans les numéros du Courrier de Genève des 5, et 12 janvier, 2 et 23 février, 30 mars 1930.

1192.

Il est évident que le nombre de tirages ne correspond pas au nombre d'abonnements. Il faut noter que plusieurs abonnements de propagande sont gratuits; en outre certaines paroisses qui souscrivent des abonnements ne les paient pas toujours et ont souvent des dettes importantes vis-à-vis du journal. Dans son édito "Pour notre maison" du 22 mai 1932, Leyvraz signale que le quotidien catholique est "maintenant à Genève, par son tirage, le premier des journaux d'opinion".

1193.

René LEYVRAZ. Cent ans de Courrier, op. cit., p. 109.

1194.

"56me compte-rendu (sic) de l'Oeuvre pour l'entretien du culte catholique-romain dans le canton de Genève. Année 1930". Genève : Imprimerie du Courrier de Genève, 1931, p. 3.

1195.

Ibid.