Le 27 février 1933, L'Association Cardinal Mermillod écrit à Leyvraz. D'une part, pour l'informer qu'elle lance une nouvelle action voulant diriger les groupements de jeunes, particulièrement, vers l'Action catholique. D'autre part, pour obtenir l'appui du Courrier de Genève et aussi l'amener à réfléchir sur son rayonnement : ‘"Ceux qui savent voir et lire à travers les événements dont notre monde est le théâtre, n'ignorent pas la nécessité de coordonner nos efforts vers un même but. Quelle doit être l'attitude de notre presse à cet égard ? Quels moyens lui donner pour qu'il lui soit accordé la place qu'elle mérite et que son action soit érellement (sic) positive dans les foyers qu'elle pénètre ? Répond-elle, enfin, sous son aspect actuel à ce que tout catholique est en mesure d'en attendre1406 ?"’ En tant que représentant du Courrier de Genève, Leyvraz est alors invité à participer à cette réflexion, lors d'une rencontre fixée au 3 mars, présidée par le vicaire général. Mais qui a suggéré que copie de cette lettre soit adressée, d'une part, à Gaston Bersier (alors secrétaire du Parti) qui, l'année suivante, sera nommé directeur commercial du Courrier et, d'autre part, à l'abbé Carlier1407 lequel succédera, également en 1934, à l'abbé Compagnon comme directeur du journal ? Il faut déduire de ces deux envois qu'il y a des changements dans l'air.
Leyvraz qui se trouve alors à Corbeyrier, répond le lendemain à l'Association : ‘"Je suis au regret de ne pouvoir me rendre à votre invitation. Je dois rester ici, au chevet de ma femme qui est très gravement malade1408. Monsieur le Vicaire Général, qui est au courant de la situation, comprendra facilement la raison de mon absence1409."’ Quelques jours plus tard, la Commission Presse tient une séance à laquelle prennent part le vicaire général, l'abbé Carlier, Mac Kenzie (Président du Cercle catholique de Genève), Gaston Bersier et le Dr L. Nicolas, secrétaire de la Commission. Au cours de la rencontre, les participants énumèrent à tour de rôle les reproches qu'ils font au Courrier : ‘"Il est (sic) un journal trop local et c'est essentiellement ce qui fait son manque d'intérêt - Il ne contient pas assez de renseignements doctrinaux et trop de faits divers qui sont sans importance ou contraires à l'édification des lecteurs - Les sous-titres sont dangereux. Un journal confessionnel est un journal qui se respecte - La politique étrangère souvent froisse des catholiques qui ne sont pas de chez nous - Que sait-on de Rome ? Par l'Osservatore romano ne pourrait-on pas être au courant de ce qui s'y passe ? Qui contrôle la réclame ? Il importe de savoir si en matière de morale l'argent a aussi de l'odeur. (...) - Ne pourrait-on pas profiter du passage à Genève de certains hommes pour les interviewer ? - Souvent paraissent de bons articles en faveur de nos adversaires (...)1410."’ Pour ne pas rester sur des constats négatifs, la Commission décide d'étudier les améliorations possibles. Un rapport1411 est établi par Mac Kenzie. Avec un humour tout british, celui-ci rend hommage aux responsables du Courrier qui, au prix ‘"de grands efforts, ont fait muer en volatile vivant, ce qui, il y a dix ans, était un canard moribond ... Mais il y a volatile et volatile ! Et ce qui a pu être aigle est devenu coq ! Certes, ce dernier est un plumifère respectable, mais qui n'a ordinairement que peu de prestige hors du poulailler, et c'est le cas du Courrier "’. Après avoir regretté que ce journal ‘"ne joue aucun rôle dans le monde catholique international"’, Mac Kenzie suggère, entre autres, de faire appel (en respectant leur anonymat) à des catholiques employés dans les secrétariats des organismes internationaux pour disposer de "tuyaux" qui pourraient être "extrêmement précieux". Puis le signataire pose cette question : ‘"Reste à savoir si une telle transformation du Courrier est possible ou même désirable. Si elle est désirable, deux choses semblent nécessaires : a) un changement dans la politique de direction actuelle, qui est purement cantonale pour ne pas dire paroissiale; b) un apport financier qui permettrait d'augmenter le personnel de rédaction. A l'heure actuelle, un changement dans la politique de direction ne semble pas possible, car celle-ci paraît être dictée par une fraction de catholiques de Genève qui a besoin d'un organe - je veux dire le parti chrétien-social. Il est évident que ce parti est appelé à jouer un rôle dans la République genevoise, mais il tend à dominer le journal, et en matière d'opinion, et par le nombre de pages qui lui sont accordées chaque jour. En ce qui concerne le personnel du Courrier, il est exagérément restreint, et, de ce fait, on ne peut lui reprocher de remplir deux ou trois pages de grandes pelletées de faits divers enfantins et de communiqués sans valeur."’ Bref, le rêve du rapporteur serait de disposer d'un journal qui ‘"se donnerait comme tâche d'être un Osservatore romano "hors des murs" ". Mac Kenzie hésite cependant à affirmer "que le Courrier, même en apportant tous les changements possibles, serait - sous ses administrateurs actuels - l'organe indiqué pour remplir ce rôle". Et de conclure : "(...) il est difficile même de voir comment on pourrait faire un changement si radical, sans une intervention de la part de l'autorité ecclésiastique1412"’. Tout est dit : le Courrier se doit de prendre d'autres orientations plus larges, de distendre ses liens avec les chrétiens-sociaux et le Parti, et de s'engager dans des changements radicaux sous la houlette de l'évêque.
A certaines de ces critiques élevées contre le quotidien, on peut opposer l'avis de Leyvraz qui, chaque année, dans des éditos titrés "Pour la Maison", démontre la difficulté de satisfaire tout le monde et, par conséquent, de conserver un lectorat : ‘"(...) si vous manquez une dépêche ou un simple fait-divers (sic), si l'information est insuffisante et l'impression défectueuse, gare à la revanche du lecteur ! (...) Quelque soin que vous ayez mis à rédiger vos articles, un accident manqué, l'omission d'un "chien écrasé" compromettra toute votre oeuvre. Et si par malheur vous avez ignoré quelque match important, à quelles sanctions ne devez-vous pas vous attendre1413" !’
Lettre de l'ASSOCIATION CARDINAL MERMILLOD à René Leyvraz, 27 février 1933. Archives du Vicariat général, Genève, cote Courrier III Bn.
L'envoi de cette note à l'abbé Carlier peut aussi s'expliquer par le fait qu'il dirige alors l'autre journal catholique genevois, l'Echo Illustré.
L'épouse de Leyvraz décédera le lendemain, 1er mars 1933, d'un cancer dont elle souffrait et pour lequel elle était soignée, depuis plusieurs mois, à Corbeyrier.
Lettre de René LEYVRAZ (nom du destinataire inconnu), 28 février 1933. Archives du Vicariat général, cote Courrier III Bn.
Commission de presse, procès-verbal de la séance du 21 mars 1933. Archives du Vicariat général, Genève, cote Courrier III Bn.
FÉDÉRATION CATHOLIQUE GENEVOISE. "Commission de la presse : Le Courrier de Genève". Ce document n'est pas daté mais on peut penser qu'il a été établi dans le cadre de la séance précitée. Archives du Vicariat général, Genève, cote Courrier III Bn.
FÉDÉRATION CATHOLIQUE GENEVOISE. "Commission de la presse : Le Courrier de Genève", op. cit.
"Pour notre maison", 22 mai 1932, op. cit.