b) Des intrusions inadmissibles

Au début avril 1933, Leyvraz est à nouveau appelé à participer à une séance de la Commission, invitation qu'il décline à nouveau, en ces termes : ‘"(...) je suis au regret de vous informer que ne (sic) saurais faire partie d'aucune commission de presse constituée en marge du Conseil d'Administration du Courrier. Je laisse entièrement à ce Conseil, dont je dépends, le soin d'examiner, en accord avec l'autorité ecclésiastique et sous son contrôle, les modifications qui peuvent être apportées à la gestion, à la tenue et à l'orientation du journal¹⁴¹⁴"’. Et, pour rappeler (peut-être) qu'il assure une importante fonction au journal, il signe "R. Leyvraz, réd. chef". Malgré ses fonctions, Leyvraz renvoie donc, au Conseil d'administration, la responsabilité de prendre toute décision. Le 14 avril, il adresse au Dr Nicolas vraisemblablement, une lettre explicitant sa réaction : ‘"Je vous remercie pour vos lignes du 10 avril. Je recevrai votre visite avec le plus grand plaisir, dès votre retour. S'il y a des malentendus, il importe en effet de les dissiper par une franche et cordiale explication. Ces malentendus, je n'ai jamais pensé qu'ils vous fussent personnellement imputables. Mais je sais, de source sûre, que l'un ou l'autre membre de votre comité (de presse) s'est avancé sur un terrain où il ne devait pas mettre les pieds."’ Leyvraz vise-t-il ici Gaston Bersier qui sera accusé, par la suite, d'avoir semé la zizanie dans le Parti en dressant les personnes les unes contre les autres ? Puis, le rédacteur en chef reprend une expression déjà parue quelque dix ans plus tôt sous sa plume et qui explique bien ses réticences : ‘"Ces intrusions absolument inadmissibles, et qui se heurteront toujours chez moi à une résistance inflexible, ont compromis une oeuvre de collaboration qui pouvait, sous votre direction, donner de bons résultats. Quand la confiance est ainsi détruite, elle est très difficile à rétablir. Cela ne veut pas dire, soyez-en certain, que j'y mettrai de la mauvaise volonté. Mais j'y veux voir clair, et je pense, en particulier, que les droits des organes dirigeants du Courrier doivent être strictement respectés¹⁴¹⁵."’ Un élément est à retenir : le refus catégorique exprimé par Leyvraz d'une intrusion étrangère.

Est-ce en lien avec le Rapport de l'Association Cardinal Mermillod que Mgr Besson avait adressé à l'abbé Compagnon, le 12 janvier 1932, une lettre "strictement confidentielle¹⁴¹⁶" dans laquelle il laissait entendre que des changements pourraient intervenir dans l'organisation du journal ? En effet, écrivait l'évêque, ‘"malgré toute votre bonne volonté qui ne se discute pas, il est manifeste que vous ne pouvez pas arriver à diriger le Courrier dans le détail comme il le faudrait, et que bien des points laissent à désirer. Personne, du reste, ne pourrait assumer seul la direction complète d'un quotidien qui est un journal d'idées. D'autre part, malgré ses grandes qualités et les services très précieux qu'il nous rend, Monsieur Leyvraz ne suffit pas non plus à remplir la tâche complète de la rédaction : il se meut nécessairement dans un certain cycle d'articles qui touchent directement ou indirectement aux questions sociales." Après avoir relevé que le quotidien catholique se présentait souvent comme "un journal de parti et même quelquefois (...) de classe"’, Besson revenait sur un problème fréquemment soulevé; le Courrier de Genève (et, par contrecoup, le parti indépendant chrétien-social) s'était ‘"aliéné, au moins temporairement, toute une classe de catholiques de Genève (suisses et étrangers), classe pas très nombreuse, je veux bien le croire puisque vous me le dites, mais (...) qui représente quand même quelque chose, puisqu'elle comprend la plupart de ceux qui par leur situation ou par leur culture jouent un certain rôle"’. Tout en soulignant qu'il n'avait pas d'idées très nettes ou de solutions à proposer, le prélat montrait, par la suite de son texte, qu'une réflexion était déjà enclenchée. Puis il faisait intervenir les deux qualités qui lui paraissaient les plus importantes et qu'il prônait sans cesse, la loyauté et la paix : ‘"Si, quelque jour, on vous proposait quelque modification dans l'organisation du Courrier, au point de vue administratif ou rédactionnel (encore une fois, je n'ai rien de précis à proposer pour le moment), je vous demande d'accepter que l'on discute à l'amiable et qu'on cherche loyalement et paisiblement la solution que ces intérêts supérieurs exigent."’ Et, dévoilant un trait de son caractère : ‘"Vous savez à quel point j'ai pris patience, redoutant, d'une manière sans doute excessive, de faire de la peine à qui que ce soit."’ En clair, cette lettre annonce la nécessité d'introduire dans la direction du journal une personne supplémentaire. En outre, elle montre l'influence certaine, exercée par la classe des personnes travaillant dans les Organisations internationales de Genève.