d) L'irruption d' "affairistes" dans le quotidien catholique

La stratégie mise en place par le directeur commercial pour réaliser ces progrès - financiers - n'est pourtant pas du goût de chacun. Outré par les restrictions de place décidées à leur encontre dans le journal, au profit d'annonces publicitaires, les indépendants chrétiens-sociaux répliquent en boycottant le Courrier de Genève dans leurs commandes d'impression. Des lettres d'insultes, pleines d'insinuations, d'accusations, de menaces, proférées sur un ton impertinent et désagréable, s'échangent entre Bersier et les dirigeants du Parti. Autre mesure de rétorsion, prise cette fois par les chrétiens-sociaux contre le journal : les responsables de La Liberté syndicale (c'est-à-dire Berra en particulier) cessent de lui confier l'impression et l'expédition de leur journal.

Si, dans son rapport du mois de mars 1935¹⁴³⁰ , Bersier ne dépasse pas le cadre de sa fonction en présentant un projet de cahier des charges (idée certainement intelligente et nécessaire) concernant la direction ecclésiastique (9 lignes), la direction commerciale (44 lignes ...) et la rédaction (4 lignes !), ne s'arroge-t-il pas tout de même une place prépondérante ? Le "rôle" du directeur ecclésiastique serait de "défendre dans le journal les intérêts religieux des catholiques et d'exercer un droit de contrôle, au besoin de censure, sur la rédaction et la publicité". Celui du directeur commercial, qui se ‘place "sous la surveillance exclusive du comité devant lequel il est responsable"’, est très large. Pour définir sa propre tâche, Bersier n'utilise pas le terme de "rôle", mais "d'attributions". Entre beaucoup d'autres, il s'octroie les tâches de surveillance du personnel, d'organisation du système de roulement des rédacteurs (en collaboration avec le Rédacteur en chef); il admet toutefois qu'il ‘"n'a aucune responsabilité et aucun pouvoir sur la partie rédactionnelle du journal¹⁴³¹"’ . Quant au cahier des charges de la rédaction, il est des plus laconiques : Contrairement au directeur commercial qui est sous la "surveillance" du Comité, la rédaction, elle, est placée sous les "ordres" du même Comité. ‘"Le Rédacteur en chef, sous réserve du contrôle du Directeur ecclésiastique, assume la responsabilité de toute la partie rédactionnelle du Journal et spécialement des articles politiques et sociaux¹⁴³²."’

Que retenir de cet épisode ? L'événement le plus grave est la scission du catholicisme, divisé entre les fils obéissants de l'Eglise, et les militants politiques, syndicalistes et chrétiens-sociaux, au confluent de laquelle Leyvraz est placé de par ses divers engagements, partage qui va bientôt le déchirer. Comme le déchirent certainement deux sentiments antagonistes : l'obéissance à l'évêque et l'obéissance à sa conscience militante qui le pousse à ne pas abandonner un combat lorsque celui-ci lui paraît être justifié.