5. LES TENSIONS ENTRE LE "COURRIER DE GENÈVE" ET LE PARTI

Le 22 juin toujours, Mgr Besson a répondu au président du Parti qui lui avait demandé s'il souhaitait qu'une rupture s'instaure entre les indépendants chrétiens-sociaux et le Courrier de Genève. Après avoir déclaré qu'il gardait pleine confiance dans le Parti, "du moins dans la plupart de ses chefs et de ses membres", Besson dit désirer "une collaboration loyale". Il rappelle que le quotidien catholique est "une oeuvre autonome, appartenant à l'Evêque", et que nul n'a le droit d'en entraver la liberté, ni d'imposer soit des hommes, soit des décisions. Cette fois, le prélat définit officiellement les liens qui unissent son journal et le Parti : ‘"Nous ne pouvons (...) accepter que le Courrier soit l'organe du parti (...) dans ce sens que le parti puisse avoir la direction et les responsabilités de ce qui s'y publie. Il appartient à l'Evêque de nommer le directeur responsable."’ Puis il signale que l'admission de Berra, en 1929, au Comité du Courrier, s'était faite grâce "à la demande formelle de l'Evêque". Et il ajoute : ‘"J'avoue que je n'ai pas été payé d'une reconnaissance bien grande, mais cela montre, soit dit en passant, à quel point il est injuste d'insinuer, comme le font certains chrétiens-sociaux, que c'est l'Evêque qui a voulu mettre le parti (...) à la porte du Courrier." Besson accepte que les indépendants chrétiens-sociaux considèrent le Courrier comme leur journal, à la condition expresse "que les représentants du parti qui travailleraient avec nous soient vraiment catholiques, par leur conduite, (..) leur esprit et (...) leurs procédés. Car, à aucun prix, nous ne voulons faire du Courrier UNE DOUBLURE de La Liberté syndicale qui constitue actuellement un vrai danger et que je n'approuve pas1458"’. Dans une nouvelle lettre, l'évêque se plaint de la vaste campagne de dénigrement entretenue, contre lui-même et Mgr Petit, par quelques membres du Parti. Il demande donc que le Comité prenne "officiellement position" contre cette campagne ‘"et qu'il le [fasse] savoir à la population catholique, un peu désorientée1459".’

Dans sa réponse qui montre que le fossé entre le quotidien catholique et les indépendants chrétiens-sociaux se creuse jusque dans les structures du journal, et après avoir affirmé catégoriquement qu'aucune campagne de dénigrement n'a été entreprise, la direction du Parti proteste fortement contre la ‘"façon cavalière dont on a liquidé les deux représentants du Parti au Conseil d'administration du Courrier, sans que les organes responsables aient été avisés ou pressentis au préalable. [Ce geste n'a fait que] confirmer dans l'esprit de tous les membres du Parti (...) le sentiment que le Courrier entendait rompre avec l'organisation politique des catholiques de Genève dans leur immense majorité. (...) Certains articles publiés par le Courrier sous la responsabilité évidente de l'autorité ecclésiastique, ont par contre contribué à rendre le débat public (...). Nous vous informons que dans les milieux les plus soumis on n'approuve pas l'orientation actuelle du Courrier. Il serait temps, à notre avis, de mettre un terme à cette situation douloureuse, au sujet de laquelle nous entendons dégager complètement notre responsabilité1460"’. En outre, la direction du Parti n'a pas apprécié un écrit de Journet : ‘"Le récent article sur le Parti confessionnel, paru sous la signature de Monsieur l'Abbé Journet et vraisemblablement avec l'accord de l'autorité ecclésiastique, n'a pas été de nature, lui non plus, à arranger les choses1461."’

Durant l'été, une réflexion s'amorce chez les indépendants chrétiens-sociaux. Leyvraz en donne quelque écho à l'évêque : ‘"On conçoit que le Courrier, propriété de l'Evêque, devienne avant tout un organe d'Action catholique. Et l'on en conclut que la presse politique de combat, indispensable à Genève, doit peu à peu s'organiser sur un autre plan. (...) L'article de M. l'abbé Journet, qui correspond assurément à votre pensée, a dissipé toute équivoque au sujet du "parti confessionnel"."’ La suite du propos montre que Leyvraz est favorable à la distinction des plans une nouvelle fois explicitée par Journet, puisqu'elle permettra ainsi au Parti de disposer de son autonomie : ‘"Il est plus évident que jamais que la politique doit se développer sur son propre plan. Cela ne signifie d'aucune manière que les catholiques qui font de la politique ne doivent suivre vos directions dans toutes les questions où l'intérêt de la religion est intrinsèquement engagé, et accueillir avec déférence vos avis en toute autre matière. Ceux qui peuvent le contester aujourd'hui le font sous l'emprise d'une irritation passagère1462."’ Cette manière de traiter l'événement est intéressante; en effet, Leyvraz dégage de la distinction des plans non pas une analyse qui tendrait à opposer négativement le politique et l'Action catholique mais, au contraire, à en faire ressortir l'aspect positif, à savoir une marge d'indépendance et de liberté vis-à-vis de la hiérarchie.

Au début septembre, Mgr Besson récrira à la direction du Parti pour asseoir la nouvelle orientation adoptée par son journal au plan politique. ‘"Certains des vôtres vont jusqu'à affirmer que le Courrier, dans la pensée de l'Evêque, ne doit plus s'occuper ni de politique ni d'action sociale. Je proteste contre ces affirmations que rien ne justifie. Je n'ai jamais vu d'inconvénient à ce que le Courrier reçût les communiqués du parti et je désire que des articles de principes sur la politique et la sociologie, exposés en termes corrects, paraissent dans le Courrier."’ Puis il réfute les accusations selon lesquelles il serait responsable de la désunion instaurée : ‘"Les responsables, ce sont ceux qui ont créé un état d'esprit qui n'est certainement plus chrétien et la loyauté m'oblige à vous prévenir que, si cet état d'esprit se continue, s'il risque de détourner nos jeunes gens et nos travailleurs de l'Eglise et de ceux qui la représentent, ma conscience d'Evêque m'obligera à prendre publiquement position. On ne peut pourtant pas exiger que j'assiste sans rien dire à la perversion progressive d'une partie de mes diocésains."’ Et de terminer par ces mots : ‘"Je vous ai donné, Messieurs, et, en particulier, au mouvement chrétien-social assez de marques de sympathie pour que vous sachiez que mes bras et mon coeur vous sont toujours ouverts1463."’

Notes
1458.

Lettre de Mgr Marius BESSON à M. Sésiano; 22 juin 1935. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1459.

Lettre de Mgr Marius BESSON à M. Sésiano, 29 juin 1935. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1460.

Lettre de MM. Humbert SESIANO, président, et Marius CONSTANTIN, secrétaire du parti indépendant et chrétien-social, à Mgr Marius Besson, 23 août 1935. Archives du Parti, Genève.

1461.

Ibid.

1462.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 1er août 1935. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1463.

Lettre de Mgr Marius BESSON au Président et aux membres du Bureau du parti indépendant et chrétien-social, 5 septembre 1935. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.