3. PARTICIPER À L'INSTAURATION DE L'ORDRE ET COMBATTRE LE DÉSORDRE

Sous l'influence de son secrétaire, Henri Berra, la Liberté syndicale prône dans ses colonnes l'établissement de l'ordre, sujet que Leyvraz défend ardemment depuis longtemps en dénonçant le désordre produit par la gauche et, encore plus, par le système capitaliste. Un regard sur les articles de Leyvraz parus, entre 1935 et 1940, dans le journal syndical, dans La Nouvelle Suisse, organe du Parti, et dans l'Echo Illustré, montre que les mouvements qui surgissent retiennent toute son attention : Henry Dorgères1505 qui anime la défense paysanne est un héraut de l'Ordre nouveau qu'il convient de suivre. L'admiration portée par Leyvraz au Colonel de La Rocque a fait l'objet, nous l'avons vu plus haut, d'un débat avec l'abbé Journet, parce que le journaliste avait critiqué une motion radicale-socialiste française contre la Ligue des Croix-de-Feu1506 . Le rédacteur syndical apprécie aussi, en Suisse, le discours prononcé devant le Conseil national par l'ancien Conseiller fédéral Jean-Marie Musy, parce qu'il partage ses opinions sur le rôle de l'Etat dans l'économie1507 . Leyvraz estime aussi que l'ordre doit s'instaurer dans cette Espagne1508 qui, quelques mois plus tard, sera plongée dans la guerre civile menée par des révolutionnaires qui sont le produit conjoint du capitalisme et du marxisme1509 . Le journaliste regarde avec intérêt vers la France, en prédisant l'échec total du programme que le Front Populaire prétend instaurer1510 (jusque dans la Savoie où Nicole tente d'exporter ses théories1511), et en conseillant à ses lecteurs de rester vigilants. Cet ordre nouveau doit aussi s'établir à Genève, grâce à l'application de la loi sur les contrats collectifs1512, mais aussi dans l'ensemble de la Suisse par une réforme politique et économique1513 que l'instauration du corporatisme (qui amène une reconnaissance des métiers et donne voix à la famille) devrait permettre en faisant échec au désordre social inscrit dans les lois1514, par un retour à la tradition chrétienne et l'éradication d'une ligne libérale-jacobine importée de France en Suisse1515. Puis apparaissent dans les articles de Leyvraz de multiples allusions à Gonzague de Reynold, personnalité que le journaliste considère comme un Maître patriote, autour duquel les chrétiens devraient se rassembler pour défendre le fédéralisme et s'organiser contre la révision du Code pénal suisse1516 . Leyvraz soutient aussi la lutte menée par le Président de la Confédération, Philipp Etter qui, sur les pas de Reynold, professe également une foi fédéraliste1517. Comment, alors, le journaliste ne pourrait-il pas scruter avec un enthousiasme communicatif tous ces signes témoignant de la volonté de tant de personnes de restaurer un ordre chrétien ? Comment ne pas se sentir entraîné et ne pas avoir envie de tracer un sillon dans ce vaste mouvement qui donne un sceau à son combat et à sa militance ? Si, dès 1936, le rédacteur syndical cesse de loucher vers les mouvements de droite française, il présente en revanche un nouveau modèle à suivre : celui de Salazar, cet homme d'Etat catholique - venu d'un milieu très pauvre - qui reconstruit l'ordre chrétien dans son pays1518. Au fur et à mesure des mois qui passent, Leyvraz met la plus grande partie de son énergie pour qu'un régime corporatiste s'installe en Suisse. Dès lors, il s'en prend à la gauche qui tente de tuer ce projet1519 et se réjouit chaque fois que des pas s'esquissent vers la voie d'une collaboration syndicale. Bien entendu, les premiers craquements annonçant l'imminent éclatement d'un conflit mondial sont également observés avec attention par le journaliste qui dénonce l'action antichrétienne et totalitaire d'Hitler et signale les bienfaits de l'anticommunisme prôné par l'Action nationale suisse1520 .

Notes
1505.

"Henry Dorgères, animateur de la Défense paysanne". Liberté Syndicale, 4 octobre 1935.

1506.

"Le Colonel de La Rocque". Liberté syndicale, 1er novembre 1935.

1507.

"Un chef nous parle". Liberté syndicale, 7 février 1936.

1508.

"La leçon des faits". Liberté syndicale, 21 février 1936.

1509.

"Le mauvais maître". Liberté syndicale, 12 novembre 1937l

1510.

"Vers une France nouvelle ?". Liberté syndicale, 3 juillet 1936.

1511.

"Faillite du Front Populaire". La Nouvelle Suisse, 22 septembre 1936.

1512.

"Vers l'ordre nouveau". Liberté syndicale, 11 décembre 1936.

1513.

"Pour l'Ordre nouveau". Liberté syndicale, 10 décembre 1937.

1514.

"Le désordre légal". Liberté syndicale, 11 mars 1938.

1515.

"Ce qui nous divise". Liberté syndicale, 8 avril 1938.

1516.

"Sur le roc". Liberté syndicale, 11 novembre 1938. "Un grand patriote nous parle". Liberté syndicale, 9 décembre 1938. "Entre Suisses". Liberté syndicale, 2 juin 1939. "Regards sur l'Helvétie". Liberté syndicale, 10 février 1940.

1517.

"M. Etter et l'ordre nouveau". Liberté syndicale, 9 juin 1939.

1518.

"En suivant Salazar". Liberté syndicale, 20 août 1938. "Retour à la source". Liberté syndicale, 3 novembre 1939.

1519.

"A l'Union syndicale suisse". Liberté syndicale, 10 février 1939.

1520.

"La peste rouge". Echo Illustré, 28 janvier 1939. "Oui, c'est une révolution". Liberté syndicale, 7 juin 1940.