3. LA FIN DU RÉGIME ROUGE

A la veille des élections, une entente est tout de même conclue entre les quatre partis nationaux. A cette occasion, les "Principes" du parti indépendant et chrétien-social sont utilisés comme base d'un programme commun, pour faire échec au gouvernement de gauche. Les partis bourgeois mettent donc un terme à leurs divisions afin de former un gouvernement antimarxiste qui établisse une restauration nationale. Berra - dont la rudesse des déclarations n'a rien à envier à celle d'un Oltramare ou d'un Nicole - entre dans la bagarre en déclarant : ‘"IL FAUDRA construire et laisser hurler les loups. IL FAUDRA travailler et laisser crier les agents de Moscou. IL FAUDRA donner du travail aux chômeurs et chasser de Genève les parasites et la vermine qui l'infecte. IL FAUDRA faire régner l'ordre et remettre à sa place des agitateurs comme Piguet ou Tronchet. IL FAUDRA réaliser l'entente entre patrons et ouvriers et briser la tyrannie rouge. IL FAUDRA défendre la terre genevoise et les familles paysannes. IL FAUDRA rallumer la flamme du patriotisme le plus ardent dans cette ville où toutes les internationales se sont donné rendez-vous1559."’ La réalisation de l'affiche électorale du Parti est confiée au dessinateur Noël Fontanet. On voit sur une pente caillouteuse, un Suisse en haillons qui peine à porter, sur ses épaules, une lourde croix formée d'un marteau et d'une faucille, et à laquelle il est enchaîné. Le texte qui commente cette illustration est le suivant : ‘"Peuple de Genève ! Si tu ne veux pas gravir le calvaire sous le poids de la faucille et du marteau, Vote pour les candidats indépendants et chrétiens-sociaux."’

Quant à Leyvraz, même s'il est convaincu que le régime de Nicole doit être éradiqué, la campagne électorale l'amène, d'une part, à déclarer qu'il faut distinguer entre communisme et communistes : ‘"Notre haine va à l'erreur et non aux hommes1560"’; et, d'autre part, ‘"[qu']il ne suffit pas de barrer la route au marxisme. Il s'agit de construire un ordre nouveau, tout aussi éloigné du capitalisme libéral que du communisme1561"’. Aux élections, le Parti perd un siège et en conserve douze (Leyvraz est réélu); ce petit échec est attribué à diverses causes, d'abord à l'émoi suscité dans certains esprits par le projet d'alliance avec l'Union nationale, concocté par Berra; puis aux manoeuvres de certains membres ‘"qui n'ont pas agi en bons indépendants et chrétiens-sociaux1562"’; et au fait que, malgré le talent de ses rédacteurs, l'organe La Nouvelle Suisse a eu un impact moins fort que les quotidiens de la place. Les socialistes conservent encore quarante sièges (-six), dont deux communistes; les radicaux vingt-quatre (+cinq); le parti national et démocratique quatorze (-); l'Union nationale dix (+un).

L'élection du Conseil d'Etat marque une défaite cinglante pour la gauche dont les quatre Conseillers d'Etat socialistes (Léon Nicole, Albert Naine, Maurice Braillard et André Ehrler) sont éliminés; elle constitue une victoire pour la droite puisque les sept élus sont des ‘"patriotes genevois, grâce à l'union loyale des partis nationaux (...)1563"’; les radicaux placent quatre candidats, le parti national et démocratique deux; le septième élu est le candidat présenté par le Parti qui vient enfin de réussir, après treize ans de vacance, à placer son Conseiller d'Etat en la personne d'Antoine Pugin. Leyvraz s'en réjouit vivement : Voici que sonne ‘"l'heure de redresser, d'apaiser, de construire. Car Pugin est avant tout un constructeur1564"’ . Le rédacteur de la Liberté syndicale voit dans cette victoire le signe d'un redressement national qui s'enracine dans le programme du Parti qui a enfin été adopté par d'autres formations politiques. Est-ce dans l'optique d'une ouverture encore plus large du Parti que Leyvraz propose, à la fin de l'année 1936, lors d'une séance du Bureau, d'en changer le nom en Parti populaire et national ? Ou veut-il établir une distinction plus nette entre ce qui ressort du religieux et du politique ? Il lui est répondu, au cours de cette séance, qu'une telle modification demanderait d'être étudiée avec soin; finalement, aucune décision n'est prise. Revenant peut-être indirectement sur la suggestion de Leyvraz, François Gency, président du Parti, déclarera quelques mois plus tard : ‘"Nous devons collaborer avec les autres partis nationaux pour le bien de notre pays; celà (sic) nous le ferons loyalement mais nous devons conserver à notre parti son indépendance et sa personnalité; notre parti, qui a le passé que vous connaissez, restera le Parti indépendant et chrétien-social1565."’

Notes
1559.

Henri BERRA. "Le gouvernement national". Liberté syndicale, 13 novembre 1936.

1560.

"C'est la lutte finale", 18 septembre 1936, op. cit.

1561.

Discours de René LEYVRAZ, reproduit dans le compte rendu "Assises du Parti Indépendant et chrétien-social". Liberté syndicale, 20 octobre 1936.

1562.

Rapport présenté à l'Assemblée des délégués du parti indépendant et chrétien-social, le 20 mars 1937. Archives du Parti, Genève.

1563.

Rapport présenté à l'Assemblée des délégués du parti indépendant et chrétien-social, le 20 mars 1937, op. cit.

1564.

"Antoine Pugin, Conseiller d'Etat". Liberté syndicale, 4 décembre 1936.

1565.

François GENCY. "Rapport présenté à l'Assemblée des délégués du Parti indépendant et chrétien-social du 20 mars 1937". Archives du Parti, Genève.