Comme Leyvraz l'a déclaré à Journet, il souhaite développer la communication. Mais il tente aussi, dans son nouveau champ d'activité, d'orienter l'information donnée par son journal ‘"vers l'effort constructif que notre époque requiert impérieusement (...)1629"’. En effet, face à une presse d'opinion ou de classe qui ne sert que ses propres intérêts, face au fatalisme régnant, pour ‘"dissiper ce dangereux pessimisme, il faut une presse nationale qui ait les coudées absolument franches, qui puisse aller énergiquement de l'avant, surtout dans le domaine social où de puissantes coalitions d'intérêts s'opposent encore à la réalisation de l'ordre nouveau1630"’. Le combat mené par Leyvraz pour que les journalistes puissent s'exprimer dans une réelle liberté - c'est-à-dire sans être muselés par les intérêts économiques - est constant. En filigrane de ses propos se lit une amertume certaine, celle de son départ du Courrier de Genève pour cause "d'affairisme", événement qu'il n'a toujours pas digéré : ‘"Combien de journalistes, et parmi les meilleurs, qui sont en réalité "neutralisés" par des puissances invisibles. Combien ne tiennent à leur poste qu'en taisant leur pensée profonde, ou en l'atténuant, en l'émasculant au point qu'elle perd toute vigueur ! Combien seraient rejetés dans l'ombre s'ils osaient écrire ce qu'ils vous disent en tête à tête ... Théoriquement, il n'y a pas de limite à leur liberté. En fait, la limite apparaît dès que vous vous attaquez aux puissances d'argent, aux abus, aux iniquités du capitalisme, non pas en termes généraux, mais en les désignant avec précision. Certes, on ne viendra pas du jour au lendemain vous mettre le marché à la main. Cela ferait scandale. Mais après un temps d'exhortations "modérées", de rappel au "bon sens", la pression des intérêts commence, et si vous persistez elle se fait de plus en plus impérieuse jusqu'à la strangulation du rebelle. On vous met sous le nez le bilan du journal, en même temps que les récriminations des requins, qui sont souvent de grands annonciers. On vous fait sentir que vous coulez l'entreprise qui vous nourrit. Tant et si bien qu'en fin de compte vous apparaissez comme un mauvais coucheur si vous vous obstinez. Toutes les armes sont bonnes pour vous réduire à merci. Et si vous vous défendez, vous faites figure d'intolérable "extrémiste". (...) Le loup est libre dans la bergerie. Il s'y promène en roi, étranglant tout ce qui lui résiste, avilissant tout ce qui porte ombrage à son sceptre brenneux. Voilà la vérité. Et si nous nous dressons à bon droit contre les servitudes totalitaires, il faudrait aussi, pour parler valablement de notre "liberté", que nous brisions aussi la servitude capitaliste ! Il est dérisoire de proclamer la primauté des "valeurs spirituelles" quand ces valeurs sont systématiquement écartées dès qu'elles posent la moindre exigence gênante pour l'Argent1631."’ Oui, la presse doit s'organiser fortement ‘"parce qu'elle représente non seulement une masse importante d'intérêts matériels mais une somme considérable d'intérêts spirituels et moraux. Comme telle, elle est sans cesse en butte aux entreprises de toutes sortes d'aventuriers1632".’
"Nous voulons vaincre". Liberté syndicale, 13 mars 1936.
"Nous voulons vaincre", 13 mars 1936, op. cit.
"Le loup libre ...". Liberté syndicale, 26 mai 1939.
"Et la presse ? ...". Liberté syndicale, 12 avril 1940.