5. LA QUESTION JUIVE

Si Leyvraz continue de s'élever contre la ploutocratie, si les caricatures de Noël Fontanet dans la Liberté syndicale représentent souvent des Juifs repus, reconnaissables à leur nez épaté, les années qui passent amèneront le rédacteur à placer toujours plus le problème juif dans une perspective religieuse, à alerter ses lecteurs contre des sentiments antisémites et à prôner une solution pacifiste au problème soulevé par l'exercice du pouvoir juif. Autant de réflexions qu'il développe non pas dans la Liberté syndicale mais dans le magazine catholique l'Echo Illustré.

‘"La dispersion et la non-assimilation générale des Juifs sont des faits d'essence religieuse qui ont eu des conséquences politiques, économiques et sociales. C'est assez dire que le dernier mot du problème est sur les lèvres de Dieu. C'est aussi souligner l'infirmité, l'insuffisance des solutions que nous pouvons proposer. Proposons-les pourtant, en nous gardant des illusions et des passions, en priant Dieu qu'Il nous tienne dans la justice et dans la charité. Charité surtout ! Ah ! je le dis de toute mon âme à ceux qui sont en train de se laisser séduire par la haine du Juif dont les effluves malsains nous arrivent de la masse germanique en fermentation. Quand vous parlez des Juifs, n'oubliez jamais que vous êtes chrétiens. La Race aînée est dans les mains de Dieu, et c'est une haine impie que celle qui prétend prévenir Son jugement. N'endurcissez pas votre coeur. Ne dites pas : "Ils l'ont bien mérité !" Vous êtes devant l'un des plus grands mystères du monde. Mais votre devoir est tout simple : il est de compatir à la souffrance et de panser les blessures avec une charité obstinée, inébranlable. J'ai vu une mère juive pleurer au chevet de son enfant, et toute la détresse d'Israël m'est apparue devant ce pauvre petit qui dormait à poings fermés. Toutefois, notre charité ne doit point se réduire à quelque mol humanitarisme. Si nous voulons préserver notre peuple de la haine antisémite, nous devons résoudre chez nous le problème juif en partant de ses données réelles. (...) la question juive ne peut être résolue qu'avec le concours et la bonne volonté des Juifs eux-mêmes. Or, si elle ne se résout point dans la paix, c'est en fin de compte la violence qui la tranchera. Il ne faut se faire aucune illusion à ce sujet. Notre fameux "bon sens populaire" ne résistera pas aux courants passionnels qui traversent l'Europe, et qui sont nettement antisémites. (...) Nous devons prévenir les courants populaires en proposant dès maintenant des solutions chrétiennes inspirées par une justice et une charité clairvoyantes. (...) Il importe au plus haut point, que les organisations israélites obtiennent des Juifs qu'ils se retirent de la politique, qu'ils s'éloignent des postes de commande du grand commerce, de la finance et de la presse. Faute de quoi, il est absolument impossible de garantir que notre pays échappera à la vague d'antisémitisme. Il est de l'intérêt et du devoir de la masse des Juifs qui veulent vivre en sécurité chez nous de réagir eux-mêmes, et sans délai, contre l'indiscrétion et les zones d'influence de certains de leurs frères de race qui attirent le malheur sur l'ensemble de leur peuple. Déjà nous voyons, non sans alarme, les "slogans" antisémites repris et répétés par un nombre croissant de citoyens, et surtout par des jeunes gens, qui sont loin d'en mesurer la portée profonde1682." ’

Au terme de son article, Leyvraz propose que les Juifs puissent disposer d'une autorité responsable devant l'Etat et eux-mêmes, constituant ainsi une corporation de droit public, organisant la garantie de leurs droits tout en définissant leurs devoirs.

Notes
1682.

"Détresse d'Israël, Devoir des chrétiens". Echo Illustré, 26 novembre 1938.