Le retour - non officiel et anonyme - de Leyvraz au quotidien catholique est-il à considérer comme dû à la crainte de soulever une nouvelle tempête ? Est-ce pour cette raison que le vicaire général suggérait à l'évêque de nommer plutôt l'ancien éditorialiste comme "bras droit" de l'abbé Chavanne, alors directeur de l'hebdomadaire romand l'Echo Illustré ? ‘"M. L... qui cherche toujours à équilibrer son budget accepterait volontiers cette première solution à ses difficultés avec M. B...1717."’ Ou, autre proposition formulée par Mgr Petit : permettre à l'abbé Chavanne d'exercer pleinement son ministère en paroisse1718, et le remplacer à la tête de l'hebdomadaire catholique par Leyvraz qui deviendrait directeur, ou rédacteur en chef de l'Echo Illustré. Il faut dire que le journaliste n'est pas un inconnu des lecteurs de ce magazine puisque, depuis 1938, il fournit sporadiquement des articles à cette revue.
Tout en conservant son activité à la Liberté syndicale et en fournissant un article par semaine au Courrier de Genève, Leyvraz accepte de travailler, dès le début de 1940, aux côtés de l'abbé Chavanne, à l'Echo Illustré, journal auquel l'évêque alloue un subside de 1.000 fr. Tous se déclarent enchantés de cette solution, et le nouveau rédacteur donne à l'évêque un premier écho de cette collaboration :
‘"Je voulais vous écrire tous ces jours, mais mon pauvre petit garçon1719 est tombé malade d'une pneumonie, de sorte que je vis dans une angoisse continuelle. Ces lignes sont tout d'abord pour vous dire merci du fond du coeur pour toute l'affectueuse bienveillance que vous avez mise à favoriser mon entrée à l'Echo Illustré. Je souhaite ardemment de ne pas vous décevoir dans ce nouveau champ d'activité. Je travaille à l'Echo depuis une quinzaine déjà, le métier entre peu à peu, et mon cher directeur me dit qu'il croit que tout va bien. En tout cas vous m'avez mis en de bonnes mains, et le seul contact quotidien d'un tel chef est déjà un très grand réconfort1720."’Les années de guerre s'annoncent difficiles pour Leyvraz qui doit lutter tant aux niveaux professionnel et politique que pécuniaire et moral. Le journaliste sent toujours plus le besoin impérieux de communiquer, de rassembler, de convaincre; autant de soifs qu'il ne peut assouvir ni à La Liberté syndicale (à cause de la ligne politique imposée par Berra), ni à l'Echo Illustré, où il ne publie qu'un ou deux articles par mois. En mai 1940, une lettre à Mgr Besson dit cette soif de donner une profondeur qui n'est pas inscrite dans son activité professionnelle; en effet, la tâche principale confiée à Leyvraz dans ce magazine consiste plus à "penser" le journal, à l'inspirer, qu'à écrire : ‘"Pour moi, tout en faisant ce beau métier de choisisseur d'images, il me vient des pensées, des élans. Il me semble que j'ai encore quelque chose à dire à l'étage au dessus, par delà ces questions sociales qui malgré leur importance sont bien secondaires en ces jours tragiques1721"’. Heureusement, le journaliste a trouvé sur sa route un ami, Gonzague de Reynold, avec lequel il vient de nouer, comme nous le verrons plus loin, d'importantes relations; le 26 juillet, il lui confie au sujet de son activité à l'Echo Illustré : ‘"Quoi qu'il en soit, je passe mon temps ici à trier des images, ce qui est un très joli travail - mais j'aurais bien autre chose à faire en ces semaines décisives. (...) Je ronge mon frein au milieu de mes photographies. Je ne comprends pas qu'on me laisse moisir ici alors qu'il y a tant de travail ! C'est avant le "coup dur", dans les semaines qui viennent, que je devrais pouvoir donner ma mesure1722 !"’
Lettre de Mgr Henri PETIT à Mgr Marius Besson, 16 janvier 1940. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 43.
Finalement, l'abbé Chavanne sera nommé curé de la paroisse Notre-Dame des Grâces au Grand-Lancy, tout en conservant la direction de l'Echo Illustré.
Après la mort de son épouse, Leyvraz s'était retrouvé seul avec son fils Jean-Pierre, âgé de 7 ans. Puis il s'était remarié. Le couple a eu 2 autres enfants, Christiane et Bernard. Geneviève, la dernière, naîtra durant la guerre.
Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 10 février 1940. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 43.
Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 3 mai 1940. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 43.
Lettre de René LEYVRAZ à Gonzague de Reynold, 26 juillet 1940. Bibliothèque nationale, Berne, fonds Gonzague de Reynold, cote Action 57 bis. En parlant de "coup dur", Leyvraz évoque certainement une invasion possible de la Suisse. En effet, la veille, le Général Guisan avait convoqué 650 Officiers sur la prairie du Grütli (lieu symbolique entre tous puisque la tradition veut que le Serment des 3 Suisses y ait été prononcé le 1er août 1291), afin de présenter la stratégie du "réduit national" prévoyant une défense à partir de la concentration des troupes dans les Alpes, et la destruction des passages alpins en cas d'attaque. Ce discours visait aussi à galvaniser le moral des soldats et à stimuler leur esprit de résistance.