1. LE RETOUR AU "COURRIER DE GENÈVE", UN PROBLÈME INSOLUBLE

Durant l'été 1940, pour trouver une réponse à sa soif de convaincre ses lecteurs et de mobiliser des énergies, Leyvraz tente une nouvelle démarche auprès de l'évêque pour pouvoir élargir sa collaboration au Courrier de Genève; il estime en effet que le bref article hebdomadaire qu'il fournit sous le pseudonyme de "Civis" ‘"ne suffit évidemment pas1723 pour donner une orientation précise sur les problèmes de l'ordre nouveau qui se posent en termes de plus en plus urgents. Les prochaines semaines montreront à quel point cette orientation était nécessaire, sur le plan chrétien1724"’. Malheureusement, l'évêque est contraint de donner une réponse négative à cette requête : ‘"(...) j'ai le regret de vous dire que la réalisation de votre désir ne dépend pas de moi. La situation, vous vous en doutez, est très complexe et je ne crois pas qu'il soit possible actuellement d'envisager cette solution, malgré les avantages qu'elle pourrait présenter1725"’. Leyvraz, anxieux devant les événements qui ébranlent l'Europe, se tourne alors vers Gonzague de Reynold : ‘"N'arriverons-nous pas à reprendre ou à créer en Suisse romande un journal où nous puissions exprimer notre pensée ? Je crois que M. Musy y songe1726. J'aimerais que vous y pensiez de votre côté1727."’ Un peu plus tard, récrivant à Reynold, il explicite mieux son problème : ‘"Je devrais normalement reprendre mon poste de rédacteur au Courrier, et jour après jour je sens avec plus de force que c'est ma place et qu'une oeuvre m'y attend. Il y a du reste un fort courant qui m'y pousse, et j'ai appris hier qu'une pétition s'organisait dans ce sens, tout à fait en dehors de moi, bien entendu. Je n'aime guère ce procédé1728."’

La question d'un nouveau retour de Leyvraz au Courrier de Genève restera latente pendant des années. Or la situation financière du journaliste qui doit faire vivre sa femme et ses trois enfants est critique. Malgré des démarches entreprises par l'administration de l'Echo Illustré auprès du Courrier de Genève pour la reprise d'une collaboration hebdomadaire (qui s'est terminée à la fin de 1940) de Leyvraz, rien ne bouge. Une nouvelle fois, celui-ci écrit à l'évêque : ‘"(...) j'ai la conviction [que ces démarches] n'aboutiront à rien si vous n'intervenez pas directement. Je suis découragé. S'il se présentait pour moi un poste dans la presse neutre, ce serait mon devoir de père de famille que de l'accepter. Et pourtant, je puis et je voudrais servir1729".’ L'évêque répond : ‘"Mon cher ami, Non, il ne faut pas vous décourager et il ne faut pas non plus nous quitter. Nous avons besoin de vous. Je vais immédiatement faire des démarches à La Liberté [de Fribourg] et au Courrier. Vous savez que, personnellement, je voudrais vous y voir écrire beaucoup. Je n'entends, moi aussi, que d'excellents commentaires touchant vos articles et l'on est très content de votre travail à l'Echo Illustré 1730."’

Mais bien que le Courrier de Genève soit "le journal de l'évêque", Besson n'a pas grand-chose à dire; le Vicaire général et Bersier ont fait comprendre à l'abbé Comte, membre du Conseil d'administration de l'Echo Illustré, qu'il ne devait pas se faire d'illusions ... et l'évêque le confirme : ‘"Je crois comme vous que, si la réponse du Conseil du Courrier est négative, il est inutile d'insister. Une intervention de ma part, je le sais par expérience, ne servirait à rien. Il faudra que nous nous arrangions autrement pour trouver à notre ami de quoi équilibrer son budget1731."’

Un autre problème sera réactivé au Courrier, celui de ses liens avec les indépendants chrétiens-sociaux. En effet, Antoine Pugin intervient auprès des autorités religieuses pour les prier de donner une solution qui permette au Parti de retrouver une place dans la presse; des liens se renoueront enfin par une entente conclue le 24 novembre 1941 sur les bases suivantes : Le Courrier de Genève ne deviendra pas l'organe officiel des indépendants chrétiens-sociaux, mais il publiera chaque semaine deux articles remis par le secrétariat du Parti; lors des campagnes électorales, une place plus grande lui sera concédée; la question d'un retour de Leyvraz au journal n'est pas liée à cet arrangement, et les deux articles qu'il écrira au nom du Parti ne porteront pas sa signature; des contacts fréquents seront établis entre la rédaction du journal et le secrétariat du Parti, afin d'avoir le même point de vue politique sur les problèmes; à cet effet, le jeune Déléaval participera, dès le 25 novembre 1941, aux séances du comité directeur.

Notes
1723.

Ces articles sont principalement liés à la vie civique genevoise, vue sous l'angle du Parti.

1724.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 4 juillet 1940. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 43.

1725.

Lettre de Mgr Marius BESSON à René Leyvraz, 3 juillet 1940, à laquelle Leyvraz répond le lendemain en explicitant mieux sa pensée. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 43.

1726.

Musy créera en effet un journal d'extrême-droite, La Jeune Suisse, qui sera critiqué par l'évêque et qui engendrera, nous le verrons plus loin, des conséquences funestes pour certains collaborateurs du Courrier de Genève.

1727.

Lettre de René LEYVRAZ à Gonzague de Reynold, 8 juillet 1940. Bibliothèque nationale, Berne, fonds Gonzague de Reynold.

1728.

Lettre de René LEYVRAZ à Gonzague de REYNOLD, 26 juillet 1940. Bibliothèque nationale, Berne, fonds Gonzague de Reynold, cote Action 57 bis. Nous n'avons retrouvé aucune trace de cette pétition visant à faire réengager Leyvraz au Courrier de Genève.

1729.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 5 novembre 1941. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 44.

1730.

Lettre de Mgr Marius BESSON à René Leyvraz, 6 novembre 1941. Archives de l'Evêché, Fri-bourg, cote D 44.

1731.

Lettre de Mgr Marius BESSON à l'abbé Comte, 22 novembre 1941. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 44.