a) Le langage religieux

Toujours, en utilisant un langage simple qui renvoie aux faits, aux agissements, aux sentiments quotidiens, Leyvraz met son lecteur en mouvement, le pousse à s'interroger, à sortir de son repliement. Dans l'Echo Illustré, contrairement à La Liberté syndicale, il peut utiliser un langage de croyant. Souvent, il reprend les textes de la liturgie (fêtes de Noël, Vendredi-Saint, Rameaux, Pâques) pour formuler une prière, pour dire sa foi : le Christ est présent dans toutes les vicissitudes du monde d'aujourd'hui, il est le Compagnon de toute vie humaine. Le journaliste fait toujours une lecture encourageante et actualisante de l'Evangile qu'il met en lien avec le temps d'épreuves infligées par la guerre, l'élargissant à une dimension sociale. Inlassablement, sa méditation appelle à la responsabilisation, à un lien entre la foi, la pratique religieuse et l'engagement total de l'être envers son prochain. Et aussi à l'espérance : Le Fils de l'Homme descendu dans la Mort n'a-t-il pas ‘"établi son trône sur les décombres, et les cris de douleur qui s'élèvent de la terre ne proclament-ils pas sa puissance ? - Jésus est avec nous jusqu'à la fin des temps1739. Mais nous, sommes-nous avec Lui ? Combattons-nous avec Lui ? N'est-ce pas nous, par nos faiblesses, notre égoïsme, notre tiédeur, nos reniements, nos trahisons, qui avons déserté la bataille ? N'avons-nous pas composé avec Mammon et tout son cortège d'idoles ? N'avons-nous pas choisi le royaume du monde tout en croyant prendre une assurance pour l'éternité ? Quand il fallait veiller et prier avec le Maître, ne nous sommes-nous pas lourdement assoupis1740 ?"’ De la rencontre d'Emmaüs1741 qu'il médite et intériorise pour en tirer des fruits tant spirituels que relationnels, Leyvraz sort l'enseignement suivant : ‘"Notre bonheur est dans l'imitation de Jésus, dans l'identification même de notre vie avec la sienne. Il allait par les chemins ... Ne restez pas confinés chez vous. Partez à la rencontre des âmes esseulées. Faites entendre la voix du Maître, mais que ce soit d'un coeur brûlant. Vous verrez, alors, comment les coeurs de glace s'attendrissent, se réchauffent. Pas tout de suite : on vous méconnaîtra d'abord, on vous prêtera d'autres visées, il y aura ces lourds silences où se rencoignent les préjugés têtus. Persistez. A l'heure où vous croirez qu'il n'y a plus rien à faire, qu'il faut se séparer, souvent vous aurez la joie d'entendre comme un écho de la parole des disciples : "Reste avec nous !" C'est que vous n'étiez pas seul à parler et que vous ne parliez pas de vous même. A travers vous, c'est au Christ que la supplique s'adresse : Le soir descend, nous avons besoin de Toi, ne nous quitte pas ...1742"’ Sa lecture personnelle l'amène aussi parfois à sortir des sentiers battus; ainsi, contrairement aux commentaires habituels, il refuse d'opposer les deux soeurs de Lazare1743 : ‘"Chacun d'entre nous doit être à la fois Marthe et Marie. Il lui appartient donc de "choisir la bonne part", c'est-à-dire de subordonner constamment en lui-même les oeuvres à la foi, comme la pomme est ordonnée au pommier, et comme le ruisseau à la source qui l'alimente1744."’

Leyvraz répercute aussi certains messages de Rome, ceux de Pie XI face à la crise matérielle et morale de l'époque, puis de Pie XII dans l'encyclique Summi Pontificatus dont il retient, entre autres, ces phrases au sujet des ‘"énergies qui doivent renouveler la face de la terre : Le nouvel ordre du monde, de la vie nationale et internationale, une fois apaisées les amertumes et les cruelles luttes actuelles, ne devra plus reposer sur le sable mouvant des règles changeantes et éphémères, laissées aux décisions de l'égoïsme collectif ou individuel. Ces règles devront s'appuyer sur l'inébranlable fondement, sur le rocher infrangible du droit naturel et de la révélation divine. C'est là que le législateur humain doit puiser cet esprit d'équilibre, ce sens aigu de la responsabilité morale sans lequel il est facile de méconnaître les limites entre l'usage légitime et l'abus du pouvoir1745".’

C'est à des fils obéissants de l'Eglise que Leyvraz entend s'adresser dans l'Echo Illustré : ‘"Quand un problème se pose devant nous, demandons-nous tout d'abord ce que l'Eglise en pense et n'en pensons pas autre chose. Car la voix de l'Eglise est la voix du Christ, et le Christ seul peut nous délivrer de la puissance des ténèbres1746."’ Le journaliste voit dans Pie XII un chef et un père, deux figures sur lesquelles il met tant d'espoir ... Et c'est sa propre quête et ses propres désillusions qu'il décrit derrière celles d'une humanité à la recherche d'un chef : ‘"Elle le cherche partout. Elle lui trouve cent substituts qui portent quelque temps ses espoirs et ses rêves et les font servir à leurs fins, puis retournent au néant. Rien n'est plus symptomatique de son désarroi que la confiance aveugle que tant de gens peuvent mettre en des hommes qui leur offrent les apparences de la sécurité et de la certitude. Combien de cultes obstinés se sont formés autour d'une silhouette ou d'une effigie. Vous rappelez-vous La Rocque ou Léon Degrelle ? ... Besoin de croire, de se rassembler, de se confier, besoin du coude-à-coude au milieu d'un monde qui tombe en poussière. Dérision que tout cela ! Qu'est-ce qu'un chef qui n'est pas un père, et qu'est-ce même qu'un père qui ne s'est pas connu comme fils dans le Coeur du Père commun ? (...) Cette effusion d'amour paternel, vous la trouvez dans chacun des messages du Pape1747."’

Notes
1739.

Mt 28,20.

1740.

"Dans la clairière des Rameaux". Echo Illustré, 5 avril 1941.

1741.

Lc 24,13-35.

1742.

"Il est ressuscité". Echo Illustré, 4 avril 1942.

1743.

Lc 10,38-42.

1744.

"Marthe et Marie". Echo Illustré, 8 août 1942.

1745.

PIE XII. Encyclique Summi pontificatus; in E. J. Chevalier et E. Marmy. La Communauté humaine selon l'esprit chrétien, op. cit., p. 669, chiffre 1026. Citée par René Leyvraz in "Le Pain et le poison". Echo Illustré, 13 janvier 1940.

1746.

"Le Pain et le poison", ibid.

1747.

"Oui, c'est un père ...". Echo Illustré, 25 juillet 1942.