IV. TEMPÊTES AUTOUR DU "COURRIER DE GENÈVE"

1. UN JOURNAL VIDÉ DE SA SUBSTANCE ...

Le 2 octobre 1942, dans une lettre adressée au président de la Société du Courrier, Charles Primborgne regrette que le journal ‘"n'apporte pas au peuple chrétien la nourriture spirituelle suffisante dont il aurait besoin dans cette époque tourmentée"’. Il fait remarquer qu'il existe ‘"actuellement entre le Courrier et de très nombreux lecteurs, un malaise qui dépasse les simples critiques auxquelles nul quotidien n'échappe. Ce malaise ne profite pas à notre monde catholique dont la division m'effraie."’ L'expéditeur préconise alors que le journal remplisse sa mission, qui est celle ‘"de rallier les chrétiens sur le triple terrain de l'activité de l'Action catholique, (...) sociale et (...) civique1908"’. Primborgne relève l'absence d'articles de formation et d'informations catholiques, de réflexions morales sur les problèmes sociaux1909, et un manque de coopération à une défense civique du catholicisme. Or, estime-t-il, la presse catholique a pour responsabilité d'être un service d'Eglise qui devrait permettre, grâce aux principes chrétiens, un retour à la paix. Mgr Besson, à qui Primborgne a adressé copie1910 de cette lettre et suggéré d'envisager une collaboration de Leyvraz au Courrier, lui répond : ‘"Ces questions me préoccupent vivement et je ne manque pas, surtout depuis quelque temps, d'y vouer toute mon attention. Mais il me semble que, ces derniers mois, ces dernières semaines surtout, il y a eu déjà bien des progrès1911."’

En tapant sur le même clou que son ami Primborgne, Leyvraz va soulever l'ire du Courrier de Genève et, aussi, du vicaire général. En effet, le 14 octobre 1942, à l'occasion du 50me anniversaire du parti indépendant et chrétien-social, il écrit, dans La Liberté, un article titré "Défense et conquête civiques". Faisant l'historique du catholicisme genevois après le Kulturkampf, le journaliste se remémore qu'avec l'arrivée du mouvement corporatif en 1926, le Parti a perdu ‘"la plus grande partie de ses moyens de presse, le quotidien qui lui servait d'organe [c'est-à-dire le Courrier de Genève] ne pouvant plus lui accorder qu'une place minime. Il s'ensuivit que ses troupes - hormis l'ancien noyau paysan - se dispersèrent et se découragèrent"’. Avec un regard très critique, Leyvraz entend tirer de ces événements ‘"quelques leçons bonnes à méditer pour la cause catholique dans son ensemble. [Pour lui], (...) la raison principale du désarroi et de la faiblesse qui se manifestent indubitablement chez les catholiques genevois apparaît dans une irrécusable évidence : c'est la dispersion des efforts, l'absence de coordination entre les différents plans que constituent l'Action catholique, l'action sociale et l'action politique. Naguère, on pouvait à bon droit se plaindre de la confusion des plans. Il arrivait assez souvent, en effet, que l'Eglise fût compromise par des initiatives politiques ou sociales plus ou moins heureuses prises par des organisations ou par des hommes qui ne la consultaient pas, qui n'avaient pas à la consulter, qui devaient agir sous leur propre responsabilité. Un pareil état de choses n'allait pas sans graves inconvénients. Le Saint-Siège s'en émut et donna, à ce sujet, de fermes directions. Celles-ci, par malheur, furent souvent mal interprétées. Là où Rome demandait une simple "distinction", on alla jusqu'à la "séparation". Les catholiques qui oeuvraient sur les différents plans mirent leur point d'honneur à ne pas se "compromettre" les uns les autres. - Etiez-vous d'Action catholique ? Il ne fallait pas qu'on pût vous suspecter de la moindre collusion avec les syndicats chrétiens ou le parti conservateur ... L'action sociale se défendait autant des "politiciens" que des intrusions "cléricales" ... Le reste à l'avenant. Qu'en advint-il au bout du compte ? - Tous ces hommes, obsédés par le souci de ne pas se "compromettre", finirent par s'ignorer. Faute de cohésion, les meilleures énergies se gaspillèrent."’ Et vient la petite phrase qui va mettre le feu aux poudres : ‘"On vit naître une multitude de petites feuilles, tandis que le journal catholique se vidait de sa substance ...."’ . Conclusion : dégoûtés par la politique, les jeunes, qui rêvent ‘"d'un ordre idéal, incarné dans des hommes sans tache (...) sont rétifs à toute collaboration dans le cadre des partis existants. Et disponibles, le cas échéant, pour toute espèce d'aventures ...".’

Seconde considération de Leyvraz qui, elle aussi, va soulever des récriminations : ‘"Normalement, l'Action catholique doit former des militants pour l'action sociale et pour l'action civique. Si ces rapports sont coupés, tout va à vau-l'eau. L'Action catholique, séparée du réel, spécule dans le vide, s'exalte dans les nuées. L'action sociale et l'action politique, faute d'inspiration catholique, vont s'enliser dans les marécages de l'opportunisme et du matérialisme. A Genève, nous en sommes là."’ Dans ce bilan, après avoir relevé tous les points négatifs, Leyvraz passe au positif, à savoir ‘"les signes de plus en plus nets d'un regroupement,"’ - opéré par le Cercle catholique social - qui offre ‘"désormais un lieu de rencontre, un centre d'entretiens, entre les militants catholiques qui se dévouent sur les différents plans1912."’

Une avalanche de lettres va aussitôt s'abattre sur le bureau de Charrière, devenu entre-temps directeur de La Liberté. L'abbé Chamonin, qui dirige le Courrier de Genève, clame son indignation : en publiant cet article de Leyvraz, La Liberté démontre que la presse catholique romande ne se soutient même plus ! Et de formuler une menace : ‘"Si d'ici à mardi 20 octobre, La Liberté (...) n'a pas désavoué en termes nets et précis cet article, je publierai moi-même une mise au point dans le Courrier 1913."’ Le Chanoine Charrière répond que si, comme il le fait d'habitude, il avait lu l'article incriminé avant sa parution, il aurait atténué la phrase accusant le Courrier. ‘"Ceci dit, vous me permettrez, en raison même des rapports de confiance et d'amitié qui ont toujours existé entre nous, de vous dire bien franchement que je ne puis admettre votre manière de procéder dans cette affaire. Pourquoi recourir d'emblée à l'évêché sans m'avertir moi le premier ? Je n'ai pas eu l'idée de m'adresser au vicariat de Genève pour protester contre le Courrier lorsque, dernièrement encore, des responsables parmi vous ont critiqué La Liberté de telle manière qu'on a cru pouvoir en tirer la conclusion qu'à votre avis elle méritait d'être condamnée par l'évêque. En fait de "soutien", puisque vous jugez opportun de me rappeler que nous devons nous soutenir, je ne vois pas que cette vérité soit de toute évidence pour le Courrier."’ Après avoir rappelé qu'il est un grand ami de Genève et de son quotidien catholique, Charrière demande à Chamonin, ‘"à titre d'ami et non pas de directeur à directeur, de ne faire au sujet [de la mise au point annoncée par le directeur du Courrier] aucune déclaration dans votre journal. Nous n'en ferons pas non plus dans le nôtre, mais nous nous servirons les uns et les autres de ce qui vient de se passer pour être plus attentifs chacun de notre côté à ne rien faire qui puisse entraver notre collaboration1914".’

Dans sa réponse, Chamonin explique qu'il n'était pas intervenu auprès de l'évêque; il s'était simplement renseigné à l'évêché sur le rôle de Charrière à La Liberté. En outre, il déclare ne pas comprendre à quel article critiquant La Liberté le Chanoine fait allusion. Et de retourner l'épée contre l'adversaire : ‘"(...) à deux reprises, La Liberté a publiquement attaqué dans ses colonnes le Courrier, journal du dehors, journal catholique qui s'est vidé de sa substance. J'étais certain qu'une fois de plus réparation ne serait pas donnée à mon journal".’ Puis, certainement avec amertume, Chamonin signale que le vicaire général l'a prié de ne faire paraître aucune mise au point. Et de commenter :

‘"Je m'incline devant cette demande. (...) En tout cas, soyez désormais tranquille : jamais plus je ne bougerai le petit doigt contre La LIBERTÉ-tabou dût-elle traîner dans la boue le journal que l'autorité ecclésiastique m'avait confié. (...) Je déteste le lavage du linge sur la place publique : mais jamais, du moins depuis 1935, où je suis au journal, une seule ligne n'a été publiée qui mette La Liberté en mauvaise posture. La Liberté n'en peut dire autant à l'endroit du Courrier. Je regrette d'avoir pu vous causer quelque ennui. Vous avez donc toute assurance que rien ne paraîtra dans le journal. Je n'en reste pas moins très affecté de cette affaire qui met mes collaborateurs et moi-même en une posture plus qu'incommode. Venant se greffer sur d'autres, il se peut que j'en tire la seule conclusion honorable1915."’

Outre les réactions du Courrier, il y a aussi celles du vicaire général blessé par les critiques de Leyvraz contre l'Action catholique; s'il a demandé à Chamonin de ne pas réagir publiquement pour ce qui concerne le journal, Mgr Petit tient, lui, à le faire au sujet du catholicisme genevois; il écrit donc à Charrière : ‘"L'article de M. R.L. paru dans le No du 14 octobre de La Liberté, et que je n'ai pas connu tout de suite, mest (sic) apparu comme un soufflet administré à moi-même et à toute l'Action catholique de Genève. Je demande que la réparation du tort qui nous fut causé soit faite auprès du public fribourgeois auquel s'adressait l'article de M. R.L. et c'est pourquoi je vous prie, Monsieur le Directeur, de publier la mise au point ci-incluse dans votre tout prochain numéro. Si satisfaction ne m'est pas accordée, je me verrai à mon très grand regret dans l'obligation de publier cette rectification dans le Courrier de Genève. Veuillez agréer, (....) l'expression de ma tristesse que les catholiques ne s'aiment pas mieux et ne se soutiennent pas davantage, et de mes sentiments que je désire vous conserver tout dévoués1916."’ La rectification annexée (du style "lettre de lecteur") que La Liberté devrait publier (elle ne le fera pas) comporte deux pages, d'un ton incroyablement sévère et méchant.

Réponse de François Charrière à Henri Petit : ‘"Je savais, en acceptant de venir ici, à La Liberté, que je prenais sur moi une nouvelle et très lourde croix. Jamais je n'ai senti cette croix comme ce matin, en lisant vos deux lettres. Je vois que vous souffrez et je souffre de votre peine plus encore que de celles que je ressens à constater que, brusquement, votre affection pour moi a subi un accroc sérieux."’ Après avoir redit combien il est attaché aux catholiques de Genève, à leur vicaire général et à Genève elle-même, Charrière signale que s'il a demandé à Chamonin de ne rien publier, c'est ‘"autant par affection pour Genève que par souci de ménager La Liberté. Vous qui, ces jours derniers, avez prié M. Chamonin de ne rien publier - et j'ai vu là un geste de votre bon coeur - vous me mettez maintenant en demeure de publier une très énergique mise au point. Que s'est-il passé entre-temps ? Vous savez pourtant bien que ma première parole dans ce débat a été pour dire que j'aurais en tout cas atténué la phrase incriminée par M. Chamonin. Mais pour ce qui est de l'Action catholique, je vous assure n'avoir pas compris, ni personne de ma connaissance ici à Fribourg, l'article de M. Leyvraz comme un soufflet adressé à vous et à toute l'Action catholique de Genève. Puisque, il faut bien le croire, cet article a produit plus d'émoi que nous ne le pensions, voici à mon avis comment les choses pourraient s'arranger : M. Leyvraz publierait chez nous une mise au point où il exprimerait son regret de tout ce qui vous a peiné et offensé1917"’. Le lendemain, Charrière adresse à Mgr Besson qui, malade, est hospitalisé, les pièces relatives à ce dossier : ‘"Si vous n'aviez pas été souffrant, je vous aurais parlé plus tôt mais les choses ont pris une telle tournure que je crois de mon devoir de vous communiquer [les lettres reçues et les réponses données]. (...) J'espère que le Courrier de Genève ne publiera rien demain. La mise au point proposée par Mgr Petit ferait de l'avis de beaucoup un grand tort au Courrier et au catholicisme à Genève, étant donné que nous sommes à quelques jours des élections. On n'arrive pas à comprendre comment l'article de M. Leyvraz a pu être considéré comme un soufflet à l'adresse de Mgr Petit et de l'Action catholique à Genève1918."’

Et pourtant ..., malgré toutes les tentatives de dissuasion, et un article de Leyvraz dans La Liberté pour tempérer ses propos, une longue mise au point globale (écrite par l'abbé Chamonin, indubitablement inspiré du projet envoyé par Petit à Charrière) paraît dans le Courrier de Genève, le 26 novembre, sous le titre "Quelques mots à M. René Leyvraz", et signée Le Courrier de Genève.

"(....) Je me défends moi-même contre mes ennemis; mais que Dieu me protège contre mes amis. Un article de M. René Leyvraz, paru dans un journal du dehors, impose ce proverbe italien à l'esprit. On sait la place que M. Leyvraz a occupée et occupe encore dans nos milieux catholiques ... Ce qui ne l'a pas empêché de porter sur l'Action catholique à Genève et sur le journal catholique en particulier un jugement que nous ne pouvons pas ne pas trouver inadmissible et qu'il nous est impossible d'accueillir dans le silence. On nous a prié de ne pas répondre durant la période précédant les élections au Grand Conseil et en faisant miroiter à nos yeux une mise au point satisfaisante. Cette mise au point a été publiée, en effet, mais elle n'a fait qu'accroître nos griefs. Sous le couvert d'une étude sur "défense et conquêtes civiques", M. Leyvraz s'érigeant en censeur de la vie catholique genevoise et du Courrier, se livre à un dénigrement systématique et des hommes et des oeuvres. Qu'on en juge par quelques citations : (....). Quinze jours plus tard, M. Leyvraz revient à la charge sous prétexte de mise au point. Cette fois-ci il concède que les catholiques "font vivre un quotidien. Ils soutiennent des charges multiples. Et malgré toutes ces charges, on les voit payer généreusement de leur personne, dans l'Action catholique, dans l'action sociale, dans l'action civique". On ne saurait mieux se contredire à moins de frais ! - Et d'ajouter : "Nous croyons qu'une meilleure coordination des plans mettrait tous ces efforts en pleine valeur. Nous pensons aussi que le quotidien catholique en bénéficierait. Mais ces remarques ne doivent pas donner à penser que nous méconnaissons les hauts mérites de l'Action catholique genevoise - pas plus que nous n'avons voulu mettre en question le zèle et le dévouement des rédacteurs du Courrier de Genève." Nous laissons aux dirigeants de l'Action catholique et à ceux que visaient M. Leyvraz dans son premier article le soin de répondre à leur gré. Mais nous avons quelques mots à dire à M. Leyvraz. Il fut jadis rédacteur au Courrier de Genève; il a quitté son poste en 1935, malgré les démarches venues de très haut qui furent faites auprès de lui. Après avoir à diverses reprises mené une offensive qui ne visait à rien moins qu'à supplanter le journal quotidien catholique - dont il jugeait la formule insoutenable - il a fait effectuer des sondages pour savoir s'il pourrait reprendre sa place au journal. Les temps avaient changé, en effet; l'homme devant lequel il avait brûlé tant d'encens avait cessé d'être son idole. Nous n'avons pas à revenir sur les détails encore trop brûlants d'une histoire toute récente. Notre réponse fut catégorique : nous n'avions pas à revenir sur le passé. M. Leyvraz avait fait son choix. Aucune raison valable ne pouvait changer la situation créée par ce choix. M. Leyvraz ne se résigne pas au rôle actuel où son choix l'a conduit. Il aspire à jouer les vedettes. N'écrit-il pas lui-même, après avoir si sommairement et si injustement jugé et les hommes et les oeuvres, qui ont fait du catholicisme genevois l'un des éléments de santé de notre petite république : "Par bonheur, nous voyons poindre à l'horizon les signes de plus en plus nets d'un regroupement. Le "Cercle catholique social" avec son petit organe, les Lettres sociales 1919 s'y est voué de toutes ses forces. (....)" ? Or, M. Leyvraz est la cheville ouvrière du "Cercle catholique social" et le rédacteur des Lettres sociales. On ne se balance pas l'encensoir sous le nez avec plus de délicate élégance. Au fond, pour M. Leyvraz, le Courrier de Genève s'est vidé de sa substance depuis un certain jour d'août 1935 où il est descendu pour toujours de son bureau de la rédaction de la rue des Granges ... N'a-t-il pas dit, à Genève et ailleurs, que le Courrier allait sans cesse décroissant ? N'avait-il pas même déclaré à des étudiants que le tirage du journal était en baisse ? Or qu'en était-il exactement ? Jamais le Courrier ne s'est si bien porté. L'époque où, en compagnie d'amis qu'il a publiquement attaqués dans la suite, il en avait fait un journal de polémique sociale et politique, était close. Le Courrier a retrouvé des abonnés et des lecteurs dans un cercle plus large de catholiques et de non-catholiques, heureux les uns et les autres d'y trouver une "substance" différente de celle qu'y distillaient M. Leyvraz et ses amis. Ajoutons d'autre part que si la situation du catholicisme à Genève et du Courrier était aussi alarmante que son article voulait le faire croire, l'autorité ecclésiastique n'avait qu'un geste à faire pour rétablir l'équilibre. Loin d'avoir à le faire, S. Exc. Mgr Marius Besson, qui est l'évêque, c'est-à-dire "celui qui surveille" ne tarit pas d'éloges sur le dévouement, l'esprit d'initiative, le courage, et la générosité des catholiques de Genève. On est loin du "désarroi", de la "faiblesse" qui se manifesteraient "indubitablement" avec "une irrécusable évidence" ... Nous pourrions citer ici de nombreuses lettres de lecteurs et d'abonnés reçues depuis 1935 répondant à l'accusation de M. Leyvraz prétendant que le journal catholique de Genève s'est "vidé de sa substance". Nous ne le ferons pas parce que nous détestons l'autoadmiration. Nous préférons en appeler à nos abonnés et lecteurs eux-mêmes. L'orientation que la direction du journal a imprimée au Courrier peut ne pas plaire à M. Leyvraz. Elle a fait ses preuves et donné au quotidien catholique un rayon d'influence jamais atteint dans le passé. Nous avons conscience que dans les circonstances actuelles, le Courrier a fait tout son devoir de journal catholique et suisse. Malgré les divergences d'opinion que la guerre fait régner dans les milieux où se recrutent nos abonnés et lecteurs, nous avons répondu au désir de l'immense majorité, en gardant une ligne générale basée sur le plus pur catholicisme et le plus pur patriotisme. C'est pourquoi nous repoussons l'accusation de M. Leyvraz : ce n'est ni le zèle ni le dévouement des rédacteurs du Courrier qu'il a mis en doute, c'est la conscience professionnelle de journalistes catholiques et suisses, c'est leur intelligence et leur fidélité à l'idéal qu'ils doivent défendre. M. Leyvraz a peint un tableau sinistre de la situation des catholiques genevois dans un journal dont les lecteurs ne peuvent que prendre pour authentiques ses informations indubitables et irrécusables. Singulière méthode pour regrouper les énergies soi-disant dispersées et pour mettre fin à la confusion. Quel est l'instrument d'optique dont il s'est servi pour analyser cette vie catholique ? Il n'était en tout cas pas illuminé par le souci de la vérité et de la charité qui ne doit jamais être absent des yeux d'un journaliste objectif. Un dernier mot pour finir : M. Leyvraz veut une meilleure coordination des divers plans de la vie catholique à Genève : nous sommes d'accord avec lui à cette seule condition cependant que les responsabilités soient bien établies et que ceux qui sont chargés de ces responsabilités restent chacun à la place où ils doivent agir1920."’

Immédiatement, Mgr Besson tente d'appeler Leyvraz qui vient d'être mis sur la sellette. "L'accusé" lui adresse alors une lettre pathétique, d'un graphisme complètement torturé, tout à fait inhabituel, et qui démontre son désarroi :

‘"Monseigneur, Ma femme vient de me faire part de votre téléphone. Je ne saurais vous dire à quel point j'en suis touché. Je n'ai pas voulu vous écrire tous ces temps, vous sachant malade et accablé de soucis, mais j'ai été de coeur et de prières tout près de vous. Je vous ai causé bien des soucis, mais vous savez que je vous aime, vous, non plus seulement comme "évêque vénéré", mais vous, parce que vous êtes vous, et pour votre grande oeuvre de charité - payée de tant de souffrances - à l'égard de ces "frères séparés" parmi lesquels se trouvent mes bien-aimés. - Je ne veux pas vous parler de cet article. Je ne peux pas. Et d'ailleurs, à quoi bon ? Je suis maintenant dans le petit cimetière dont j'ai souvent parlé1921, devant la tombe de ma femme, dans ce froid crépuscule. Je vois l'inscription sur le mur : "Je les ressusciterai au dernier jour" ... Et je n'ai qu'un désir et qu'une prière : c'est d'être rappelé le plus tôt possible, de m'en aller. Parce qu'il me semble que je n'en peux plus. Ceux qui se croient mes ennemis, que Dieu m'aide à les aimer mieux, en Lui, pour Lui, pour notre Sainte Eglise. Je vous prie de croire, Monseigneur, à mon filial dévouement1922." ’

Quatre jours plus tard, suite à une lettre que lui a adressé l'évêque1923, Leyvraz lui récrit :

‘"Je ne puis laisser sans réponse vos lignes si profondément paternelles, qui m'ont touché beaucoup plus que je ne puis le dire. Je m'abandonne pleinement à la volonté de Dieu, sans nulle pensée de réplique ou de revanche. Si donc il vous revient quelque écho de cette affaire, soyez sûr que je n'y suis pour rien, car je me tais et je prie. Quand Dieu voudra, où Il voudra, comme Il voudra ... Tout le reste n'est que vaine agitation. Je suis en prières et en pensées avec vous dans vos présentes épreuves, celles du coeur et celles de la santé. Puisse Dieu vous consoler, vous soutenir, vous remplir de sa force1924."’
Notes
1908.

Lettre de Charles PRIMBORGNE au Président de la Société du Courrier de Genève, 2 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1909.

Pour répondre peut-être à ce genre de critiques, le Courrier de Genève insérera, plusieurs fois par semaine à la Une, dès le 3 octobre 1945, de brefs extraits - en lettres grasses - de la doctrine sociale de l'Eglise.

1910.

Lettre de Charles PRIMBORGNE à Mgr Marius Besson, 20 novembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1911.

Lettre de Mgr Marius BESSON à Charles Primborgne, 4 décembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1912.

"Défense et conquêtes civiques". La Liberté, 14 octobre 1942.

1913.

Lettre de l'abbé A.M. CHAMONIN au chanoine François Charrière, 15 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1914.

Lettre du chanoine François CHARRIÈRE à l'abbé Chamonin, 17 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1915.

Lettre de l'abbé A.M. CHAMONIN au chanoine François Charrière, 20 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1916.

Lettre de Mgr Henri PETIT au chanoine François Charrière, 22 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1917.

Lettre du chanoine François CHARRIÈRE à Mgr Henri Petit, 23 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1918.

Lettre du chanoine François CHARRIÈRE à Mgr Marius Besson, 24 octobre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1919.

Comme indiqué plus haut, entre-temps, Vérité sociale avait changé de nom.

1920.

LE COURRIER DE GENÈVE. "Quelques mots à M. René Leyvraz". Courrier de Genève, 26 novembre 1942.

1921.

Leyvraz est certainement "en pensées" et non "en réalité" avec ce qu'il dit ensuite, puisque sa lettre est datée de Genève et non de Corbeyrier. A moins que l'émotion ne l'ait amené à se trom-per ?

1922.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 26 novembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, dossier "laïcs", fourre "René Leyvraz".

1923.

Nous n'avons malheureusement pas retrouvé la lettre de Mgr Besson. Comme il était hospi-talisé, il est possible qu'il ait répondu à la main, sans faire de copie.

1924.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 1er décembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, dossier "laïcs", fourre "René Leyvraz".