Contrairement aux dires du Courrier de Genève affirmant que le journal se porte au mieux et que son orientation a fait ses preuves, une série d'événements va prouver le contraire. "Tous" les lecteurs ne sont pas satisfaits puisqu'entre 1935 et 1945, le nombre des abonnés chutera, semble-t-il, de dix mille à trois mille trois cents. Immédiatement après la mise au point faite par le quotidien, la ligne laïcisante mais surtout politique du journal va être mise en cause.
C'est d'abord Primborgne qui écrit une nouvelle fois au Président de la Société du Courrier de Genève; le 20 novembre, il adresse copie de sa lettre à Mgr Besson, avec ce commentaire : ‘"Une lecture attentive de notre organe permet de se convaincre qu'il subit une influence laïcisante certaine. Pour peu qu'on sache les réactions des lecteurs et du peuple en général devant les événements présents, on ne peut que regretter amèrement cette attitude. Nous sommes nombreux, toujours plus nombreux à désirer un changement. On ne peut admettre, en effet, qu'un changement dans le sens désiré amène nécessairement une diminution des recettes ..."’. Puis, revenant sur une proposition qu'il a déjà présentée, Primborgne poursuit : ‘"En complément des quelques idées présentées dans la lettre du 2 écoulé1925, je me permets, Monseigneur, de vous demander s'il ne serait pas possible de réaliser de la manière que vous jugerez acceptable, une collaboration de M. René Leyvraz à notre journal1926 ?"’
De son côté, le Conseiller d'Etat Antoine Pugin alerte aussi l'évêque : peiné par la polémique engagée entre Leyvraz et le journal catholique, Pugin signale que, dans une ambiance déjà alourdie par la guerre, cet événement ‘"a provoqué de vives réactions dans de nombreux milieux. L'époque troublée que nous traversons et la période difficile qui ne manquera pas de suivre la cessation des hostilités nous oblige (sic) à faire cesser toutes querelles intestines qui réjouissent nos adversaires et affaiblissent les forces catholiques. Nous pensons que toutes ces forces doivent être utilisées et qu'aucune compétence ne doit être laissée de côté"’. D'où sa proposition, pour "pacifier les esprits", d'envisager une collaboration de Leyvraz au Courrier de Genève. ‘"Nous sommes persuadés qu'une telle collaboration causerait une grande joie à de nombreux lecteurs du journal et renforcerait l'union de tous ceux qui travaillent dans les oeuvres religieuses, sociales et civiques1927."’ Réponse du prélat :
‘"Vous pensez bien à quel point je partage votre sentiment. Je n'ai malheureusement pas l'impression que mes désirs soient d'un grand poids dans cette affaire. On m'a assuré que le Conseil du Courrier était à peu près décidé à demander de temps en temps des articles à Monsieur Leyvraz, lorsque celui-ci publia dans La Liberté ses malencontreuses lignes qu'on lui a si durement reprochées et dont on a, du reste, j'en suis sûr, exagéré la portée. Il en résulta, naturellement, un certain froid. Quant à l'article violent du Courrier contre M. Leyvraz, je l'ai nettement désapprouvé tout de suite par lettre, comme l'a fait aussi Monseigneur Petit1928. Mais je crois savoir que la grande majorité des membres du Conseil l'a, au contraire, approuvé. En ce moment, Monseigneur Petit fait tous ses efforts pour ramener l'union. Il a vu dernièrement Monsieur Bersier qui s'est déclaré disposé à chercher un moyen de provoquer la collaboration de Monsieur Leyvraz sous la meilleure forme possible. J'espère que cela aboutira1929."’Primborgne parle certainement ici de la lettre qu'il avait adressée au Président de la Société du Courrier (avec copie à l'évêque) en date du 2 octobre et non du 2 novembre 1942.
Lettre de Charles PRIMBORGNE à Mgr Marius Besson, 20 novembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.
Lettre d'Antoine PUGIN, Conseiller d'Etat, à Mgr Marius Besson, 14 décembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.
Il est intéressant de noter que, malgré la lettre de lecteur extrêmement dure qu'il avait préparée pour une insertion dans La Liberté, Mgr Petit aurait critiqué l'article du Courrier.
Lettre de Mgr Marius BESSON à M. Antoine Pugin, 19 décembre 1942. Archives de l'Evê-ché, Fribourg, cote D 40.