3. UNE LIGNE POLITIQUE CRITIQUÉE

Dès la parution de l'article du Courrier contre Leyvraz, Mgr Besson avait en effet écrit à Chamonin : ‘"Laissez-moi vous dire que j'ai profondément regretté l'article que vous avez publié ce matin sous le titre : "Quelques mots à M. René Leyvraz". Je le considère comme injuste et je suis persuadé qu'il fera dans nos milieux catholiques genevois beaucoup de mal¹⁹³⁰."’ Réponse de Chamonin : ‘"Votre lettre au sujet de M. Leyvraz ne m'a pas surpris. Je n'arrive pas, cependant, à me persuader que j'ai été injuste à l'endroit de M. R.L. Son article n'a été que la goutte, de dimension, du reste, qui fait déborder la coupe. Depuis plusieurs mois où les amis de M. R.L. ont redoublé d'efforts contre le Courrier, la situation devient intenable pour ceux qui ont à vaincre des difficultés de tous genres pour tenir debout un journal catholique et suisse"’. Puis Chamonin signale que même l'abbé Chavanne, directeur de l'Echo Illustré, a envoyé au quotidien ‘"un réquisitoire en trois points qui résume les arguments de ceux qui sont mécontents : nous envisagerions les relations avec l'Axe plus sous l'angle économique que sous l'angle chrétien; nous donnons l'impression d'être vendus aux salles de cinéma¹⁹³¹; nous nous préoccupons de notre budget par dessus tout. Si l'atmosphère de suspicion dont on nous entoure devait persister, et ces accusations de M. Chavanne sont un indice, le travail deviendrait impossible. (...) il faut qu'une certaine agitation, dont la charité sacerdotale n'est pas toujours l'inspiratrice, cesse au plus vite dans l'intérêt du journal, comme dans celui de la vie catholique à Genève. Je suis certain, pour ma part, que les directives que vous nous donnerez seront suivies sans difficulté au journal. Je forme le voeu qu'il en soit de même pour les prêtres et les laïques qui ont mené campagne contre nous¹⁹³²".’

Dans ses lignes, le directeur du Courrier de Genève exprime toutes les difficultés auxquelles il est confronté en ces temps de guerre. En effet, depuis le 21 février 1941, la presse et la radio suisses sont soumises à une censure préventive de la Confédération; il faut ajouter que, de son côté, Mgr Besson veille à ce que les journaux catholiques de son diocèse gardent une ligne politique prudente¹⁹³³. En juillet 1941, l'abbé Chamonin avait sollicité l'avis de l'évêque parce que certains lecteurs insistaient pour que le Courrier, ‘"afin d'être vraiment dans la "ligne catholique" fasse échec à la propagande britannique (qui inonde la Suisse de ses feuilles dactylographiées en français et en anglais) et approuve l'attitude des clergés anglican ou catholique qui défendent l'alliance anglo-soviétique"’. Le directeur du quotidien catholique ajoutait : ‘"La ligne rédactionnelle que j'ai donnée au Courrier depuis le début des hostilités me semblait pourtant claire : respecter les ordres de la Division Presse et Radio et les conseils que directement ou indirectement Votre Excellence a donnés aux journalistes, autrement dit juger d'un point de vue suisse et catholique en gardant une indépendance totale à l'égard de toute propagande"’. Puis Chamonin rappelait que, durant la guerre d'Espagne, certains avaient reproché au Courrier ‘"d'être vendu à l'Italie et à l'Allemagne. Ce même reproche lui est fait aujourd'hui, souvent par les mêmes personnes. Sous prétexte de neutralité, on nous demande d'accueillir les arguments de la propagande gaulliste contre le gouvernement Pétain et de la propagande britannique pour justifier le secours accordé aux soviets¹⁹³⁴"’. La réponse - somme toute incomplète - donnée deux mois plus tard par l'évêque montrait combien, lui aussi, était désarçonné : ‘"Je comprends que, dans des circonstances comme celles où nous sommes, il est impossible de satisfaire tout le monde. Moi-même, je reçois souvent des lettres concernant le Courrier, et je ne vous les envoie pas même, parce que les uns se plaignent de ce que vous êtes trop pour l'Axe, et les autres, de ce que vous ne l'êtes pas assez. Il m'est bien difficile de porter un jugement parce que, tout en suivant avec intérêt le Courrier, je ne puis pourtant pas le lire d'un bout à l'autre tous les jours. Ce que je désire, pour mon compte, c'est que le Courrier ait une ligne de conduite plus marquée, qu'on sente davantage qu'il y a une direction responsable qui surveille tout soigneusement, qu'on y fasse une part un peu plus grande à la vie catholique en Suisse, et qu'on revoie toujours les nouvelles d'agence relatives aux choses catholiques, nouvelles que l'agence donne souvent dans une rédaction qui trahit l'ignorance totale du catholicisme¹⁹³⁵."’ Ces directives prudentes auront de lourdes conséquences, et maintiendront un mécontentement de tendances diverses.