La valse des pétitions

Si certains émettent une critique sur la ligne laïcisante du journal, d'autres y ajoutent celle de sa ligne politique. Comme Primborgne, ils parlent de "malaise". Simultanément aux tensions surgies entre La Liberté et le Courrier à cause de l'article de Leyvraz, un nombre non négligeable de catholiques genevois va se dresser contre le quotidien, sous la poussée d'un petit groupe de jeunes intellectuels, vraisemblablement inspirés par certains courants français. En effet, en novembre 1942, mais sans liens directs - semble-t-il - avec le fameux article ou un éventuel retour de Leyvraz au journal, une requête munie de cent soixante-neuf signatures1936 est adressée le 19 novembre à Mgr Besson : ‘"Excellence, Les soussignés prennent la liberté de vous faire part du malaise qui existe depuis longtemps dans les milieux catholiques de notre Ville, du fait de l'attitude équivoque du Courrier de Genève, malaise qui s'aggrave toujours plus. Pensant que votre Excellence est déjà informée des griefs que l'on peut avoir envers ce journal, nous nous bornons à vous prier instamment d'intervenir afin de faire disparaître certaines influences. Nous aimerions en particulier voir revenir le Courrier à une plus juste neutralité politique et porter dans ses articles rédactionnels des jugements moins tendancieux."’ Rappelant que ce journal est, pour beaucoup de non-catholiques, le seul contact avec l'Eglise, les signataires demandent qu'il soit le reflet de la pensée chrétienne, et qu'il se place en première ligne de la défense catholique - avec, bien entendu, ‘"la prudence et l'intelligence qui s'imposent aujourd'hui (...). Malgré les observations qui ont déjà été faites par certains de nous et par des membres du Clergé, à la direction du Courrier, aucun changement n'est survenu. C'est pourquoi nous nous adressons à vous, Excellence, avec la certitude que vous comprendrez l'extrême urgence d'une intervention de votre part"’. La lettre d'accompagnement à cette requête porte neuf signatures et explicite ainsi la démarche : ‘"L'initiative de cette lettre collective a été prise en toute liberté par quelques lecteurs du Courrier de Genève. Nous sommes persuadés de vous donner ainsi la preuve que le Courrier de Genève ne répond plus au besoin de nombreux catholiques et qu'une réforme est absolument nécessaire. Soyez assuré que la seule raison qui nous a poussés à entreprendre cette démarche auprès de vous est le souci de ne plus voir l'Eglise compromise par l'attitude de ce journal."’ Parmi les signataires de cette lettre, on trouve le nom du Lyonnais Bernard Anthonioz, ancien élève d'Albert Béguin (*), professeur de littérature française à Bâle; en 1941, sur proposition de ce jeune homme, Béguin a lancé Les Cahiers du Rhône, série d'ouvrages ou de publications interdits en France qui, par un contournement de la censure helvétique, pourront être imprimés en Suisse1937.

La réponse1938 - vraisemblablement très prudente - donnée par l'évêque le 4 décembre ne satisfait nullement les lanceurs de la pétition1939 qui, déplorant le manque de fermeté de Besson, lui déclarent :

‘"Permettez-nous de vous dire très respectueusement [que votre lettre] ne répond pas à ce que nous pensions pouvoir attendre du berger de notre diocèse. Vous voulez bien nous dire que les questions qui nous préoccupent sont aussi l'objet de vos soucis. Mais il nous est impossible d'admettre que l'esprit de charité fraternelle conduise à tolérer qu'un journal considéré comme l'organe officiel des catholiques se fasse le défenseur d'idées et de doctrines absolument contraires à notre foi et expressément condamnées par Rome. Ce n'est pas dans un "esprit de désunion" ou pour le plaisir d'une "opposition systématique" (...) que nous protestons contre un scandale aussi douloureux. Certes, nous ne souhaitons rien avec plus de ferveur que la bonne entente entre les catholiques de notre pays. Mais il nous paraît impossible de sacrifier à une union extérieure et superficielle le souci autrement important de la Vérité. Les catholiques ne sont pas les membres d'un parti politique où l'unanimité puisse se faire sur des compromis, en fermant les yeux sur des divergences d'opinions qui en effet sont négligeables et peuvent faire l'objet de savants dosages. Les catholiques, à nos yeux, sont une communauté d'un autre ordre, où l'amour doit régner entre les personnes, mais qui ne peut tolérer qu'en son nom on déforme les préceptes de Notre Seigneur et l'esprit des Ecritures. Ce n'est pas troubler la paix intérieure d'une communauté chrétienne que d'exiger qu'elle soit fidèle à la Vérité de l'Evangile. C'est au contraire vouloir de tout son coeur qu'elle élimine le trouble qui naît fatalement de l'erreur et du mensonge. Le Courrier de Genève a-t-il vraiment fait des "progrès" depuis qu'il nous pressait de nous joindre à la prétendue "croisade" des païens modernes contre le communisme ? A-t-il cessé de se référer perpétuellement à l'autorité d'un homme comme Charles Maurras dont tous les principes sont ceux d'un "réalisme politique" d'inspiration entièrement païenne ? Et si son langage s'est fait plus prudent, n'est-ce pas en vertu de ce même "réalisme" et par une simple adaptation aux nouvelles circonstances internationales ? Mais ne sait-on pas qu'en même temps il édite, - et certains de ses rédacteurs collaborent à un organe tel que la Jeune Suisse dont l'orientation politique est bien connue1940 ? Que répondrons-nous aux ennemis de l'Eglise lorsqu'ils s'appuieront comme ils le font souvent sur les affirmations du Courrier pour juger du rôle et de l'attitude des catholiques devant les événements ? Faudra-t-il pour sauvegarder une apparence d'union que nous assumions ces erreurs et que nous les défendions contre des critiques justifiées ? Nous ne pouvons nous empêcher de penser que tant de diplomatie et de souci d'équilibre aboutit nécessairement au mensonge. Nous avions espéré, Excellence, qu'en désavouant les erreurs professées par le prétendu "journal catholique", ou en intervenant non pas pour amender tel menu défaut de cet organe ou le féliciter de "progrès" insignifiants, mais pour en obtenir la réforme foncière, vous pourriez mettre fin à un scandale douloureux à beaucoup de vos ouailles et gravement préjudiciable à l'Eglise. En ce moment, où le monde déchristianisé va à sa perte, et refuse, comme il ne l'avait jamais fait sans doute, le Salut qui lui est offert, en cette heure où plus rien ne peut nous sauver si ce n'est une totale conversion de l'humanité, nous attendons de nos pasteurs autre chose que l'humaine prudence et des conciliations diplomatiques. Nous en attendons des paroles qui ne soient pas en vue d'une paix de compromis, mais d'une intransigeante affirmation, dans le siècle hostile, de l'unique Vérité. Nous serons obligés, si le scandale qui nous afflige ne peut cesser comme nous l'espérions sur une intervention de notre Evêque, de nous déclarer libres de toute solidarité à l'égard du Courrier et tenus de le dénoncer publiquement."’

Le jour de Noël, Mgr Besson répond ainsi à l'expéditeur de la protestation :

‘"Monsieur, Votre lettre du 19 décembre, avec les reproches et les menaces qu'elle contient, me cause une déception profonde : je crois que mieux vaudrait prendre un autre ton, si vous voulez que nous parlions ensemble d'une question d'ailleurs beaucoup plus compliquée et délicate que vous ne paraissez le croire. Veuillez agréer, Monsieur, pour vous et pour vos amis, l'assurance de mon sincère dévouement1941 ."’

Besson doit non seulement se battre avec les jeunes pétitionnaires mais... encore, avec l'abbé Charles Journet qui critique également la ligne du quotidien1942. Durant ce même mois de décembre 1942, l'évêque écrit au prêtre : ‘"Cher Monsieur le Directeur, C'est au sujet du Courrier que je voudrais vous dire deux mots et je le fais par écrit afin de m'exprimer d'une façon plus précise. Je sais que vous ne l'aimez pas et vous savez vous-même que, maintes fois, je n'ai pas aimé non plus tel ou tel de ses articles. Il faut cependant reconnaître que, depuis quelque temps, il a tout de même fait des progrès. Peut-être en ferait-il davantage encore si nous l'aidions mieux, d'une manière positive, au lieu de nous contenter de le critiquer. Nous l'avons suivi d'un peu plus près à l'évêché ces dernières semaines, et il ne mérite sûrement pas les reproches que certains lui font. (...) Je ne vous demande pas d'approuver tout ce que publie le Courrier, ni même d'en faire des éloges. Mais je voudrais que vous ayez à son égard une attitude moins agressive. Il serait quand même déplorable que le Courrier eût peine à vivre ou même dût cesser son existence à cause de l'opposition qui lui serait faite par des membres du clergé. Il serait regrettable aussi que ceux qui font campagne contre le seul quotidien catholique de Genève prissent prétexte du sentiment d'un maître tel que vous. Il y a malaise parmi les catholiques et en particulier parmi les prêtres de Genève. Nous devons tout faire pour le dissiper. Je vous assure que je fais mon possible pour obtenir ce résultat; mais il faut que chacun y mette du sien, dans l'esprit de Celui qui veut que les siens travaillent à promouvoir la paix et la charité fraternelles1943."’ Et c'est comme suit que Journet répond à son évêque :

‘"(...) au sujet du Courrier, oui, il y a un grand malaise. Mais ce serait si douloureux de voir déplacer la question. Le malaise ne vient pas de ceux qui se sont scandalisés de voir la sainteté de l'Eglise si tristement solidarisée avec tant de mesures inacceptables pour une claire conscience chrétienne. Il vient de l'autre côté. Je puis, Monseigneur, me taire sur ce sujet, et je vous promets de l'essayer, chaque fois qu'il n'y aura pas une raison de conscience qui s'y oppose. Mais il m'est impossible de faire confiance à l'équipe du Courrier. Il m'est impossible de me rallier légitimement à ce journal que j'ai aimé, pour lequel j'ai donné de mon argent, pour lequel j'ai travaillé, - à moins d'un désaveu formel de ses erreurs. Ce n'est pas, je vous l'assure, Monseigneur, un point d'orgueil ou d'obstination, c'est un point de conscience. (Je ne le lis plus, depuis longtemps). Vous m'assurez qu'on le lit à l'évêché, et qu'on en est satisfait. On m'avait dit, cependant, qu'il avait publié, justement ces derniers temps, un article qui vous avait "consterné" : ce sera une erreur1944".’

Autre plainte plus explicite, celle d'un Léon Nicole qui s'adresse à Besson ("Très honoré Monsieur") pour accuser le Courrier de soutenir ‘"à fond la thèse des dirigeants du IIIe Reich suivant laquelle l'Allemagne n'a attaqué la Russie que par souci de défense de l'Europe occidentale du danger de contamination bolchéviste"’; et aussi pour signaler que, dans plusieurs milieux ouvriers, on considère de plus en plus un certain collaborateur du journal comme faisant partie de la cinquième colonne, ce qui crée ‘"un danger pour les relations de l'Eglise catholique avec le monde du travail (...)1945".’

En définitive, il arrive que les articles du Courrier de Genève n'aient pas toujours une ligne uniforme : A côté de quelques articles assez "incisifs" de Schubiger face à Pétain et que l'abbé Chamonin, rédacteur en chef, a laissé passer ou a corrigés, il y a ceux du jeune Déléaval qui, lui, est ouvertement favorable à l'Axe. Le quotidien catholique ne cache pas sa grande admiration pour le maréchal; de temps en temps, il publie - sans même les commenter - des discours prononcés par Mussolini ou Hitler. Et, peut-être pour répliquer aux accusations portées contre lui, le Courrier de Genève reproduit intégralement, le 11 avril 1943, la déclaration du Cardinal Liénart qui, bien que sentimentalement très attaché au Maréchal, a protesté contre le Service du Travail Obligatoire, sujet qui divise les catholiques français et que certains dignitaires de l'Eglise n'hésitent pas à accepter comme un "défi apostolique1946".

Après les plaintes, les félicitations : Il est vrai que certaines personnes aiment lire le Courrier de Genève; beaucoup de catholiques français installés à Genève et qui ont vu certains des leurs sacrifiés durant la Grande Guerre, conservent une grande admiration pour le Maréchal "sauveur de la France". En août 1941, un lecteur - ami de Gonzague de Reynold - a écrit à l'évêque pour lui dire combien il appréciait que le Courrier, par son juste équilibre et sa sûreté de jugement, ait une vraie conception de la neutralité helvétique, contrairement au reste d'une presse tendant à faire croire qu'il fallait forcément être anglophiles pour être de bons Suisses. Le 6 février 1943, soit quelques semaines après l'envoi de la pétition qui se plaignait du quotidien catholique, ce même lecteur adresse à Besson une autre pétition, de trois cent huit signatures1947 (soit près du double de celle des jeunes) accompagnée de la lettre suivante :

‘"Monseigneur, Depuis assez longtemps déjà, le Courrier est en butte aux attaques de nombreux catholiques. Ces attaques ont paru à tous ceux dont l'esprit n'est pas aveuglé par la passion politique et dont les sentiments n'ont pas été déséquilibrés par la crise actuelle, aussi fâcheuses dans leur principe que dans leurs conséquences immédiates. Actuellement, en Suisse, si l'on ne manifeste pas une hostilité marquée à l'un des belligérants (je n'ai pas besoin de le nommer expressément pour me faire comprendre) l'on est immédiatement taxé de mauvais Suisse et presque suspecté de trahison. Les esprits sont à tel point aveuglés que non seulement l'on a perdu le respect de notre neutralité mais que l'on nous dénie le droit de dénoncer le danger que fait courir au monde la Russie bolchéviste. Or, c'est précisément parce que le Courrier est le seul quotidien de Genève qui ait su avec un tact vraiment digne d'éloges, adopter la "ligne" qui convenait, qu'il a été l'objet d'attaques aussi violentes. Un certain nombre de personnes "bien pensantes" et "bien intentionnées" sans doute, mais sûrement aussi bien mal avisées, se sont permises (sic) de faire parvenir à Votre Excellence une sorte de "pétition contre le Courrier ". Afin que Votre Excellence ne soit pas victime de cette manoeuvre qui n'est que la manifestation d'un esprit de partisan bien nuisible aux intérêts de notre pays, nous nous sommes permis de rassembler très rapidement les avis de quelques personnes très compétentes et appartenant à des milieux fort différents. Votre Excellence pourra juger en jetant un coup d'oeil sur les 308 circulaires que je prends la liberté de lui adresser, que les Catholiques les plus éminents de Genève ainsi que de nombreux protestants approuvent pleinement l'oeuvre magnifique accomplie par le Courrier, non seulement sur le "plan catholique" mais aussi sur le "plan national"1948".’

Retour à la première pétition : Le 27 février 1943, une entrevue est organisée entre les jeunes et Besson et, le 6 mars, avec le vicaire général. Un accord intervient avec Mgr Petit; il est résumé dans un Mémoire explicitant les raisons de la pétition qui

‘"n'est que le point d'aboutissement d'un mécontentement provoqué chez nombre de catholiques de Genève et de Suisse Romande (sic) par l'attitude de certains rédacteurs du Courrier et la tenue générale de ce journal. Loin de vouloir mener une campagne hostile au journal catholique de Genève, ces personnes de tous les milieux pensent qu'une notable amélioration pourrait être obtenue par l'intervention directe de nos autorités ecclésiastiques. Pour nous en tenir à l'essentiel, vous avez bien voulu, Monseigneur, reconnaître que les articles de M. Deléaval (sic) donnaient au journal un ton favorable à la politique des puissances de l'Axe. Vous nous avez dit vous-même que vous n'avez pas approuvé tous les articles de ce rédacteur. Cette tendance politique s'est manifestée aussi fortement par le choix des extraits destinés à la revue de la presse. Par ailleurs, nous avons signalé que, négativement, le Courrier a manqué à son devoir d'informateur catholique en ne donnant que des renseignements très insuffisants sur la situation religieuse dans les pays en guerre et sur la résistance opposée à toutes les formes du totalitarisme moderne par le clergé et les fidèles catholiques. Enfin, nous vous avons fait part de notre étonnement en constatant la collusion qui existe entre le Courrier et un organe tel que la Jeune Suisse dont l'orientation politique favorable à l'Axe n'est un secret pour personne. Vous nous avez expliqué qu'il s'agissait là d'une question financière. Mais cette collusion ne vient pas seulement du fait que la Jeune Suisse est imprimée par les presses du Courrier, mais surtout du fait que plusieurs rédacteurs du Courrier, (...), sous leur nom propre ou sous un pseudonyme, collaborent à l'hebdomadaire de M. Musy.
Au terme de notre entretien, vous nous avez dit que toute rénovation du Courrier de Genève se heurtait à deux obstacles principaux : les difficultés financières et le défaut de collaborateurs. En conclusion, vous nous avez demandé de vous présenter une liste de personnes susceptibles de collaborer au Courrier de Genève. Nous vous l'avions dit dès l'abord, l'action de M. Paul Rousset [un des initiateurs de la pétition] était désintéressée et nous n'étions pas préparés à cette éventualité. Mais à la réflexion, nous avons pensé que vous aviez pleinement raison de nous faire cette demande positive. Dans la persuasion où nous étions que nous pourrions obtenir le concours d'un grand nombre d'intellectuels catholiques si nous étions en mesure de leur donner des garanties au sujet d'un changement profond du Courrier, nous avons longuement réfléchi à votre proposition. Finalement, nous avons décidé de nous adresser à une personnalité désintéressée dont la compétence ne peut être mise en cause : M. Albert Béguin, professeur à l'Université de Bâle1949. Par son entremise, et en suivant ses conseils, nous sommes déjà à même, aujourd'hui, de vous proposer la collaboration d'un certain nombre de personnes dont le consentement est ou va être acquis. Il va de soi que cette liste n'est pas close et que nous pourrons encore la compléter avantageusement. M. Béguin étudie un plan précis susceptible de rénover la rédaction. Cette collaboration, répétons-le, vous est offerte d'une manière désintéressée, compte tenu de la situation financière du journal, c'est-à-dire bénévolement ou contre une rémunération proportionnée à ses ressources jusqu'au moment où une nouvelle impulsion financière pourra lui être donnée. Toutefois, elle est absolument subordonnée à certaines conditions minima :
1) M. Déléaval quitterait la rédaction du Courrier de Genève.
2) Les personnes collaborant à la Jeune Suisse cesseraient toute collaboration.
3) Le conseil d'administration du Courrier de Genève devrait envisager une séparation totale du Courrier et de la Jeune Suisse".’

Après avoir signalé que le petit groupe a déjà obtenu la collaboration bénévole d'une personnalité de la banque genevoise pour examiner - avec le Vicaire général et le Conseil d'administration - la situation financière du journal, le Mémoire dit qu'Albert Béguin viendra lui-même présenter à Mgr Petit la liste des collaborateurs potentiels; celle-ci ‘"comprend d'une part des rédacteurs proprement dits, licenciés de l'Université de Genève et possédant déjà une certaine expérience journalistique, et d'autre part des collaborateurs réguliers ou occasionnels suisses et français. Cette équipe de départ pourra utilement être complétée par la suite pour transformer toute l'allure du journal. (...) En espérant que vous voudrez bien voir dans notre offre un effort constructif en vue d'une amélioration et d'une diffusion plus large de la presse catholique genevoise et suisse, nous vous prions, Monseigneur, d'agréer l'assurance de nos sentiments filiaux en Notre Seigneur1950"’. La liste établie comporte, entre autres, les noms suivants : Comme rédacteurs : Lucien Méroz (licencié ès sciences économiques et sociales); Georges Haldas (collaborateur au Journal de Genève) et Georges Brazzola (tous deux licenciés ès lettres); Jean Rousset (licencié en droit et ès lettres). Comme collaborateurs : Albert Béguin (professeur); Adrien Bovy (critique et historien d'art, collaborateur à La Voile latine), Isabelle Archinard (professeur de physique); Paul Rousset (professeur); Théodore Strawinski (artiste verrier), Georges Cattaui (ancien diplomate et étudiant à la faculté de théologie de Fribourg; poète, essayiste et critique français); André Rousseaux, (écrivain); Stanislas Fumet (critique, directeur de la publication Temps nouveaux); Etienne Borne (philosophe français proche de Maritain et de Sangnier; collaborateur de La Vie intellectuelle, Esprit, L'Aube, Sept, Temps Présent); Henri Davenson (alias Henri-Irénée Marrou, historien français et professeur); Urs von Balthazar (philosophe et théologien jésuite); le Père de Menasce (dominicain, cousin de Cattaui, tous deux notables israélites égyptiens, convertis sous l'influence de Massignon, Fumet et Maritain). En somme, si l'on considère la liste des collaborateurs potentiels, on peut en déduire que les jeunes pétitionnaires voudraient faire du Courrier de Genève un journal de réflexion et d'information plutôt intellectuelles. Cette orientation renouvellerait certainement le lectorat du journal et le satisferait grandement. Mais nous pouvons douter que le public catholique genevois, du fait de sa composition sociologique, s'y serait intéressé dans sa majorité.

Notes
1936.

Parmi les signataires, on dénombre 79 femmes, 87 hommes et 3 illisibles. 31 sont femmes au foyer, 34 exercent une profession de bureau, 7 dans la couture, 19 dans le commerce, 29 professions indépendantes ou cadres; 3 engagés dans des mouvements d'Eglise; 11 étudiants; 6 artistes; 3 professions de la santé; 7 fonctionnaires; 9 enseignant(e)s; 10 professeurs et assistants à l'Université. Provenance géographique : 95 de la ville de Genève; 17 de Carouge; 49 de la campagne genevoise (dont 21 des communes de Chêne et Thônex); 8 d'autres cantons (Valais, Lucerne, Fribourg, Berne, Bâle, Tessin) et 1 d'Italie.

1937.

Une large résistance spirituelle s'est en effet instaurée en Suisse romande afin de soutenir les écrivains réduits au silence. Outre les Cahiers du Rhône qui publient par exemple Aragon, Eluard, Supervielle, Saint-John Perse, Mounier, il faut également citer les publications de la Guilde du Livre de Lausanne (Mauriac, Claudel, Green, Duhamel, Aragon, Triolet, et le pasteur suisse Roland de Pury, emprisonné à Lyon), ainsi que la revue Traits, émanant de disciples du professeur Edmond Gilliard, qui publie des oeuvres de Résistants ainsi que des analyses politiques virulentes contre l'attitude de la Suisse. Et aussi les Editions de Minuit, ainsi que celle des Trois Collines; ces dernières, grâce au Genevois François Lachenal qui parvient à passer clandestinement des manuscrits, diffuse des oeuvres d'Aragon, Eluard et Vercors.

1938.

Nous n'avons malheureusement pas retrouvé la lettre de Mgr Besson. Peut-être était-il tou-jours hospitalisé ? Mais la réponse écrite le 19 décembre par les pétitionnaires permet largement de comprendre quel était le contenu de la missive de l'évêque.

1939.

Lettre signée Paul ROUSSET, Lucien MÉROZ, Georges COTTIER, Bernard ANTHONIOZ, E. DUBOIN, F. de ZIEGLER à Mgr Marius Besson, 19 décembre 1942. Archives de l'Evêché, Fri-bourg, cote D 40.

1940.

Déléaval avait été nommé rédacteur en chef de ce journal.

1941.

Lettre de Mgr Marius BESSON à Paul Rousset, 24 décembre 1942. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1942.

Il faut savoir que Journet entretient des liens suivis avec Bernard Anthonioz, entre autres. Sur ces relations, cf. JOURNET - MARITAIN. Correspondance. Vol. III, 1940-1949. [sans nom de ville] : éd. Saint-Augustin, Parole et Silence, 1998.

1943.

Lettre de Mgr Marius BESSON à Charles Journet. 3 décembre 1942. Document figurant en annexe de JOURNET - MARITAIN. Correspondance. Vol. III, 1940-1949, op. cit., pp. 876-877. Dans la suite de cette lettre, Mgr Besson demande encore à Journet de ne pas faire de politique dans ses sermons.

1944.

Lettre de l'abbé Charles JOURNET à Mgr Marius Besson, 3 décembre 1942. Document figurant en annexe de JOURNET - MARITAIN. Correspondance. Vol. III, 1940-1949, op. cit., pp. 878-879.

1945.

Lettre de Léon NICOLE à Mgr Marius Besson, 1er février 1943. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1946.

Etienne FOUILLOUX. Les chrétiens français entre crise et libération, 1937-1947. Paris : éd. Seuil, 1997, p. 125.

1947.

Nous n'avons pas retrouvé ce document, ce qui ne nous permet donc pas d'en faire une petite "analyse sociologique".

1948.

Lettre de François PACHE à Mgr Marius Besson, 6 février 1943. Archives de l'Evêché, Fri-bourg.

1949.

Outre René Payot, éditorialiste du Journal de Genève, considéré alors comme la voix de la liberté et du combat de la Résistance dans les pays francophones, Albert Béguin, un Suisse converti au catholicisme, est également beaucoup écouté en France.

1950.

Lettre de Paul ROUSSET, "actuellement mobilisé", signée par Bernard Anthonioz, à Mgr Henri Petit, 21 mars 1943. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.