4. LA REPRISE D'UNE BRÈVE COLLABORATION

En dépit des lignes dures écrites contre lui l'hiver précédent dans le Courrier de Genève, Leyvraz souhaite toujours retravailler dans ce quotidien afin de donner une ligne aux lecteurs, face aux périls qui se multiplient et s'aggravent de jour en jour, et auxquels on ne parera ‘"pas seulement par du battage anti-communiste1951"’. Les démarches entreprises par certains de ses amis se poursuivent pour que reprenne sa collaboration officielle au Courrier; en effet, le retour de l'ancien rédacteur en chef est souvent qualifié de "solution unique" pour ramener la paix au sein du catholicisme genevois, pour combler un vide, et refaire l'unité alors qu'une menace de troubles communistes semble planer sur le canton (ce qui se révélera exact puisqu'aux élections de 1945, le parti du Travail des Nicolistes fera un retour fracassant avec trente-six députés communistes. Autre argument développé en faveur de Leyvraz : grâce à ses articles, le Courrier de Genève aura de nouveaux abonnés et les finances catastrophiques du journal s'en trouveront améliorées. Après moults échanges, après un très discret mais généreux "coup de pouce" financier de l'évêque, un arrangement provisoire d'un an est conclu, sur la base d'un "loyal essai1952" (qui durera jusqu'en novembre 1944) : dès avril 1943, Leyvraz écrira à nouveau deux articles par semaine qui paraîtront à la Une. C'est en ces termes que, dans son journal, l'abbé Chamonin salue cette reprise :

‘"Nous avons le plaisir de présenter aujourd'hui à nos lecteurs le premier article de M. René Leyvraz, rédacteur en chef de l'Echo Illustré, qui reprend une collaboration régulière à notre journal. Nous sommes certains, que tous, abonnés et lecteurs, salueront avec joie cette reprise. M. René Leyvraz traitera en particulier des problèmes sociaux auxquels les événements confèrent une importance primordiale1953."’

Les autorités ecclésiastiques estiment donner un "sucre" aux pétitionnaires, et leur prouver que le journal est sur la voie d'un changement, puisque l'évêque écrit à Bernard Anthonioz : ‘"Vous avez vu, je pense, que M. Leyvraz a repris sa collaboration au Courrier. Je pense que cela donnera déjà une certaine satisfaction à vos amis et qu'ils y verront la preuve d'un effort de bonne volonté de la part de la direction et du comité1954"’. Cette décision épargne donc au vicaire général, au Comité du Courrier de Genève et à l'évêque l'obligation morale de donner suite aux suggestions élaborées par Béguin et d'accepter les écrits des collaborateurs potentiels. Réponse d'Anthonioz :

‘"Nous savions que depuis un certain temps il était question de la reprise d'une collaboration de M. Leyvraz au Courrier de Genève et certes nous saluons cette reprise avec sympathie. Cependant ce fait ne nous explique pas l'attitude de Mgr Petit et d'ailleurs, notre requête n'était pas une question de personnes mais de principe. Il n'est pas inutile de préciser que la pétition que nous avions lancée était totalement indépendante des protestations autrefois faites par M. Leyvraz. Pour nous, nous persistons à penser qu'une réforme de fond reste nécessaire surtout à une époque comme la nôtre où l'action de la presse catholique pourrait revêtir une importance primordiale. Il ne nous reste plus, à regret qu'à faire une mise au point : Mgr Petit a reconnu que le Courrier dépendait de lui; il nous a demandé notre collaboration; répondant à son désir, nous la lui avons offerte d'une manière précise et positive. Nous avons, nous semble-t-il, donné la preuve que nous n'étions pas animé (sic) par un esprit de "dissidence" et nous avons fourni un effort positif. Or, d'une manière qui reste pour nous incompréhensible, Mgr le vicaire général a refusé et d'entendre et de lire M. Albert Béguin qui avait bien voulu s'associer à notre effort et qui nous proposait les ressources de son expérience et de ses connaissances. Nous déplorons ce refus qui nous paraît définitif. Mais nous devons en tirer les conclusions. Tant qu'il en sera ainsi, nous ne pouvons en conscience nous solidariser d'aucune manière avec le Courrier de Genève. Nous estimons qu'il est de notre devoir de le critiquer dans l'exacte mesure où il prête manifestement à une critique justifiée et vigoureuse. Et cette critique porte avant tout, il faut le souligner (et en cela nous savons qu'un autre protestataire indépendant de nous, M. Prinborgne (sic), se trouve d'accord avec notre point de vue), sur une carence d'esprit religieux plutôt que sur une position politique pouvant être discutée. Enfin, nous n'avons aucune raison de garder ces critiques pour nous. Elles doivent être connues de ceux qui se scandalisent de l'attitude du Courrier, particulièrement ceux qui, étrangers à l'Eglise, seraient portés à juger le catholicisme par lui. En vous remerciant encore pour toute la bienveillance que vous nous avez témoignée et en regrettant de n'être parvenu (sic) à aucun résultat, nous vous prions de croire, Excellence, à nos sentiments filiaux et respectueux1955."’
Notes
1951.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr Marius Besson, 13 février 1943. Archives de l'Evêché, Fribourg, dossier "laïcs", fourre "René Leyvraz".

1952.

Lettre de Me Maurice PONCET, Président du Comité du Courrier de Genève à Antoine Pugin, 2 mars 1943. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1953.

A.-Marcel CHAMONIN. Lignes accompagnant le premier édito de Leyvraz ("La Nouvelle Croisade"). Courrier de Genève, 11 avril 1943.

1954.

Lettre de Mgr Marius BESSON à Bernard Anthonioz, 14 avril 1943. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.

1955.

Lettre de Paul ROUSSET, signée en l'absence de l'auteur par Bernard Anthonioz, à Mgr Marius Besson, 16 avril 1943. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40.